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Critique de Myriam3


Quel livre magnifique! Je remercie tout de suite Babelio et les éditions Seuil en collaboration avec Arte pour ce récit qui suit le documentaire Les Enfants du 209 rue Saint-Maur.
Comme Perec qui avait choisi plus ou moins arbitrairement le 23 juin pour suivre les personnages de l'immeuble de la Vie Mode d'Emploi, Ruth Zylberman a choisi, elle, le très réel 209 rue Saint-Maur, dans le Xème, pour retracer leurs histoires en parallèle à la grande.
Le 209 est composé de quatre bâtiments de six étages qui se font face autour d'une cour intérieure, et il a été construit pendant le XIXème siècle. Aujourd'hui partagé entre petits appartements logeant des locataires immigrés et d'autres appartements réaménagés en lofts par de jeunes couples propriétaires, il garde la trace du temps passé et des petites gens qui y ont vécu, se succédant les uns aux autres au cours des décennies, descendant les mêmes escaliers, fréquentant les mêmes pièces communes, s'interpellant et s'épiant d'une fenêtre à l'autre tandis que des générations d'enfants jouaient à se cacher dans les longs et étroits couloirs sombres des bâtiments.
Ruth Zylberman, au cours de ses recherches minutieuses, retrouve des traces de certains locataires, photos ou articles de journaux à l'appui retraçant des moments de gloire, de bonheur, mais aussi de souffrance et de violences touchant aux faits historiques qui ont marqué leur vie de manière indélébile, la Commune et ses barricades, la grande guerre, la deuxième guerre mondiale, les vagues d'immigration, l'attentat du 13 novembre 2015.
Tous ces récits, cependant, sont largement dominés, presque étouffés par ces cinq années qui ont bouleversé à jamais la vie d'un nombre incalculable de victimes, les années 39-45. L'immeuble en effet a été habité par des résistants, des collabos mais surtout par une centaine de Juifs, des familles pour la plupart et donc, des enfants, les enfants du documentaire. Ruth parvient en tirant les fils des rencontres, à retrouver la quasi-totalité des enfants ayant survécu, et encore vivant au moment de la réalisation du documentaire. Exilés, orphelins, meurtris, ces enfants ont 75, 80 ans et ont fui le 209 rue Saint-Maur après la guerre. Ruth les rencontre, attrape des bribes de souvenirs refoulés souvent, et avec une patience incroyable, réécrit la vie de ces personnes qui ont vécu l'une des plus grandes tragédies ayant jamais existé. Etre témoin des refoulements et des stratégies mises en place pour survivre à la mort de familles entières est terriblement bouleversant. Ces personnes ont encore dans leur regard une fragilité d'enfant et une profonde tristesse, et sans aucun doute un sentiment de solitude impossible à combler.
Sous les témoignages, le 209 prend peu à peu vie. C'est une lecture étourdissante car les générations finissent par se mélanger et à vivre en parallèle les unes autour des autres, les appartements se décloisonnant, certaines portes disparaissant, des chambres ayant caché des familles entières aussi au gré des rénovations.
Les pas entendus dans l'escalier ne sont pas les mêmes pour tout le monde, ils peuvent apporter la joie et le réconfort de savoir que le père ou le mari rentre du travail tout comme ils peuvent provoquer la terreur des rafles nazis sous leur bruit de bottes.
C'est un documentaire d'une densité effroyable si on pense que ces vies ont vécu dans un seul et même immeuble: qu'en est-il de l'immeuble voisin et de ceux des rues voisines, ceux des autres arrondissements, des autres villes françaises, européennes, et du monde?
C'est un travail de rechercher incroyable que Ruth Zylberman a fait là, juste à temps avant que toutes ces mémoires directes ne tombent dans l'oubli. En lisant ce livre, j'ai vécu une expérience intense.
Merci encore à Masse critique.
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