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Critique de AlbertYakou


Par un hasard étonnant, je n'avais jamais lu La Peau de Chagrin. A mon âge (que vous ne connaissez pas) n'est-ce pas une honte ? Bref, j'ai voulu remédier à cette lacune quand j'ai exhumé de ma bibliothèque une vieille édition de 1936.

Je ne crois pas que l'édition y soit pour quelque chose, car il est douteux que l'on change la pagination d'un auteur, mais j'ai été surpris par la longueur des paragraphes (plusieurs pages parfois) qui donne l'impression de lire un texte sous apnée. Nul moment, ou très rarement, pour reprendre sa respiration et souffler avant de repartir. Il faut avancer comme dans une dense forêt, se frayer un chemin à la machette et la tenir bien en main sous peine d'abandonner. La structure du roman est du reste à l'avenant : 3 chapitres pour 254 pages (pour cette édition).

Même chose pour les dialogues, en particulier dans le second chapitre qui n'est qu'un long monologue du héros, à peine interrompu ici et là par de courtes interventions de ceux qui l'écoutent raconter sa vie, parfois sur cinq ou six pages en continue. Seul le troisième et dernier chapitre est plus aéré.

Et je dois l'avouer, moi qui aime l'aération, l'épure et la simplicité (raison pour laquelle je n'ai jamais vraiment accroché avec les auteurs russes), ce fut dur au début. J'ai même cru (oserais-je l'avouer ?) que j'allais abandonner. Mais il y a un fil que l'on tient malgré tout, et que l'on ne veut pas lâcher. L'art du romancier y est certainement pour beaucoup.
Le style est étonnant, certes. Foisonnant à l'extrême, exubérant, grandiloquent, bourré de références littéraires, mythologiques, sociales et politiques, avec des phrases parfois interminables structurées en multiples niveaux, il dégage une vitalité et une ardeur peu commune. Un peu trop pour moi (pour être très franc). Mais impressionnant.

Comme j'avais relu il y a peu madame Bovary et très impressionné par le style de Flaubert, je lui avoue une préférence pour sa plus grande délicatesse, sa plus grande discrétion et sa plus grande subtilité. Mais ce Balzac, nom d'un chien, emporte tout sur son passage comme un ouragan, c'est sa force.

Et de quoi s'agit-il donc dans cette peau de Chagrin ? Une aventure bien étrange à la frontière du fantastique, plutôt une sorte de conte philosophique qu'un roman, où sont brassés pêle-mêle des thèmes universels, dont celui du désir qui brûle l'âme et la dévore jusqu'à la mort. Vaut-il mieux vivre rétréci, sans affect, dans un calme plat ennuyeux, ou se vautrer dans la société jusqu'à l'avilissement pour arracher des parcelles de vie, de plaisir et de richesse ?
Feodora répond à la question à sa manière. Elle est froide, dure, implacable, impénétrable, manipulatrice, insensible, mais surtout finalement horriblement superficielle, toute en façade, seulement préoccupée par sa seule image. Elle est un reflet cruel de la société qui l'entoure où tout est factice. Elle ne désire rien ni personne, seule sa place l'intéresse.
Pauline est pure, vraie et sincère, et son désir lui paraît si inaccessible qu'elle ne le revendique même pas. Elle vit sans Peau de chagrin, dans une attente modeste et discrète. Son bonheur lui revient trop tard quand Raphael aura été diaboliquement perverti par la recherche de ses chimères. Car sa quête perpétuelle de l'inaccessible, son âpreté dans le désir le détruit peu à peu, et son échec puis finalement sa chute vient d'une réussite imméritée, où ni le travail ni le mérite ni la sincérité n'a eu de part.
Il ne mérite pas ce qu'il désire et aperçoit trop tard celle qui lui était destinée (Pauline), le véritable amour, si proche et si simple en vérité, mais dédaignée au moment où tout était en encore possible. le temps ne se rattrape pas, il rétrécit comme une Peau de chagrin et nous entraine vers notre propre disparition.
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