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Sophie Pointurier : Attention, femmes libres !  
Interview de Sophie Pointurier pour son roman Femme portant un fusil 

Article publié le 22/08/2023 par Anaelle Alvarez Novoa

Tarn - Hameau à vendre avec 4 maisons, 2 granges, 2,5 hectares de prés. Pas de voisins proches. €320k FAI. Une annonce immobilière et quatre femmes… Il n’en fallait pas plus pour rêver en grand et changer de cap. Portées par leurs déceptions, leurs révoltes et leurs espoirs, Claude, Harriet, Élie, Anna décident de tout quitter pour un projet à la hauteur de leurs espérances, un lieu d’accueil pour des femmes par des femmes. Mais tout bascule lorsque Claude doit répondre du meurtre d’un homme.

 

Roman de l’utopie et de la riposte, Femme portant un fusil (HarperCollins, collection Traversée) nous entraîne aux confins de la violence. Celle des femmes : celle qu’elles vivent et celle qu’elles infligent. Un point de vue original et engagé qui nous a donné envie d’en savoir plus sur l’autrice et son univers à travers ces quelques questions. 

 

 


Vos héroïnes, Claude, Harriet, Élie et Anna, sont autant de femmes qui questionnent le rapport à la violence et à la féminité mais aussi et surtout le rapport au monde et à la société en remettant en cause les modes de pensée et de vie dominants. On serait tenté d’inscrire ce roman dans une démarche féministe tout comme La Femme périphérique, votre précédent livre qui se penchait sur les femmes en tant que grandes oubliées de l’art. Pour vous, l'écriture doit-elle être politique ?

Nous écrivons toujours de quelque part, dans un contexte social et politique que nous ne pouvons plus feindre d’ignorer. J’écris de mon point de vue de femme, et les questions qui me traversent concernant notre place dans la société émergent naturellement dans mes livres.

 

Je ne suis pas la première à dire que nous manquons cruellement d’héroïnes, encore aujourd’hui, dans la fiction, la littérature. J’ai voulu replacer les femmes au centre de la narration et sortir des carcans narratifs habituels concernant les personnages féminins (la femme du héros, la prostituée, l’inconnue assassinée ou la fille de 20 ans), pour ouvrir le champ des possibles à Claude, Harriet, Élie et Anna. Ensemble, elles vont s’affranchir de ce qui est attendu d’elles, elles vont recréer leurs propres règles et ne plus se contenter du peu de légitimité qu’on leur laisse.


Votre récit est très documenté, des premières béguines aux mouvements féministes des années 1970, on plonge dans l’histoire de ces communautés de femmes engagées en quête de liberté. Quels ont été vos sources et votre parti-pris pour donner corps à votre intrigue ? Quelle place avez-vous accordée à la fiction face au réel ?

J’ai voulu m’inscrire dans une continuité de travaux et de récits qui avaient du sens pour moi. C’est le livre de Françoise Flamant, Women’s Lands, qui a été à l’origine de mes recherches sur les terres de femmes. J’ai ensuite beaucoup lu sur les terres séparatistes, les utopies féministes, les ZAD, les béguines, les récits de femmes engagées dans des luttes politiques et révolutionnaires. Le texte contient de nombreuses références (ouvertes ou cachées) à des œuvres, des autrices, des chansons, mais aussi à des témoignages de femmes et à des faits divers. Même l’annonce de la vente du hameau a été trouvée sur un site immobilier.

Le roman joue avec les codes de la fiction dès l’avertissement et se termine par un article tiré de la presse régionale. J’ai pris le parti d’utiliser une majorité d’éléments du réel et de les mêler à la fiction pour proposer ma version d’une réponse utopique. La violence que je décris n’est pas inventée, elle existe et il ne tient qu’à nous de la regarder en face.


Si vos héroïnes sont camarades d’utopie et de riposte, elles sont aussi et surtout amies. Était-il important pour vous d’aborder les rapports entre femmes à travers le prisme de l’amitié ?

