« Tu es libre, lui dit-elle, libre de reprendre la triste vie normale. Je ne te demande rien. Je sais que tu es un petit fonctionnaire de l’amour. Je sais que ta platitude est obscure et vide et que, lorsque tu tires ton coups, il n’y a même pas d’écho. Tu as beau relever ta crête, comme un coq sur son fumier, tu te sens perdu et, parfois, ta faiblesse t’angoisse.
« Et moi, je te propose de te perdre vraiment, de te perdre dans un monde effroyable et immense, qui te captera et te tuera.
« Tu m’appartiendras, bien au-delà de la vie. Alors le sortilège se produira, toutes les portes de l’amour s’ouvriront d’elles-mêmes sur une nuit illimitée et les forces arcaniques de l’irrationnel et de l’éternité pénétreront et, enfin libérés, s’accompliront tous les rites, dans une fulgurance de sang, de souffrance, d’humiliation, d’anéantissement et de joie suprême. Car je serai, souverainement, maîtresse, et tout le mal que je te ferai est celui que tu attends obscurément. »
Le silence pesa. Son corps connut une douleur sale, un effondrement cruel et bienheureux, l’effroi de la solitude. La fée toute puissante l’oublia ce soir-là sur la litière des bêtes.