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Critiques de Cahiers du Genre (3)
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Femmes et droits de propriété

Le sexe de la propriété et des richesses patrimoniales



Dans leur introduction, Fatiha Talahite et Randi Deguilhem indiquent un croisement de deux problématiques, « une interrogation sur l’accès des femmes à la propriété dans le monde contemporain » et « une réflexion issue de notre collaboration dans le cadre d’un séminaire sur le waqf ».



Elles soulignent la nécessité de replacer le droit de propriété dans la diversité des systèmes de droits. Elles abordent le waqf comme donation à perpétuité à une œuvre d’utilité publique, la propriété « féminine en islam », les droits de propriété rattachés « aux systèmes dits ‘coutumiers’ », les approches féministes des droits de propriété, les courants socialiste et libéral, les transformations historiques des droits et des usages…



« De nos jours, derrière l’égalité juridique formelle, ces inégalités se perpétuent, dissimulées par l’apparence neutralité du droit, marquant une continuité historique dans la domination patrimoniale dont les femmes font l’objet ».



Les autrices présentent les différents articles. « Une des interrogations qui traversent ce dossier est de savoir ce que les femmes perdent et ce qu’elles gagnent dans le passage au droit moderne de propriété ».



Il convient de prendre en compte le prisme du genre, les usages, les différences au sein des régimes de droit coutumier, les effets du droit positif dans tous les lieux de droit, les codifications et les interprétations, les effets de la colonisation sur la souveraineté foncière des collectivités, la destruction de droits collectifs liée à l’appropriation individuelle privée, les caractéristiques du droit de propriété moderne et la transformation des biens matériels et immatériels en actifs mobiles, cessibles sur des marchés…



Sommaire :



Dossier femmes et droits de propriété



Fatiha Talahite et Randi Deguilhem : Genrer l’analyse des droits de propriété



Fatiha Talahite : Pour une économie politique genrée des droits de propriété



Sibylle Gollac : Le genre caché de la propriété dans la France contemporaine



Frédéric Mertens de Wilmars : L’exclusion des femmes d’une communauté de pêcheurs espagnols. « Qui a un fils a une propriété, qui a des filles n’a rien »



Katerina Melissinou : Uniformisation et infortunes de la dot (prika) en Grèce



Yasmine Berriane et Karen Rignall : La fabrique de la coutume au Maroc : le droit des femmes aux terres collectives



Chantal Ndami : Les agricultrices et la propriété foncière en pays bamiléké (Cameroun). Un droit foncier coutumier en tension



Hors-champ



Johanna Renard : Récits d’avortements et subjectivation féministe chez Audre Lorde et Diane di Prima



Solène Froidevaux : Interactions avec la matière. La production du genre dans un tramway



Chantal Morley et Isabelle Collet : Femmes et métiers de l’informatique : un monde pour elles aussi



Quentin Ravelli : Mixité au travail et nouvelles inégalités : le cas de l’industrie pharmaceutique



Je ne souligne que certains éléments présents dans les différentes analyses.



Il est nécessaire d’analyser les racines historiques de l’inégal accès à la propriété pour les femmes, les codifications imposées par les colonisations, les effets contradictoires de la Convention des Nations unies pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes et en particulier le creusement des inégalités de genre et la destruction de divers systèmes d’organisation des droits…



Fatiha Talahite souligne « la tendance actuelle est à la généralisation du mode occidental de la propriété privée ». Elle discute de l’inégalité des richesses selon le sexe, de la question de l’accès à la propriété, des principes de justice « s’arrêtant aux portes du foyer », de la Common Law britannique et du droit dit continental, des politiques historiques de limitation des droits des femmes mariées, de la gestion masculine des biens, de suppression de la personnalité juridique et de la privation des droits, des réformes des régimes matrimoniaux, du travail domestique, des normes islamiques avant et après les colonisations, des réformes agraires et de redistribution de terre sans prise en compte de la dimension de genre, du marché foncier agricole, de la suppression de droits fonciers coutumiers et du contrôle accru exercé par des hommes, des communs… L’égalité néolibérale du droit de propriété lucrative n’est pas compatible avec l’égalité des individus, des femmes et des hommes…



