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Citation de Lutopie


Mais, mon cher Glaucon, dans un État où les citoyens doivent être heureux, il ne peut pas être permis de former des unions au hasard ou de commettre des fautes du même genre, et les magistrats ne devront pas le souffrir.

En effet, cela ne doit pas être.

Il est donc évident après cela que nous ferons des mariages aussi saints qu’il nous sera possible, et les plus avantageux à l’État seront les plus saints.

Soit.

Mais comment seront-ils les plus avantageux ? C’est à toi, Glaucon, de me le dire. Je vois que tu élèves dans ta maison des chiens de chasse et des oiseaux de proie en grand nombre. As-tu pris garde à ce qu’on fait pour les accoupler et en avoir des petits ?

Que fait-on ?

Parmi ces animaux, quoique tous de bonne race, n’en est-il pas quelques-uns qui l’emportent sur les autres ?

Oui.

Veux-tu avoir des petits de tous également, ou aimes-tu mieux en avoir de ceux qui l’emportent sur les autres ?

J’aime mieux en avoir de ceux-ci.

Des plus jeunes, des plus vieux, ou de ceux qui sont dans la force de l’âge ?

De ces derniers.

Sans toutes ces précautions dans l’accouplement, n’es-tu pas persuadé que la race de tes chiens et de tes oiseaux dégénérerait beaucoup ?

Oui.

Crois-tu qu’il n’en soit pas de même des chevaux et des autres animaux ?

Il serait absurde de ne pas le croire.

Grands dieux ! mon cher ami, quels hommes supérieurs nous faudra-t-il pour magistrats, s’il en est de même à l’égard de l’espèce humaine !

Sans doute il en est de même ; mais pourquoi parles-tu ainsi ?

C’est qu’ils seront dans la nécessité d’employer un grand nombre de remèdes. Or, un médecin ordinaire, même le plus mauvais, paraît suffire, pour guérir les malades, lorsqu’au lieu de remèdes ils demandent un régime à suivre ; mais on sait que l’emploi des remèdes exige un plus habile médecin.

J’en conviens : mais à quel propos dis-tu cela ?

Le voici. Il me semble que les magistrats seront obligés de recourir souvent au mensonge et à la tromperie pour le bien des citoyens ; et nous avons dit quelque part que de semblables moyens sont utiles, lorsqu’on s’en sert en guise de remède.

Nous l’avons dit avec raison.

Ce remède ne s’appliquerait pas mal, ce semble, aux mariages et à la propagation de l’espèce.

Comment cela ?

Il faut, selon nos principes, rendre les rapports très fréquens entre les hommes et les femmes d’élite, et très rares entre les sujets les moins estimables de l’un et de l’autre sexe ; de plus, il faut élever les enfans des premiers et non ceux des seconds, si l’on veut avoir un troupeau toujours choisi ; enfin, il faut que les magistrats seuls connaissent toutes ces mesures, pour qu’il y ait le moins de discorde possible dans le troupeau.

À merveille.

Ainsi il sera à propos d’instituer des fêtes où nous rassemblerons les époux futurs, avec des sacrifices et des hymnes appropriés à ces solemnités. Nous remettons aux magistrats le soin de régler le nombre des mariages, afin qu’ils maintiennent le même nombre d’hommes, en réparant les vuides de la guerre, des maladies et des autres accidens, et que l’État, autant qu’il se pourra, ne s’agrandisse ni ne diminue.

Oui.

Je suis d’avis que le sort soit si habilement ménagé que les sujets inférieurs accusent la fortune et jamais les magistrats de ce qui leur est échu.

À la bonne heure.

Quant aux jeunes gens qui se seront signalés à la guerre ou ailleurs, entre autres récompenses, il leur sera accordé d’avoir un commerce plus fréquent avec les femmes, afin que, sous ce prétexte, le plus grand nombre des enfans proviennent de cette lignée.

Très bien.

Les enfans, à mesure qu’ils naîtront, seront remis entre les mains d’hommes ou de femmes, ou d’hommes et de femmes réunis et qui auront été préposés au soin de leur éducation ; car les charges publiques doivent être communes à l’un et à l’autre sexe.

Oui.

Ils porteront au bercail commun les enfans des citoyens d’élite, et les confieront à des gouvernantes, qui auront leur demeure à part dans un quartier de la ville. Pour les enfans des citoyens moins estimables, et même pour ceux des autres qui auraient quelque difformité[8], ils les cacheront, comme il convient, dans quelque endroit secret et qu’il sera interdit de révéler.

Oui, si l’on veut conserver dans toute sa pureté la race des guerriers.

Ils veilleront à la nourriture des enfans, en conduisant les mères au bercail, à l’époque de l’éruption du lait, après avoir pris toutes les précautions pour qu’aucune d’elles ne reconnaisse son enfant ; et si les mères ne suffisent point à les allaiter, ils se procureront d’autres femmes pour cet office ; et même pour celles qui ont suffisamment de lait, ils auront soin qu’elles ne donnent pas le sein trop long-temps ; quant aux veilles et aux autres soins minutieux, ils en chargeront les nourrices mercenaires et les gouvernantes.

En vérité, tu rendras aux femmes des guerriers l’état de mères bien facile.
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