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Critique de Lucilou


"Mais quelle mouche a bien pu piquer Zola quand il s'est attelé à la rédaction du Rêve?" n'ai-je pu m'empêcher de me demander pendant ma lecture de ce drôle de Rougon-Macquart, de cet ovni blanc et or d'une pureté de vitrail...
Il est d'autant plus déconcertant ce livre qu'il se trouve coincé entre deux romans monstres: les deux chefs d'oeuvres de noirceur et de brutalité, de violence et de cruauté que sont "La Terre" et la "La Bête Humaine".
Et voici donc que le grand naturaliste nous embarque entre les terres de la Beauce arrosées de sueur et de sang et le zinc de la gare du Havre au coeur d'une histoire à mi-chemin entre le conte de fée et la Légende Dorée, comme ça, sans prévenir...
On a dit qu'avec "Le Rêve" Emile Zola voulait prouver à ses détracteurs qu'il pouvait aussi écrire la grâce et qu'il n'ignorait rien des sentiments élevés qui mouvait également les hommes; qu'il souhaitait écrire un "joli livre" que pourrait lire sa filleule; qu'il imaginait avec Angélique et Félicien acquérir une respectabilité et peut-être son ticket d'entrée à l'Académie... On a enfin parlé de sa volonté de traiter de la religion une nouvelle fois après "La Conquête de Plassans" et "La Faute de l'abbé Mouret", mais différemment, en se penchant sur la foi populaire et sur le renouveau du mysticisme qu'il avait observé en France à l'époque.
Soit. C'est un sujet prometteur, qui me fascine toujours un peu et accommodé à la sauce Zolienne, ça ne peut qu'être que délectable.
Je prends.
Le résultat, s'il n'est pas goûtu, est certes déconcertant mais pas inintéressant -loin de là- et j'ai pris plaisir à m'y plonger, d'autant plus que sous la nimbe, certaines obsessions, certains maux ne sont pas loin.
La petite Angélique est la fille de Sidonie Rougon, la soeur louche et franchement antipathique d'Eugène, d'Aristide, de Pascal et de Marthe et d'un père inconnu. Confiée dès sa naissance par la sage-femme aux bons soins de l'Assistance Publique, la petite a ensuite été ballottée d'une nourrice à un couple de tanneurs -Thénardier en diable- en passant par une fleuriste avant d'être recueillie un soir de neige par les Hubert, un couple de chasubliers vivant modestement dans une petite maison adossée à la cathédrale de Beaumont.
Les Hubert n'ont pas eu d'enfant et voient dans ce malheur le prix à payer pour la grande passion qu'ils vécurent jadis et qu'ils couronnèrent d'un mariage malgré le désaccord de la mère de l'épousée. L'arrivée d'Angélique est pour eux une bénédiction et ils élèvent celle qui devient leur pupille dans l'amour et la foi. L'enfant est coléreuse et se complaît parfois dans de violents chagrins mais la fermeté de sa mère adoptive ramène à chaque crise l'agnelle égarée dans le troupeau. Par crainte des mauvaises fréquentations, les Hubert n'envoient pas Angélique à l'école. Ils l'instruisent à la maison et surtout ils lui apprennent à broder. La petite excelle dans cet art oublié et c'est une brodeuse enthousiaste. S'il est un autre domaine dans lequel elle se montre également brillante, c'est celui de l'imagination, du songe. Angélique rêve et surtout, elle croit. Que les rêves se réalisent, que les miracles adviennent. A l'origine de cette foi fantasque, il y a le tempérament naturellement ardent de la jeune adolescente et "La Légende Dorée" de Voragine, qu'elle lit sans relâche, dont elle use les pages et qui la fait tomber en pâmoison. Etre Sainte-Agnès! Etre reconnue par le Christ! Etre celle par qui les miracles arrivent!