Sibylle Gollac indique que le rôle du patrimoine et de sa transmission dans la structuration des rapports sociaux de sexe et de classe est généralement peu analysé (la contestation du droit d’héritage est rare). Elle aborde, entre autres, la question des droits de propriété et des modalités d’exercice de ces droits en terme de genre, le droit de propriété comme forme de pouvoir, l’exclusion de certains biens dans l’assiette fiscale, la déclaration par foyer fiscal et non par individu et ses conséquences pour les femmes, les communautés de biens, la transmission du nom, les impacts sur les femmes dans les ménages populaires de l’achat du bien d’habitation, l’inégalité de droits de propriété, « Le droit et son apparente neutralité jouent ainsi un rôle non négligeable à la fois dans la domination patrimoniale des femmes et dans son invisibilisation »…



J’ai été particulièrement intéressé par l’article concernant l’exclusion des femmes d’une communauté de pêcheurs espagnols, le redoli et l’inégalité successorale, le privilège donné à la continuité de la famille, le choix de la justice de retenir la discrimination à l’accès au travail sans égard à la discrimination sexuée des droits liés à la propriété, « Le Tribunal a rejeté cette privation qui confine les femmes à l’espace domestique – et paradoxalement privé ! – et qui les assimile à un statut d’objet et non à celui de sujet de droit – et donc les maintient dans une dépendance vis-vis de l’autre, l’homme »…



Les autres articles du dossier traitent :



– de la dot (prika) en Grèce, de l’uxori-matrilocalité, des systèmes de résidence et de dévolution des biens, du lien entre l’ainée et la maison de la mère, des structures idéologiques « liées à la reproduction biologique de la famille et à la construction de l’individu femme », de la diversité historique « des formes et des pratiques d’accès à la propriété sous l’angle des rapports de genre »…



– de la fabrique de la coutume au Maroc, du droit des femmes aux terres collectives, de l’institutionnalisation coloniale du « droit coutumier », de l’uniformisation bureaucratique, « L’institutionnalisation de la coutume a donc figé des pratiques et des rapports de pouvoir qui prenaient auparavant des formes diverses et étaient flexibles », de la codification du droit fondé sur la charia et la restriction des marges de manœuvre des tribunaux religieux avant la colonisation, du mouvement des soulaliyates, de la tutelle, des processus historiques et de l’imbrication des droits coutumier et positif « qui ont contribué à institutionnaliser le système d’exclusion des femmes », des interêts et privilèges qui « sous-tend la structure actuelle du gouvernement des terres collectives »…



– des agricultrices en pays bamiléké (Cameroun), de la contradiction « entre le rôle essentiel des femmes dans la production alimentaire familiale et la précarité de leurs droits sur les terres agricoles », des systèmes de régulation propres au régime foncier coutumier bamiléke, du rôle de l’accès à la terre dans l’autonomie des femmes, des effets de la colonisation, de la monoculture du café, du développement du vivrier marchand, de l’ineffectivité du droit de propriété foncière pour les femmes…







Je souligne aussi le texte de Johanna Renard sur les récits d’avortement, « nous montrerons comment, entre construction et réinvention de soi, ces textes, font de cette expérience un épisode pivot dans le processus de subjectivation politique et artistique ». L’autrice parle d’« un esprit de rébellion radicale et une pratique expérimentale de l’art poétique », du corps et des sensations, du tabou et de « l’atrocité de cette réalité connue de toutes », de la prise du pouvoir des médecins sur les corps des femmes, d’expérience solitaire, de choix autonome, de subjectivation…



J’ai particulièrement apprécié l’article sur la production du genre dans un tramway, les interactions au quotidien qui paraissent anodines, « Quelles sont les pratiques et les interactions avec les objets fixes des femmes et des hommes et sont-elles genrées ? Quels objets personnels sont amenés dans ces lieux publics, par qui, et quelles en sont les conséquences sur les interactions ? En quoi permettent-ils d’avoir une lecture plus fine de la réalité sociale et des actions « en train de se faire » ? », la division sexuelle des objets et des outils, la non-neutralité des interactions, les comportements, le fait de regarder et d’être regardée, les gestes spécifiques et privilégiés, l’écartement des jambes et l’occupation mâle de l’espace, les sacs, la scénographie genrée de l’espace du tram…



Les autres articles traitent, entre autres, des processus d’exclusion et d’auto-exclusion, de la construction sexuée des compétences et des motivations, des mesures d’inclusion pérennes, des nouvelles inégalités et de la mixité au travail, des discours égalitaires et des apparences de justice, de l’occultation des relations de domination, des fonctions considérées comme féminines, de la sexuation des tâches et de leur tournure domestique, de mixité inégale…
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Cahiers du genre nø30 : configurations fami..

