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Citation de SZRAMOWO


Dans ce temps, le pâté de maisons entre la tour Saint-Jacques et la place du Châtelet n’était pas encore abattu. C’est là que se trouvaient les vieilles rues Saint-Jacques-de-la-Boucherie, de la place aux Veaux, de la Lanterne, etc. C’était sale, gris, vieux, décrépit, étroit. En levant les yeux, on voyait toujours au-dessus des pignons le haut de la tour, avec son lion ailé, son bœuf griffon et son vieux saint Jacques, qui vous regardaient comme au fond d’une citerne.



Les jours ordinaires, lorsque les porteurs d’eau, les marchands d’habits, les chanteurs en plein vent, entourés de monde, les lavandières de la Seine, les gens de la Halle et du marché des Innocents allaient, venaient, criaient dans un rayon de soleil, c’était bien. Mais un jour de pluie, au milieu des pavés soulevés, cela changeait de mine.



La première chose que je fis, ce fut de regarder par-dessus la barricade, du côté du quai, et chacun peut se figurer mon étonnement, en voyant les troupes en colonne à deux cents pas de nous, les sapeurs en tête, le grand bonnet à poils carrément planté sur les sourcils, le large tablier de cuir blanc descendant de l’estomac jusqu’aux genoux, le mousqueton en bandoulière et la hache sur l’épaule, prêts à marcher.



Oui, cette vue m’étonna. J’aurais tout donné pour avoir un fusil ; mais ma surprise fut encore autrement grande en regardant les camarades, et, pour dire la vérité, je n’ai jamais revu leurs pareils. Ils étaient une quinzaine ; un vieux tout blanc, la poitrine débraillée, le nez en crampon, la bouche creuse ; les autres, des hommes faits, et deux garçons de dix à douze ans : tout cela couvert de boue, trempé par la pluie, des souliers éculés ; quelques-uns en blouse, d’autres en veste, et même deux ou trois sans chemise.



Notre barricade n’avait pas plus de trois ou quatre pieds de haut ; la pluie qui tombait formait des deux côtés une mare où l’on enfonçait jusqu’aux genoux. Ces gens entraient dans une allée à gauche, pour charger cinq ou six vieilles patraques de fusils à pierre, et deux grands pistolets mangés de rouille, qu’ils venaient décharger ensuite de minute en minute sur les sapeurs, en riant comme des fous. Il leur fallait du temps pour mettre la poudre, pour déchirer une mèche de la blouse qui servait de bourre, et serrer la balle. Chaque coup retentissait dans ces boyaux comme le tonnerre.



De temps en temps il partait aussi quelques coups de fusil d’autres barricades aux environs, qu’on ne voyait pas ; des feux de peloton leur répondaient.



Jamais on ne se figurera rien de plus triste, de plus sauvage, de plus terrible que cette espèce de massacre dans des recoins détournés, sous la pluie continuelle. Le crépi des vieux murs pleuvait, les volets détraqués se balançaient à leurs gonds, les enseignes étaient criblées. Ces pavés entassés en triangle vous représentaient un véritable coupe-gorge, quelque chose d’effrayant et de sinistre.
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