L'ouvrage que nous propose l'auteur portugais est, d'après l'encyclopédie en ligne, inspiré de la vie de
Calouste Gulbenkian, un arménien roi du pétrole et autodidacte de la pensée artistique raffinée et libérée. Tous les commentaires qui suivent concernent donc le personnage fictif de Kaloust Sarkisian, héros de ce roman très bien écrit.
Si vous souhaitez le lire, stoppez ici, sinon c'est du divulgâchis.
Ce livre relate de belle manière le parcours de ce personnage répugnant dont la puanteur morale s'étale le long des pages de ce roman peut-être biographique.
Parti de rien, arrivé au pire, une seule ambition : réussir sa vie, c'est à dire voler, tricher, humilier, corrompre et prostituer.
Ce jeune parvenu chrétien de Turquie quitte son village d'Arménie avec sa famille pour espérer une vie meilleure que celle de beau-fils de banquier dans ce pays qui sent que les puissances alentour cherchent à le dépecer et va donc s'en prendre aux minorités pouvant menacer son existence. Ce scénario est fort bien documenté dans l'histoire mais ce sont toujours les civils les plus démunis qui paient l'addition, les Sarkisian et autres marchands de tapis banquiers trouvant toujours le moyen d'échapper au pire. Et ensuite d'écrire ou de faire écrire le récit de leurs aventures puisqu'ils fabriquent aussi l'histoire, ils en ont bien sûr les moyens contrairement aux vraies victimes qui y ont laissé leur peau.
Ce roman à la gloire de cet être abject permet en tout cas au lecteur d'appréhender une partie de l'histoire de l'Empire Ottoman dans sa fin de vie : relations conflictuelles entre les Turcs et leurs anciennes possessions en révolte soutenues par les puissances occidentales : les Bulgares, les Grecs et les Arméniens bien sûr, ce qui aboutira aux « évènements » concernant ces derniers.
Un roman bien documenté donc et s'appuyant sur du factuel : l'arrivée du pétrole, des moteurs à combustion, de l'électricité. Les pays producteurs, sous la tutelle des états européens colonisateurs, sont parcourus par les sociétés en vue d'exploration des riches sous-sols : les empires pétrolicofinanciers se créent avec l'aide des puissances que l'on connaît : Angleterre (Anglo-Persian Oil Company) , Etats-Unis (Standard Oil), Pays-Bas (Royal Dutch Shell).
Chaque état européen se préparant à la guerre avec son voisin, puisque les autres peuples sont déjà tous colonisés, veut contrôler ses approvisionnements, et il faut jouer serré pour s'enrichir dans cette géostratégie.
C'est dans ce contexte que le héros du livre construit sa fortune.
L'arménien Kaloust dont on nous dit dans son hagiographie que la motivation est la recherche de la beauté, la trouve d'abord dans la pédophilie.
Aidé d'une prostituée dont il a fait sa maquerelle (une française qu'il a acheté alors qu'il n'était que fils de riche), il utilise le corps de toutes les jeunes filles mineures dont les mensurations et les couleurs et texture de peau lui conviennent (n'oublions pas que c'est un artiste) :
« -Vous disposerez d'un fonds de roulement à cet effet. Tant pour les convaincre que pour les remercier lorsqu'elles atteindront dix-huit ans »
Le sublissime héro de cette épopée se rend compte de la difficulté à dissimuler sa vraie nature :
« – Mais attention, je ne pense pas que l'art doive être moraliste. Cela lui ôterait la beauté. »
Il faut dire à sa décharge que sa femme, choisie par notre héros à 11 ou 12 ans pour accéder à la condition de banquier, une certaine « Nunuphar » (traduction arménienne de Nunuche ?) est admirablement renvoyée dans ce roman à un rôle accessoire de poule pondeuse (de la génération suivante : Krikor même parcours que son géniteur ?) obéissante et gloussante :
« Comme toutes les femmes arméniennes, elle savait qu'elle devait obéir à son mari »
« À Paris, Nunuphar passait une grande partie de son temps chez les soeurs Callot, la grande maison de mode où se concentraient les meilleurs couturiers de France »
La messe est dite.
Son argent lui permet donc tout (encore aujourd'hui via la littérature) et il semble (tome 2 pas encore lu, j'ai hâte) avoir désormais les moyens de devenir un grand collectionneur d'oeuvres d'art (autres que mineures, c'est déjà fait dans le tome un).
Ce roman est fort bien écrit, se laisse lire et permet à un lecteur d'aujourd'hui de s'apercevoir que les comportements dévoilés de personnages comme Epstein, Weinstein et autres artistes ... ne sont finalement pas toujours considérés comme graves par certains et sont même loués par les mêmes au regard de la célébrité et de la notoriété acquise.
Un beau roman sur la turpitude en somme.
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