Avec un sens de la méthode bien allemand, on avait rédigé un règlement du camp, disant notamment: "Il est inutile de déposer une demande de libération auprès de la direction du camp".Cette phrase ne laissait aucun doute sur le fait que Ravensbruck devait être un lieu sans retour.
Il fallait que leur relation soit forte pour que ma mère arrive à ne pas montrer sa peur constante et le renforce continuellement dans ses convictions. Au début, oui, elle avait douté, mais elle se rangea vite de son côté : « Je ne voulais pas être un fil à la patte » dit-elle plus tard. Elle voulait rester dos à dos avec son mari pour le soutenir. « Dos à dos ? » Et non pas côte à côte ? J'ai beaucoup réfléchi à cette formulation. L'image qui s'impose à mes yeux quand j'essaie d'imaginer deux personnes dos à dos est celle d'une confiance absolue, mais elle a aussi quelque chose de défensif.
Elle eut finalement l'idée d'organiser pour elle toute seule des soirées musicales et littéraires imaginaires. Pour les concerts, elle faisait jouer dans sa tête les pièces pour piano, et des arias entières de symphonies. Pour les soirées littéraires, elle se récitait des poèmes, par exemple « La cloche » de Schiller ou des passages des pièces de Shakespeare. Toute sa culture artistique lui servait à fuir intérieurement sa situation oppressante.