A ces rêveries toutes mystiques s'ajoutent avec le temps les rêveries amoureuses et Angélique, prise de langueur, se prend à rêver d'amour, à croire que l'Amour avec un grand A viendra à elle et que son aimé, son mari ne sera rien de moins qu'un prince...
L'amoureux finira par arriver (et sans trop tarder): qu'il est beau ce peintre verrier! il ressemble à Saint-George lui-même... Angélique tombe amoureuse et comme par miracle, l'archange succombe lui-aussi aux flèches de Cupidon face à cette blonde évanescente qui ressemble si fort à Sainte-Agnès.
Les grandes amours en littérature sont toujours contrariées, celui de Félicien et Angélique ne fait pas exception et comme pour Roméo et Juliette, le malheur viendra des familles de tourtereaux ...
Le peintre est en réalité un prince, ou presque: il est le fils de monseigneur Hautecoeur, noble entré dans les ordres après le décès de sa jeune épouse trop aimée. L'évêque, tout confit en dévotion qu'il puisse être, ne veut pas d'une mésalliance pour son fils. Quant à Angélique, elle doit faire face à Hubertine, sa mère adoptive qui rejette la passion, la jugeant responsable de trop de souffrances.
Les amoureux se séparent mais se consument. Angélique de diaphane devient blême, de mince devient invisible... La fièvre et l'amour la dévorent. Au terme d'une scène du balcon à flanc de cathédrale, Félicien la retrouvera et lui proposera de fuir avec elle... Mais on ne propose pas la fuite à une sainte et Angélique ne peut aimer que bénie et mariée... Faire fléchir les Hubert sera plus aisé que convaincre l'évêque qui se rendra pourtant, vaincu par son fils, par le désir, par la passion, par l'amour.
Angélique mourra sur le parvis de la cathédrale,dans les bras de Félicien après la célébration du mariage, emportée par sa fièvre. Ou par sa passion.
Le Rêve est un roman assez court, qui passe comme un songe sur les lecteurs et tout concourt à le démarquer de ses frères: personnel romanesque très réduit, sujet éthéré sinon mystique... Si la langue conserve les accumulations, la richesse propre au style de Zola, elle se différencie par son exaltation, son lyrisme, son emphase, par sa profusion de blancheur... Il y a indéniablement quelque chose qui relève du conte de fée avec l'histoire d'Angélique: l'orpheline qui espère à son balcon, qui attend, qui sait... Aurore n'est pas loin... Il y a aussi du roman sentimental, rose, mais le tout est enveloppé, nimbé de mysticisme... C'est là ce qui -pour moi- sauve l'ouvrage et le rend passionnant: cette aura lui confère de la profondeur, de l'ambiguïté... Car cette légende dorée est peut-être très jolie mais elle procure aussi un malaise tenace, une sensation d'oppression qui ne m'a pas quittée de toute ma lecture. Cette petite s'abîme dans un délire mystique qui finit par la tuer, ses parents adoptifs l'élèvent à l'ombre d'une cathédrale loin des autres... Félicien est peut-être le moins problématique: candide et amoureux fou...
Bien sûr que le rêve d'Angélique devient réalité, mais à quel prix? Et dans quel monde? Un univers clôt, où la foi gouverne complètement et même les passions... C'est étrange en réalité...ce serait inquiétant sans la fraîcheur du personnage d'Angélique...
Finalement, on peut peut-être comprendre à la lecture pourquoi Zola nous a donné le Rêve: sans doute voulait-il montrer à sa manière les ravages d'une certaine forme de foi sur un esprit lourdement marqué par son hérédité... et en l'enveloppant de douceur, il nous piège comme Angélique.
On peut donc dégager deux niveaux de lecture à ce volume des Rougon-Macquart, passer du conte étoilé à une lecture plus sombre (et réaliste?) et c'est ce qui en fait la richesse, la valeur... Surtout quand ces deux niveaux se croisent, s'accrochent, se lient comme Félicien et Angélique, comme Séverine et Jacques aussi.




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