Citations sur Un secret de famille (10)
Si j’étais ainsi violée par trois membres de ma famille, je ne pouvais pas y être pour rien. À l’évidence, j’avais mérité ce qui m’arrivait. Mais en quoi ? Je me sentais déshumanisée, brutalisée. Je n’étais qu’un bout de gras que se disputait ma famille. Et pourtant, je ne demandais qu’à être aimée.
Elle m’avait portée, donné la vie, elle avait poussé mon landau. Et désormais, jour après jour, elle me détruisait. Ces horreurs posaient les fondations d’une relation complexe avec ma mère, qui allait alternativement menacer ma santé mentale et m’offrir de l’espoir. Elle était la maladie et le remède. Je la détestais et ne pouvais en même temps m’empêcher de l’aimer, peut-être dans une même mesure.
J’aurais voulu être ailleurs, être une autre petite fille dans une autre famille qui m’aurait aimée et voulue. Pas pour le sexe. Juste pour moi.
Chaque fois qu’il y avait une opportunité, il la saisissait. Les viols se déroulaient toujours dans ma chambre, et toujours avec la même routine. Ça ne durait pas très longtemps, même si j’avais l’impression du contraire. Et l’acte avait quelque chose de frénétique parfois, comme s’il avait peur d’être surpris. Il ne parlait jamais, sauf quand c’était fini, pour m’avertir de ne pas en parler.
Cette fugue a été la première d’une longue série. Je m’enfuyais souvent, soit par désespoir, soit par esprit de bravade. Parfois, j’avais juste envie de voir si je manquerais à quelqu’un – et c’était rarement le cas. Tout valait mieux que la maison. J’apprenais à toute vitesse qu’on ne peut pas faire confiance à sa famille. Et que je n’étais pas en sécurité sous notre toit.
En dehors des disputes entre papa et Jock, c’était ma mère qui faisait régner la discipline dans la famille. Elle avait une poigne de fer, et ses punitions étaient bien souvent brutales. Le matin, nous devions parler à voix basse et marcher sur la pointe des pieds dans la maison. Réveiller ma mère, c’était réveiller un dragon ; elle devenait folle quand on l’empêchait de faire sa grasse matinée.
J’aimais être tranquille, et quand j’étais à la maison, je passais l’essentiel de mon temps à lire. Je me réfugiais souvent au calme dans ma chambre, captivée par ma lecture, tandis qu’en bas les disputes faisaient rage. Papa était lui-même un lecteur assidu.
Je n’ai jamais été cheffe de bande ; j’étais timide, je me contentais de suivre les plus grands, mais j’adorais nos facéties. Il n’y avait rien de plus drôle pour tous les gamins que d’embêter les adultes et de les voir exploser comme des feux d’artifice.
Ce lieu m’apportait de la sécurité, et je m’y étais attachée. Je ne le savais pas, mais ce foyer pour enfants, avec ses nonnes distantes et son dortoir glacial, serait le dernier endroit où je me sentirais en sécurité avant longtemps. Je savais à quoi m’en tenir avec les sœurs. Je savais ce que j’avais à faire et où je devais être à chaque heure du jour. Et pour un enfant, cette certitude vaut de l’or. Bien sûr, je ne m’en rendrais compte qu’après qu’on me l’ait arrachée.
Les religieuses étaient sévères et austères, certes, mais toujours justes et raisonnables. Je n’avais jamais le sentiment d’être prise à partie pour rien. Je ne me sentais jamais harcelée, ostracisée ou malmenée. La vie était dure, certes, mais c’était notre lot commun.