Le lichen invite à sortir des sentiers battus, à cultiver la lenteur et la patience contre un idéal consumériste fondé sur le désir et l'accélération du temps, à louer un modèle de croissance minimale contre l'hybris d'une croissance exponentielle à tout prix ("travaillerons nous toujours à nous procurer d'avantage et non parfois à nous contenter de moins ?", écrit Thoreau dans Walden, annonçant son éloge du lichen comme modèle de vie ascétique), à retrouver une articulation avec le local contre l'ivresse de la globalisation effrénée qui habite chacun de nos plus petits gestes, dans les battements de nos téléphones et de nos réseaux sociaux.
Défi de la classification, mais aussi défi de la représentation. Frisé, effiloché, feuillu ou barbu, tuberculeux ou verruqueux, lèpre ou peau d'éléphant, dentelle ou coupelle, croûte granuleuse, plaque presque invisible sur l'écorce ou la pierre, lianes tombant des branches, petites saillies ou mini-écussons, coraux, tentacules, antennes, tubes ou écailles, poudre ou cendre, le lichen est polymorphe, il est un laboratoire de formes.. Il est en soi un paysage, une invitation à la métaphore et à la créativité verbale, mais aussi une invitation au toucher.
Retrouver une humilité, non pas face à une nature démesurément grande et transcendante, écrasante, mais pour mieux lier éthiquement nos actions à notre milieu, à notre Terre, à un "nous".
L’humilité, c’est aussi étymologiquement, ce qui nous ramène à la terre, au « ras du sol »: l’humilité c’est l’homme; l’humilité, c’est l’humus, notre origine et notre destin.
Non pas mondialiser, mais mondifier . C’est- à -dire ne pas rechercher ce qui fait mondial, ce qui permet de toucher le monde dans son ensemble, au risque de la dispersion et de l’uniformisation, mais ce qui fait monde, la profondeur, la complexité et l’écologie jusque dans les petites choses qui nous entourent ( ce qui justement s’oppose à l’idée de mondialisation et de croissance).
Il y a une "résistance minimale" dans le fait d'écrire de la poésie encore et malgré tout. Pour combien de personnes ? pour cent, deux cents lecteurs ? C'est fou! On n'est plus dans la logique de ce monde. Et pourtant, je continue à passer ma vie, mes heures, à travailler pour cela. Il y a bien un engagement. Quant à l'espoir pour la poésie, je n'ai aucune crainte à ce sujet. La poésie s'est déjà suffisamment dégradée sur le plan de l'économie, du tissu éditorial, pour qu'il ne puisse plus rien lui arriver. ..... Donc l'espoir- on va parler d'un espoir raisonnable- existe. La poésie n'est pas un feu d'artifice qui brille, se remarque de loin, mais qui dure peu de temps. Je la vois plutôt comme une veilleuse ou un lichen.... Le lichen est habitué aux milieux hostiles. Lorsque les conditions de vie deviennent impossible. Il tombe en léthargie, pour renaître dès qu'elles reviennent acceptables. Il me semble que la poésie traverse de telles phases, sans jamais disparaître tout à fait.
(Antoine Emaz cité par Vincent Zonca)