Nouvelles configurations familiales et maintien de l’assignation des femmes au travail domestique



En introduction, Jacqueline Heinen aborde, entre autres, les nouvelles configurations familiales, la dissociation des termes de la parenté et de la filiation, le « principe de la primauté, voir de l’exclusivité des liens avec le père et la mère ». Elle rappelle que la paternité a « toujours été un acte social ».



L’éclatement de la cellule familiale étroite donne une importance plus grande « au désir d’enfant » et « à la dimension élective des rapports adultes-enfants » et souligne les contradictions imprégnant le droit de la famille dans la plupart des pays occidentaux.



Si de nombreuses recherches sont effectuées autour de la « pluriparentalité », il n’en est pas de même sur « les déplacements induits par les nouvelles configurations familiales en termes de rapport sociaux de sexe ». Et c’est donc cette dimension qui est traité dans ce Cahiers du Genre, à travers diverses configurations familiales dans quelques régions du monde.



Contrairement aux réactionnaires (dont les participant-e-s, religieux ou non, à la mal-nommée Manif pour tous, revendiquant ouvertement l’inégalité des droits entre couples et individu-e-s) qui fonde en « nature » et en « éternité » la construction sociale qu’est la famille, niant de fait ses modalités historiques, la famille a été et est une « réalité mouvante ». La référence à une famille nucléaire comme cellule sociale de base universelle et atemporelle est une vision fantasmatique ou mythique. Il convient donc de sortir des cadres de pensées ethnocentrés et prendre en compte combien la « tradition » varie en fonction du contexte historique, géographique, socio-politique…



Il faut donc d’étudier les relations, nécessairement variables, les conflits, les tensions, entre individu-e-s inclu-e-s dans ces organisations nommées « famille ».



Jacqueline Heinen analyse les bouleversements intervenus dans les rapports familiaux depuis les années 70, l’histoire et le geste d’adopter, les liens sociaux tissés entre adulte(s) et enfant(s). Elle parle du poids des rapports sociaux de sexe, de la « sphère domestique », de la division du travail, de l’assignation des femmes aux tâches dites domestiques (tâches répétitives, fastidieuses et sans fin), de cette « répartition » des « activités ménagères » restant « traditionnelle », des statuts distincts de « père » et de « mère », de l’« asymétrie » des places des unes et des autres, des renégociations des statuts et des rôles des femmes au sein des familles dans certains contextes et… dans les recompositions familiales de l’alourdissement de la charge éducative et domestiques pour les femmes…



Je n’aborde que quelques éléments analysés dans certains textes.



Sylvie Cadolle analyse les charges éducatives qui pèsent sur les femmes dans les familles recomposées, la faible expérimentation de « parentalité novatrice », les attributions (très majoritairement négociées) de la résidence des enfants… aux femmes, la dégradation économique de la grande majorité des mères après le divorce, la recherche des hommes pour maintenir un pouvoir sur la mère (voir par exemple, Pierre-Guillaume Prigent : Les mécanismes de la violence masculine contre les mères séparées et leurs enfants). Elle instiste sur le divorce comme « une étape dans leur autonomie vis-à-vis des hommes ».



Familles recomposées, pères séparés n’assurant « ni suivi, ni surveillance », hommes « permissifs et indulgents », voulant « d’abord se faire plaisir », pères agissant « comme des enfants », « beau-père» en abstention et « à la belle-mère un rôle impossible de mère idéale »… Le tout entrainant une « gestion ménagère alourdie » pour les femmes. Sans oublier que les uns et les autres trouvent normales « la patience et la disponibilité » déployées par ces femmes.



