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Critique de kielosa



L'auteure avait 23 ans lorsqu'elle a découvert qui étaient son père et sa mère : le contre-amiral français Jacques Trolley de Prévaux et son épouse Lotka Leitner, d'origine juive polonaise, furent, en effet, fusillés par les nazis, le 19 août 1944 à Bron près de Lyon, lorsqu'elle avait tout juste 1 an et 2 mois.

Cet ouvrage de la journaliste Aude Yung-de Prévaux a obtenu l'année de sa sortie, en 1999, le prix de l'Académie française. Si elle a écrit de nombreux articles pour la presse française (entre autres "Libération") et suisse, il s'agit de son unique livre. Ce document compte 223 pages, est illustré par de nombreuses photos et introduit par l'amiral français Michel Debray, né en 1936 (à ne pas confondre avec l'ancien Premier ministre et académicien Michel Debré (1912-1996) bien sûr). Dans sa préface, l'amiral avoue qu'en 1974 il n'avait jamais entendu parler de ce marin hors pair et combattant de l'ombre et se félicite de ce livre et du fait que le couple ait entretemps une rue à Paris et Toulon, ainsi qu'un amphithéâtre à Rochefort et Toulon qui portent leur nom.

C'est par hasard, en faisant des recherches sur les Cathares à la bibliothèque en 1966, qu'un vieux monsieur lui demanda tout à coup si elle était la fille de Jacques et Lotka de Prévaux. On peut s'imaginer la stupéfaction de l'auteure qui n'en savait strictement rien. La famille avait apparemment décidé "d'épargner" la jeune Aude. Peu après, elle reçut 2 énormes malles d'un oncle contenant des documents, des multitudes de lettres, des notes et des photos ayant appartenu à ses parents. Quoi de plus naturel qu'elle s'est mise à éplucher ce passé. Grâce à l'aide de la Marine, la Résistance, la famille, et des anciens compagnons de ses parents, Aude Yung-de Prévaux a réussi à restituer leur passé dans cet ouvrage. Sur une des photos on voit Lotka penchée sur le berceau de sa nouveau-née.

Comme son père a réalisé une carrière exemplaire dans la Marine française, le gros de l'ouvrage est consacré à cette carrière, dont sa fille est évidemment très fière.

Jacques de Prévaux, né en 1888, est issu d'une famille dont les titres de noblesse remontent à 1586. Son père Alfred a été toute sa vie un professeur de droit commercial à l'université de Lille. C'était un homme austère qui ne s'est jamais remis de la mort de sa jeune épouse, décédée lorsque Jacques avait 11 ans. Cette sombre enfance fut encore renforcée par un catholicisme de rigueur. Trois de ses tantes sont entrées au couvent du Carmel. Pas étonnant que le môme rêvât des grandes espaces. Après son enseignement secondaire, il s'inscriva à l'École navale en 1906 et fut promu 5 ans plus tard enseigne de vaisseau. En 1917, il obtena à Saint-Cyr son certificat de pilote de dirigeable et termina la Première Guerre mondiale comme lieutenant de vaisseau.

Pendant 2 ans (1920-1922) il fut l'aide de camp du ministre de la Marine et de 1926 à 1930 nommé attaché naval à l'ambassade française de Berlin. En 1920, il avait épousé Blandine Ollivier dont la famille était influente. Son grand-père avait été ministre de la Justice de Napoléon III. Avec elle il a eu 2 filles. Comme commandant de différents bateaux un peu partout dans le monde, tout en gravissant les échelons dans la Marine, le couple ne se voyait guère et alla vite chacun de son côté.

C'est en 1933 que le bel officier fit la connaissance de la belle Lotka, née en 1905 à New York. Pour Jacques c'était le coup de foudre. Pour Lotka, un modèle de mode avec son 1,78 mètre chez Madeleine Vionnet puis Elizabeth Arden, il y avait tout au début une certaine réticence, ne voulant pas perdre sa liberté avec un homme marié et souvent à l'autre bout du globe.

Toutefois, le grand amour l'emporta et qu'il s'agissait d'un grand amour les milliers de lettres passionnelles sont là pour en témoigner. Après un divorce par consentement mutuel, les 2 se marièrent en 1940.

L' été 1941, Prévaux fut nommé président du tribunal maritime de Toulon, mais en décembre François Darlan, l'amiral de la Flotte et ministre de la Défense, lui accorda un congé non sollicité. À Vichy, on estimait qu'il était trop compréhensif envers les marins qui avaient essayé de rejoindre le général De Gaulle à Londres, pour lequel il avait d'ailleurs beaucoup d'admiration. Ce congé signifiait, en fait, la fin de sa carrière, après 35 ans de loyaux services. D'abord, il en fut anéanti, mais très vite il se rendait compte que désormais il était libre de continuer la lutte contre l'occupant.

Le même mois, il prenait contact avec la Résistance et s'engagea dans les rangs du réseau F2 pour le combat dans l'ombre. Ses nombreuses relations, son talent d'organisateur et sa capacité de travail en firent rapidement un "soldat" estimé. Malheureusement, cette partie du récit- une cinquantaine de pages - est moins claire que le reste de l'ouvrage. de simple informateur, son action l'amena au commandement du réseau "Anne" qui regroupait les secteurs de la Résistance de Toulon, Nice et Marseille, jusqu'à Perpignan. Lotka, à ses côtés, devint un de ses principaux courriers. Bien que son physique, allure et léger accent Yiddish ne lui conféraient pas exactement le profil d'un "agent secret" idéal. Ce qui démontre son immense courage, d'autant plus que pendant toute une période elle fut enceinte de l'auteure et se faisait de grands soucis pour ses parents, soeur et beau-frère qui furent envoyés à Auschwitz.

Le 29 mars 1944, la Gestapo arrêta les agents "Vox" (nom de code de Jacques de Prévaux) et "Kalo" (Lotka) à leur domicile. Lotka réussit à cacher et passer son bébé Aude à Nana (Joséphine Schweitzer). D'après les témoins, aucun des 2 n'a refilé la moindre information utile aux nazis, malgré des tortures (supplice de la baignoire, électricité...). Cinq mois plus tard, le couple fut, ensemble avec une vingtaine d'autres résistants, fusillé à la mitraillette.

Peu après le Sud de la France fut libéré et, en 1946, le maréchal de Lattre de Tassigny déclara que cette opération fut possible grâce aux excellents renseignements du réseau local de la Résistance. Ces renseignements valurent à Jacques de Prévaux le "Distinguished Service Order" britannique, un honneur rarement accordé à un étranger.

Hormis ma petite réserve relative à la Résistance, j'ai trouvé cet ouvrage d'Aude Yung-de Prévaux bien construit, basé sur de sérieuses recherches et objectif, en dépit des liens entre auteure et héros.
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