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Critique de Apolline27


La vie d'Antoine. La vie de L. Deux existences aux antipodes : une hackeuse et un assistant parlementaire. Et pourtant, de nombreux points communs : deux trentenaires immergés dans les labyrinthes de notre monde, virtuels ou réels, et aussi perdus l'un que l'autre. Deux vies immobiles, et pourtant encore à peine froissées. Deux vies qui tournent en rond et se cognent aux murs d'une réalité qu'elles ne parviennent pas à appréhender. Deux vies aussi vides qu'une boîte de fer blanc. Deux êtres jeunes et pleins de possibles mais incapables d'affronter le réel, incapables de croire qu'ils peuvent façonner le réel, incapables de se rêver dans le monde réel. Deux êtres aussi banals que leurs aînés, la vanité en moins, cette vanité qui a permis à ces derniers de s'engager. Car le noeud du problème est là, dans l'impossibilité de l'engagement, dans l'absence de confiance en la capacité humaine d'agir sur le réel, de l'améliorer, de le rendre supportable, équitable, agréable…

Toute tentative de rêver le monde est devenue invalide, bâillonnée par le poids de l'expérience qui a révélé l'ambivalence de toute réalisation humaine. Chaque invention, chaque révolution porte en soi ses effets magiques et ses effets pervers. Ce n'est pas dans les élites que le citoyen contemporain a perdu confiance, c'est dans le monde réel, et donc, avant tout, en soi-même, en tant que réalité première et immédiatement connaissable.

De là, une difficulté symptomatique à communiquer. le récit semble avoir quelques réticences à livrer des dialogues. Il y en a cependant mais toujours très courts et rarement à plus de deux voix. Au-delà, c'est la confusion. Tout échappe. Alors on privilégie le style indirect, ou indirect libre pour alléger, ce qui permet de restituer en vrac ce qui est dit, ce qui pourrait être dit mais qui ne l'est pas, ce qu'il aurait fallu dire, ce que le personnage aurait aimé dire mais qu'il ne peut pas dire, ce qu'il pense mais ne dit pas. Au bout du compte un magmas de discours qui se heurte à un mur virtuel et infranchissable, le mur de la communication. Alors on tourne en rond et la parole, elle aussi, devient immobile, opaque et vide.

Lorsque l'et Antoine, enfin réunis, passent des nuits entières à discuter (3ème partie), nous n'avons jamais vraiment accès à ces discussions. Elles ne sont pas vraiment restituées. Nous n'en avons que des bribes, un succédané, un ersatz, comme le précipité d'un échange réel. En revanche, ce qui est donné à lire avec précision, c'est l'affaissement des deux personnages. D'immobiles, ils deviennent « flaques ». Ils se diluent dans l'océan de leurs peurs insignifiantes – privées de sens – et de leur égocentrisme si efficace que même lorsqu'ils agissent pour l'autre, c'est d'eux-mêmes qu'ils s'occupent. Ainsi en est-il de L. pour Fatou, d'Antoine pour L. Et « ...les paroles s'égarent, on les laisse filer... » (p.357)
Alors, dans la dernière partie, la parenthèse de la vieille ferme apporte une certaine respiration, une ébauche de mouvement. L. y fait en tâtonnant, en tâtonnant vraiment, l'apprentissage de la nature, des arbres, de la pluie, du bain de mer, du corps, du désir sexuel. Ni découverte bouleversante, ni enthousiasme régénérant, mais un rééquilibrage salutaire entre le « dedans » et le « dehors », et donc, un peu plus de cette sérénité qui dissipe les paralysies et atténue les peurs. Pour Antoine, les choses sont plus floues. L'apaisement de L. le rassérène quelque peu. Mais pour l'un comme pour l'autre, ne se profile à l'horizon qu'un vide reconduit qui n'envisage pas de se combler : pas de véritables projets, des questions qui restent sans réponses, des sentiments qui ne peuvent pas se dire, des renoncements, des images qui n'en sont pas.

Le bilan ? Deux échantillons ciblés qui révèlent d'une part l'impossibilité d'une génération à se projeter dans l'avenir, et d'autre part, la terrible vacuité de notre monde au sein duquel il devient de plus en plus difficile d'avoir prise sur le réel.
Lien : https://veronique-de-haas.hu..
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