Colombie, explosion urbaine et violences, près d’un « chef de ménage sur deux est une femme » entrainant « une expansion du rôle social des femmes ». Marie-Dominique de Suremain souligne l’absence de l’Etat, le report des tâches sur les femmes, « les faisant passer progressivement de l’invisibilité à la surcharge chronique ». Elle analyse les « besoins pratiques sexués », le déplacement de « l’effort social » des hommes vers les femmes, et ce que les hommes, dans leurs rapports aux enfants, « considèrent comme un manque ». Elle revient sur les mythes et réalité de la paternité, le peu de préparation des garçons à « se montrer responsable », les tensions et les ruptures familiales, la résistance masculine aux changements et les réactions des femmes aux formes de violence « découlant de l’incapacité des hommes à s’adapter à de nouveaux rôles ». L’auteure insiste sur les effets de la socialisation masculine, l’enrôlement dans les bandes, la « fascination de la mort et du pouvoir armé » (dimension, qui pourrait être reprise je pense, pour expliquer des choix de djihadistes), les conséquences des processus d’exclusion, ou la banalisation de la mort…



J’ai été notamment intéressé par l’article de Bui Thi Thanh Thao sur les soins et la place de la « famille », la division du travail particulière, « Le travail habituellement effectué par les aides soignantes en France est donc assuré en grande partie ici par la famille, avec ponctuellement l’aide des femmes ou hommes de ménage qui assurent l’hygiène et le nettoyage des locaux, les tâches « ménagères ». »



Réduction des budgets des hôpitaux publics, pénurie de personnel dont des infirmières, salariat et division sexuelle du travail, disponibilité de l’« entourage », rapports socialement construits des corps et de l’intimité.



Je souligne aussi l’article sur l’impact des migrations, les mutations des rapports familiaux, cas des femmes originaires de Turquie, « Le fait de gagner leur vie bouleverse les normes traditionnelles selon lesquelles la femme, à la campagne, était considérée surtout, comme une aide à disposition du mari ou de la famille. En tant qu’immigrées, les femmes prennent conscience de leur capacité à travailler et à vivre de façon autonome », les effets différenciés sur les mères et sur leurs filles, les conséquences de l’accès « égalitaire au système de soins », la « renégociation des rôles »…



Heini Martiskainen de Koenigswarter analyse l’impact de la personnalisation des prestations (sans oublier l’imposition personnelle des conjoint-e-s) et des congés parentaux en Finlande, la construction sociale des rôles maternel et paternel, les effets des modes de garde des enfants en âge préscolaire, les congés de naissance, les modèles familiaux et les « mères fatiguées »…



Les autres articles, non abordés ici, permettent d’élargir le champ de réflexion, de réfléchir sur le « cœur dur » des rapports sociaux de sexe, du système de genre, (encore ?) peu « affecté » par les modifications de configuration de l’association « conjugale » de personnes.
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Cahiers du Genre :Féminisme(s) recompositions..

Sans détailler la totalité de ce numéro hors série 2006 des Cahiers du Genre, je voudrais attirer l’attention des lecteurs et des lectrices sur la qualité de cette livraison.



Entre autres, Wini Breines interroge les raisons pour lesquelles un mouvement femmes interracial ne s’est pas développé aux USA et pourquoi des oppositions importantes ont divisé des groupes de féministes noires et des groupes de féministes socialistes blanches à Boston.



Diane Lamoureux examine les rapports des jeunes féministes à leurs aînées pour faire ressortir des caractéristiques de la troisième vague féministe.



Françoise Gaspard replace les débats « le foulard de la dispute » dans les contextes national et international pour comprendre leurs intensité et tenter d’expliquer la fracture qu’ils ont provoquée au sein des féministes.



Sandrine Dauphin compare les politiques étatiques d’égalité en France et au Canada en faisant ressortir l’impasse délibérée, la non prise en compte des rapports sociaux de sexe dans l’élaboration des politiques dites d’égalité.



Je voudrais souligner la qualité de réflexion et la pertinence des argumentations de deux articles.



Josette TRAT étudie le statut de la responsable féministe dans les organisations mixtes et le recul de la place du féminisme dans les politiques et les actions de groupes radicaux. « Mauvaise tête et femme divisée » comment ne pas reconnaître certaines militantes dans ce court article qui souligne la nécessité de se bagarrer en permanence pour que le féminisme ne soit pas simplement un supplément d’âme pour les organisations mixtes, y compris la LCR.



Suzy ROTMAN et Maya SURDUTS, à partir des débats sur le voile, de la critique de la mouvance queer et de l’exemple du Collectif national pour les droits des femmes soulignent la nécessité pour les féministes de tenir bon face à l’atomisation et aux replis individualistes dans la période de régression sociale que nous vivons. Elles insistent sur le caractère systémique de l’oppression des femmes, de la globalité des luttes à mener, tout en réaffirmant les liens entre féminisme, luttes de classe et combats antiracistes.
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