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Citation de enkidu_


S’agissant du Christ « historique », le pouvoir dont il s’agit est en relation directe avec la doctrine du shubbiha la-hum de Cor, 4, 157, par laquelle est expliquée en Islam la mort apparente du Christ : cette expression signifie littéralement « il a été fait pour eux une image analogue », ce qui veut dire qu’après la Crucifixion la « nature divine » du Christ s’était retirée de sa forme corporelle pour rejoindre le centre subtil « vital » de son étant individuel ; ou encore, pour reprendre les termes de Jandî, que Jésus avait « transporté avec lui par son action de présence » la forme qu’il avait quittée dans le monde sensible de sorte que c’est une forme analogue à celle du supplicié qui était sortie du tombeau « le troisième jour ».

Une fois de plus, on constante combien les divergences et les querelles théologiques sont factices et artificielles(1). En effet, si la doctrine exposée ici est ignorée des exotéristes musulmans (qui s’imaginent que ce n’est pas le Christ qui a été crucifié mais un sosie au sens habituel du terme) tout autant que des théologiens chrétiens, elle est néanmoins parfaitement connue dans le Tasawwuf et l’on en retrouve aussi de nombreuses traces dans le dogme chrétien. Ainsi, la parole du Christ en croix Eli, Eli, lamma sabaqta-nî : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est celle que la forme humaine adresse à la nature divine quand celle-ci l’a « précédée »(2) dans le centre vital en l’abandonnant dans le domaine extérieur et sensible. D’autre part, la victoire du Christ sur la mort ne s’opère pas au moment de la Résurrection, ainsi que le suggère la présentation théologique habituelle, mais à l’instant même où il expire en disant : « Père, je remets mon esprit entre Tes mains ».

On oublie trop aisément que le Symbole de Nicée, entre les mentions « est mort et a été enseveli » et « le troisième jour, est ressuscité d’entre les morts » affirme que le Christ est « descendu aux Enfers », lieu qu’il ne faut pas confondre avec le séjour des damnés puisqu’il correspond en réalité aux Limbes, cette région proche du Paradis où, selon la perspective propre du Christianisme, les Justes attendaient d’être délivrés. C’est en tant qu’il est déjà « vivant » d’une vie nouvelle et vainqueur de la mort que le Christ opère cette délivrance afin de le faire participer à sa Résurrection et à son Ascension dans le Paradis. Enfin, la « forme analogue » assumée par le Christ après sa Résurrection explique les difficultés que ses proches et ses disciples éprouvent à le reconnaître.

Le commentaire que Qâchâni donne du shubbiha la-hum (ou, plus exactement, des mots mais plutôt Allâh l’a élevé jusqu’à Lui qui figurent dans le verset suivant) mérite également d’être cité ici : « Il a élevé (rafa’a) Isâ : lorsque son esprit a quitté le monde inférieur pour s’unir au monde supérieur. Il séjourne (désormais) au Quatrième ciel(3), ce qui est une allusion subtile (ishâra) au fait que le lieu d’origine d’où son esprit émane est la modalité spirituelle (rûhâniyya) de la Sphère du Soleil (falak ash-shams) qui est le Cœur du Monde(4) ; c’est donc aussi en ce lieu qu’il retourne. Cette modalité spirituelle est une lumière(5) qui meut cette Sphère par son amour enflammé(6), en irradiant directement ses rayons sur elle à cette fin. Comme (l’esprit de ‘Isâ) est retourné à son point d’origine(7) sans avoir réalisé la perfection véritable, il reviendra nécessairement à la fin des temps en se joignant à un corps nouveau. Alors, tout le monde le reconnaîtra. Les Gens du Livre croiront en lui(8), c’est-à-dire les Gens de la Science qui connaissent l’origine et la fin, et qui, tous, tireront leur science du dernier d’entre eux ; avant la mort de ‘Isâ, lorsqu’il s’éteindra en Allâh(9). Lorsqu’ils auront cru en lui viendra le Jour de la Résurrection, ce jour où ils apparaîtront délivrés de leurs voiles corporels, où ils ‘’se dresseront’’ et quitteront l’état d’oubli et de sommeil où ils se trouvent présentement. »

Si le Quatrième Ciel est le « centre vital »(10) du monde humain, où brille « la lumière des hommes », c’est aussi le cœur du domaine subtil où se produisent et se situent les rêves, ce qui montre l’unité profonde des développements apparemment sans lien que comporte le présent chapitre.

(1) Cf. Marie en Islam, chap. IV.

(2) C’est le sens propre du verbe sabaqa (deuxième personne du singulier : sabaqta).

(3) Cette indication est fondée sur un rapprochement implicite entre le verbe rafa’a qui figure dans ce verset et le terme rafa’ nâ-hu utilisé dans la Sourate Maryam (Cor., 19, 57) à propos d’Idrîs, le prophète qui préside au Quatrième Ciel.

(4) Cf. Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chap. LXIX.

(5) Cette lumière est celle qui, selon l’Hindouisme, définit la condition de Taijasa ; cf. L’Homme et son devenir, chap. XIII

(6) On notera la similitude de ce passage avec « l’Amour qui meut le soleil et les étoiles » de la Divine Comédie.

(7) Maqarr, terme qui comporte une idée de stabilité et de fixation : ce point d’origine est situé symboliquement sur l’Axe du Monde.

(8) Allusion à Cor., 4, 159

(9) Cette extinction finale est comparable à celle du Kalki-Avatâra ; cf. Les sept Étendards, p. 219

(10) Idrîs préside au Quatrième Ciel qui renferme « le secret de la vie » ; cf. Le dévoilement des effets du voyage, p. 40. Sur la relation entre Idrîs (Hermès) et ‘Isâ (Jésus), voir le texte de René Guénon sur Hermès. (Charles-André Gilis, pp. 202-204)
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