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Critique de Diabolau


Quand j'ai attaqué ce bouquin, je dois dire que je me suis demandé un moment où l'auteur voulait en venir, alors que ces chroniques écrites au jour le jour depuis 2011 formaient un canevas un peu décousu... Et puis, au fil des pages, les pièces du puzzle se sont assemblées pour former, petit à petit, une argumentation choc et une redoutable démonstration géopolitique, qui prend d'ailleurs vraiment toute sa cohérence dans la deuxième partie de l'ouvrage.
Pour être honnête, François Janne d'Othée ne prêchait pas en terrain vierge, car j'étais déjà au courant que la réalité du terrain en Syrie n'est pas celle que les médias "mainstream" (j'utilise à dessein du vocabulaire de complotiste, et pourtant j'en suis tout sauf un !) nous présentent. Pourquoi ? Parce que je côtoie très régulièrement depuis 2016 des Syriens réfugiés et demandeurs d'asile, et que j'en ai parlé avec eux pendant des heures. S'ils se sont enfuis, inutile de vous dire qu'ils ne portent pas Bachar dans leur coeur. Nombre d'entre eux ont d'ailleurs perdu un ou plusieurs membres de leur famille sous les bombes du régime (ou russes... ou iraniennes.) Pourtant, je vous prie de croire que leur vision des rebelles n'est guère plus reluisante. Plusieurs d'entre eux m'ont dit que l'Armée syrienne soi-disant libre et les djihadistes, c'était bonnet blanc et blanc bonnet. Un m'a dit : "Je suis parti avec ma famille parce que personne n'est pour le peuple syrien. Il n'y avait d'espoir d'aucun côté." Un autre, trop jeune pour avoir une famille, m'a dit : "Je suis parti parce que je devais choisir un camp. J'étais obligé de m'enrôler soit avec Bachar, soit avec l'ASL, soit avec al Nosra, soit avec Daesh. Pas possible de rester neutre, mais il n'y a pas les gentils et les méchants. Ils sont tous méchants."
Quand on a été abreuvé pendant 5 ans de la vision de ce conflit telle que filtrée par les occidentaux et leurs intérêts géostratégiques, on a sans doute l'impression que l'auteur est "pro-Bachar", ou qu'en tout cas il a un parti pris, même s'il s'en défend. Moi-même, si je n'avais pas eu ces longues discussions avec des Syriens, je l'aurais sans doute cru aussi.
Et pourtant, il ne dit rien de tel. Il dit et répète que Bachar est bien un dictateur, sans doute volontiers sanguinaire (beaucoup de despotes le sont), puisque prêt à tout pour sauver son régime. Mais il dit aussi que sur l'échelle dictatoriale, il est sans doute bien en-deçà de ce que proposeraient les "rebelles" qui lui sont opposés, puisque lui au moins a une notion de ce que peut-être une certaine forme de laïcité, de respect des minorités et même... de respect de la femme.
Non, le monde n'est pas noir et blanc. Le manichéisme est un très mauvais conseiller, et même un "dictateur sanguinaire" peut avoir certaines "qualités". Et surtout, surtout : rien n'est simple, mais rien n'est moins simple qu'une guerre, et en particulier une guerre civile. S'il suffisait, pour sauver un peuple martyr, d'intervenir avec nos gros sabots dans un pays étranger pour virer un dictateur et le remplacer par "quelqu'un qui convient mieux à notre vision des choses", cela se saurait, non, depuis le temps qu'on essaye ?
On pourrait reprocher à François Janne d'Othée d'avoir mené l'ensemble de son enquête en zone contrôlée par le régime, et de ne pas avoir, comme d'autres, pénétré en terrain rebelle pour se faire une idée en vis-à-vis. Mais ce serait malhonnête, car comme il l'explique très bien, le régime de Bachar ne donne plus de visa à ceux qui ont franchi le Styx, et son travail était conçu comme un travail dans la durée, avec des témoins qu'il souhaitait revoir régulièrement. Sans doute donne-t-il beaucoup la parole à des gens pour lesquels Bachar est un sauveur, ou un mal nécessaire, et moins la parole à des gens pour lesquels c'est un bourreau. Mais d'une, les premiers n'ont pas eu souvent la parole dans nos chers médias, et de deux, les seconds sont, malheureusement, souvent morts ou en prison, car rappelons-le, Bachar reste un dictateur !
Un livre précieux, donc, un livre courageux parce qu'à contre-courant de la pensée dominante : non, l'auteur ne sert pas la soupe à Bachar, il essaie juste de faire son métier de journaliste, qui, comme il le dit à un moment, "n'est pas de chercher à plaire ou à déplaire à qui que ce soit", mais de tenter de s'approcher d'une vérité nécessairement complexe.
Un livre qui nécessite sans doute de ne pas être complètement profane sur le sujet, mais qui est tout de même accessible à tous ceux qui sont, on va dire, un minimum informés.
Un livre concis, aussi, qui peut donc convenir avantageusement à ceux qui ont envie de mieux connaître les dessous de cette triste affaire sans non plus y passer des dizaines d'heures.
Merci aux éditions Riveneuve et à Babelio pour ce livre lu dans le cadre de la Masse Critique.
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