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Critique de Patsales


Ce roman fascinant ferait passer L'Etranger pour une bluette. Yoshimura commence son histoire là où Camus la termine: un assassin quitte sa prison pour bonne conduite, et tente de renouer avec la normalité. Incapable tout d'abord de lâcher prise, effrayé de ne plus obéir au rythme de la prison, il doit aussi composer avec un Japon moderne où prendre un escalator s'apparente pour lui à un exploit.
Qu'est-ce qu'être libre? Kikutani trouve un travail dans ce qui s'apparente à une prison pour poulets. Ex-prisonnier devenu gardien, il ne se contente pas de surveiller ses volatiles : c'est lui-même qu'il enferme dans un quotidien aliénant, entre train de banlieue et repas solitaires devant la télévision.
Mais, tandis que Meursault refuse le jeu social, Kikutani veut à tout prix s'y conformer. Car le Japon moderne n'est finalement pas si différent de celui qu'il connut : et la normalité est pour le personnage tout à la fois une aspiration profonde et le plus sûr moyen d'empêcher quiconque de s'immiscer dans sa vie.
Il est fascinant de voir se façonner l'image idéale du Japonais moyen : Kikutani est un modèle de réinsertion dès lors qu'il boit, fume, élève des poissons rouges et rompt toute relation avec sa famille pour ne pas les gêner.
La docilité du libéré sous condition donne du Japon l'image d'un pays glaçant où la gentillesse de tous est le plus sûr moyen de laisser chacun à sa place assignée.
Or Kikutani a un secret: il ne regrette pas ses crimes. Ses victimes, après tout, avaient dérogé. Sa femme l'avait trompé, ce qui lui valut d'ailleurs des circonstances atténuantes. Et voici Kikutani anormal à force de normalité, censé regretter un acte qui signait pourtant sa parfaite appartenance à l'ordre social.
La névrose de l'homme démasque celle du pays, à moins que ce ne soit celle de l'homme démocratique prisonnier de sa « moyennisation », condamné à l'égalité sans condition.
Pas moyen, donc, d'imaginer Sisyphe heureux, parce qu'au premier caillou sur la pente, il va se prendre son rocher sur la tronche.
N'empêche que je remettrai bien le couvert avec Yoshimura, mais je vais d'abord digérer cet opus là avant de reprendre un grand bol de désespoir existentiel.
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