Dans leur aventure commune, Claude, Élie, Harriet et Anna vont se lier d’amitié avec l’achat du hameau. Elles n’ont ni le même âge ni les mêmes vécus, et j’ai voulu explorer avec elles la diversité des liens possible lorsqu’il n’est pas question de couple. Dans les livres ou dans les films, les femmes sont trop souvent envisagées dans un rapport de rivalité. Or, lorsque les femmes se retrouvent entre elles, sans le regard des hommes, il se passe souvent des choses très intéressantes : elles ont l’espace d’explorer ce qui les lient, ce qu’elles ont en commun, et elles prennent conscience de leur force.

 

L’écrivaine et poétesse Audre Lorde a été une source d’inspiration. Dans Transformer le silence en paroles et en actes, elle écrit : « Mes silences ne m’avaient pas protégée. Votre silence ne vous protégera pas non plus. [...] je suis entrée en contact avec d’autres femmes, et, ensemble, nous avons recherché des paroles s’accordant au monde auquel nous croyons toutes, construisant un pont entre nos différences. Et ce sont l’intérêt et le soutien de toutes ces femmes qui m’ont donné de la force, et permis de questionner les fondements mêmes de ma vie. »


Femme portant un fusil est un roman bourré de suspense. Était-il difficile de ménager une forme de tension sur toute l’intrigue alors qu’on en connaît l’issue tragique dès la première page ?

C’était un exercice qui m’a beaucoup plu, parce qu’il fallait travailler chaque chapitre de façon à maintenir une tension narrative alors que tout est annoncé dès le début.

Le manuscrit de départ n’avait pas cette forme, il était linéaire et avançait chronologiquement dans le temps. Mais cela ne me plaisait pas et je l’ai entièrement défait pour le penser autrement. Il a fallu travailler les ellipses et les bonds dans le temps tout en maintenant une cohérence générale.


Et enfin, Kate Bush et la chanson "Wuthering Heights" occupent une place importante dans votre récit. Pourquoi ce choix ? Quel lien entretenez-vous avec l’artiste ?


J’ai entendu pour la première fois "Wuthering Heights" dans mon walkman, adolescente. On m’avait offert l’album Les Années 70, les Années pop, une sorte de best-of. J’ai le souvenir très net du moment où j’ai découvert ce morceau, je marchais le long de la Garonne, et dès les premières notes de piano, le temps s’est arrêté. J’ai été saisie. La musique de Kate Bush a un pouvoir hypnotisant et ce titre a une sonorité particulière qui me fait toujours le même effet, trente ans après.

 

Quand j’ai découvert qu’il existait des rassemblements dédiés à "Wuthering Heights", où des gens du monde entier reprenaient en chœur la chorégraphie et l’esthétique de la vidéo de 1978, j’ai compris que nous étions nombreux à partager la même émotion, et qu’elle se déployait avec joie au sein de ces manifestations collectives.

 

Dans le récit, j’ai imaginé que Harriet pouvait avoir le même âge que Kate Bush, et qu’elle vivait sa musique passionnément, avec cette intensité quasi mystique qui lui est propre, parce que Harriet ne fait jamais les choses à moitié.

 

 

 


Sophie Pointurier et ses lectures 

 

Quel est le livre qui vous a donné envie d'écrire ?

Tous les livres de Colette. S’il faut en citer un : Claudine à l’école.

 

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

Vierge de Constance Rutherford.

 

Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?

Cette même citation d’Audre Lorde : « Mes silences ne m’avaient pas protégée. Votre silence ne vous protégera pas non plus. »

 

Et en ce moment que lisez-vous ?

Marie Nimier, La Reine du silence.

 

 

 


Découvrez Femme portant un fusil de Sophie Pointurier, publié chez Harper Collins, en librairie le 23 août 2023

 

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