Nous ne sommes pas, comme les chiites, des musulmans, ni comme les chrétiens, des gens de la Bible. Pour les Arabes sunnites de Daech, nous sommes la lie de l’humanité. Nous sommes en danger, car nous, les yézidis, sommes à part. Notre religion est l’une des plus vieilles du monde. Nous n’avons pas attendu les juifs, les chrétiens et les musulmans pour n’avoir qu’un Dieu. Notre calendrier est vieux de 6 765 années. Nous avons toujours voulu nous tenir à l’écart des conflits confessionnels et politiques, mais nous avons toujours été pourchassés et massacrés parce que nous sommes différents.
Si seulement je pouvais revivre ces moments de bonheur et d’innocence, dans les petits coins de paradis de mon enfance. Gamine, je poursuivais nos canards qui gambadaient en liberté. J’ai trois ans, ma sœur Hanan vient de naître. Je me souviens de ses premiers rires et de ses premiers pleurs. Je suis convaincue qu’elle sort du puits creusé au fond du jardin. Elle ne peut venir que de ce gouffre profond et mystérieux, qui mène aux entrailles de la terre.
L’histoire se répète. Nous sommes pris dans la mâchoire d’un piège qui se referme peu à peu depuis la chute de Mossoul. L’État islamique était à nos portes. Il avait déclaré le califat et désigné son chef, Abou Bakr al-Baghdadi. Je n’avais jamais entendu parler de ce calife, qui exige de tous les musulmans de lui prêter allégeance. Quant aux mécréants, les kafir comme il nous appelle, il avait promis de les écraser.
Nous avons au fond de nous l’effroi des tragédies depuis si longtemps. Mes grands-parents, leurs grands-parents et avant eux les grands-parents de mes grands-parents en ont gardé les traces. Comme mes ancêtres, j’ai en moi cette peur venue du fond des âges, la peur du génocide. Je ne dors pas. Je crois entendre rôder un chacal dans les parages. On dit que la nuit porte conseil. Pas à moi, pas cette fois.
Nous faisions plutôt confiance aux peshmerga, ces « hommes qui n’ont pas peur de la mort » en langue kurde. Kekan avait de la bedaine. Il ne ressemblait guère à l’idée que je me faisais de Saladin, le conquérant d’origine kurde célébré par l’histoire arabo-musulmane. D’après Khero, le père de Walid, il avait la réputation de s’être bien battu contre Saddam, qui détestait les Kurdes et les yézidis, mais ses faits d’armes étaient déjà très anciens. Sa légende de combattant survivait pourtant, comme une évidence.
Les membres de Daech sont des abrutis. Ils nous disent qu'ils pratiquent l'islam des origines , mais ils renient leurs propres prophètes.
Parce que ce sont des imbéciles(Daech). Ces gens ont la haine de l'art et de la beauté humaine.