13 juin 2022
« Cest une sorte de dystopie ou les rapports de genre sont inversés, dans un monde dirigé par des femmes et où les hommes font office de chair fraiche. »
On a adoré écouter Ovidie nous parler de sa série, Des Gens Bien Ordinaires, disponible sur CANAL+
La beauté et la soumission sexuelle sont les seules choses que nous ayons à monnayer contre une bonne situation ou contre un capital social, une particule ou un poste, et pourquoi pas contre des papiers, puisque les hommes sont prêts à croire, en toute bonne foi, qu'une jeune fille de la moitié de leur âge, rencontrée en Thaïlande, pourrait tomber amoureuse de leur gros bide. Leur capacité à se mentir à eux-mêmes me fascine.
Le problème est que casser une norme pour en imposer une autre n'est jamais libérateur.
Je ne dis pas que tous les hommes sont des violeurs. Je dis que tous les viols sont commis par des hommes.
7. « "Aimer, c'est essentiellement vouloir être aimé", pour reprendre la formule lacanienne. Or, dans mon cas, les dés sont pipés dès le départ. Ce n'est pas moi qui suis aimée, mais un personnage créé de toutes pièces. Lorsqu'un homme me rencontre pour la première fois, son jugement est perturbé par ce qu'il connaît de moi via la presse ou Internet. Finalement, ce n'est pas d'Éloïse dont il tombe amoureux, ni encore d'Ovidie, mais de l'image qu'il se fait d'Ovidie. Et je sais parfaitement qu'un amour construit à partir d'une image factice, d'une représentation, d'une idéalisation, est voué à l'échec. Quand bien même cet homme apprendrait à me connaître, il serait rattrapé par l'image que les autres, ses amis, sa famille, ses collègues, se font de moi. […] Et s'il prenait le temps de me découvrir, il serait certainement déçu de constater que je ne suis "que" ça, une Éloïse beaucoup moins sulfureuse que le personnage d'Ovidie que j'ai créé, que je n'ai au quotidien rien de puissant ni de flamboyant, que la personne qui s'exprime avec aisance devant un micro se terre facilement dans le silence et ne parle qu'à ses chiens une fois les caméras éteintes. » (pp. 130-131)
La liberté sexuelle, c'est la liberté de disposer de son corps. (...) Mais c'est aussi la liberté de ne pas en avoir envie, sans passer pour une ringarde.
Il ne faudrait pas non plus passer pour des méchantes sorcières misandres, des féministes poilues, qui, c'est bien connu, finiront seules avec leur chat.
1. « Avec cette grève du sexe et ce début de quarantaine, je ne peux m'empêcher d'interroger sur ma valeur sociale en tant que femme. Car ce qui détermine la cote d'une femme dans notre société, c'est sa baisabilité, effective ou symbolique. On croit que le rôle assigné aux femmes est d'abord de devenir mères. Puis de devenir des 'working mums' accomplies. C'est d'ailleurs cocasse, sur les réseaux sociaux, ces internautes qui se définissent comme "mompreneures" dans leur bio. Quelle hypocrisie, quand on sait qu'au fond notre rôle de femme hétéro est en premier lieu d'être baisable et de tirer profit de cette baisabilité. Non pas par de l'argent liquide, mon Dieu non, quelle horreur, cela ferait de nous des putains. Et la société déteste les putains, leur lucidité nous insupporte, parce qu'elles savent depuis longtemps ce que nous refusons de voir : que l'hétérosexualité est un travail gratuit. Oui, nous, hétérosexuelles, sommes des putes gratuites, que nous nous vendions à un seul homme ou à la masse. Nous refusons catégoriquement les transactions en cash, qui sont un peu trop honnêtes, trop contractuelles, sans enrobage. Il nous faut des roses et de l'amour. Vous comprenez, il est impératif de faire perdurer cet immense mensonge selon lequel les relations affectives ou sexuelles seraient désintéressées. Or, je le dis haut et fort, l'hétérosexualité n'a rien de gratuit, c'est un système purement vénal, et depuis que le monde est monde, les femmes échangent le sexe contre quelque chose. Des biens matériels, de la sécurité, de l'amour, de la revalorisation. Elles ne baisent jamais totalement gratuitement avec les hommes et ce pour une simple raison : les hommes hétéros baisent mal. » (pp. 22-23)
J'éviterai égalent de commenter le twerk que je peinais à cerner jusqu'à ce qu'une de ses adeptes ne m'explique qu'il s'agissait à l'origine d'une danse abortive censée aider les femmes à décrocher les embryons non désirés. J'adore l'anecdote, mais je reste dubitative face à la mise en scène des nanas à quatre pattes twerkant dans des jacuzzis à côté de mâles très fiers d'étaler leur pognon de parvenus et boire du champagne en prenant des poses prétendues viriles. Je doute que les rappeurs y fassent l'apologie de l'avortement.
2. « Je n'en peux plus d'être une matière à pétrir, à modeler sans fin, de faire de mon corps entier un sexe à convoiter. Au fond, durant ces longues années, je n'ai pas aspiré à être belle dans l'absolu, ni même belle selon mes propres goûts, mais uniquement belle à leurs yeux, selon leurs critères d'excitation. Si encore la servitude se limitait à la beauté... Mais être belle ne suffit pas, il faut surtout être bandante, comme si l'érection était le pôle d'orientation de notre existence. Nous sommes tyrannisées par notre quête désespérée et obstinée d'être au cœur du désir des hommes. Et cette quête est délétère, car elle nous condamne à n'être définies que par l'axe d'un désir extérieur, et à nous entre-jalouser. Je ne veux plus de ce rapport destructeur aux autres femmes. Je veux me réjouir de leur beauté et de leur réussite, qui ne me retirent rien. Je ne veux plus être obsédée par la rivalité, m'imaginer que le seul moyen de me distinguer des autres est d'exceller dans la soumission à ces diktats quitte à me laisser aliéner. Et j'attends le jour où nous prendrons enfin collectivement conscience qu'on nous divise pour mieux nous soumettre, où nous jetterons aux ordures nos gélules mange-graisse, nos escarpins qui font saigner les pieds et nos tangas qui nous rentrent dans la raie du cul. » (pp. 34-35)
3. « La difficulté consiste justement à reprogrammer ses fantasmes. Quand on a toujours fait de soi un objet, comment fantasmer sur autre chose que le simple fait d'être désirable ? Car c'est cela que l'auto-sexualité apporte, une forme d'autarcie, de plaisir en circuit fermé, on ne peut compter que sur soi. Lorsque le folklore de la superputain a disparu, que reste-t-il ? Les premiers mois, c'est facile, il suffit de penser à ce qui a toujours marché, de suivre sans trop réfléchir sa petite routine masturbatoire. Mais il arrive un moment où on parvient enfin à se libérer de ses représentations, à se désintoxiquer de l'hétérosexualité, et où les anciens fantasmes ne fonctionnent plus. Quand on arrête le sexe, ce qui nous déclencherait un orgasme en quelques minutes, voire en quelques secondes, nous laisse à présent de marbre : c'est notre façon de désirer qui change. Il nous faut alors reconstruire notre imaginaire. Pour ma part, pendant ces rituels solitaires, j'ai fini par ne plus penser qu'à des femmes ou à des hommes transgenres. Et là, dans cet espace mental qui n'appartient qu'à moi, je me sens maintenant libérée d'un poids.
Me masturber en pensant aux hommes, je trouve que c'est encore leur faire trop d'honneur. » (pp. 46-47)