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Citation de Lutopie


C’est maintenant, je crois, le tour de la démocratie ; il faut en examiner l’origine et les mœurs, et observer ensuite la même chose dans l’homme démocratique, afin de les comparer ensemble et de les juger.
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Eh bien, voici à peu près comment l’insatiable désir de ce bien suprême, que tous ont devant les yeux, c’est-à-dire la plus grande richesse possible, fait passer un gouvernement de l’oligarchie à la démocratie.
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Les chefs ne devant leur autorité qu’aux grands biens qu’ils possèdent, se gardent de faire des lois pour réprimer le libertinage des jeunes gens et les empêcher de se ruiner en dépenses excessives ; car ils ont dessein d’acheter leurs biens, de se les approprier par voie usuraire, et d’accroître par ce moyen leurs propres richesses et leur crédit.
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Or, il est bien évident déjà que dans un État les citoyens ne peuvent estimer les richesses et acquérir en même temps la tempérance convenable, mais que c’est une nécessité qu’ils sacrifient une de ces deux choses à l’autre.
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Ainsi dans les oligarchies, les chefs, par leur négligence et les facilités qu’ils accordent au libertinage, réduisent quelquefois à l’indigence des hommes bien nés.
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Et voilà, ce me semble, établis dans l’État des gens pourvus d’aiguillons et bien armés, les uns accablés de dettes, les autres notés d’infamie, d’autres tout cela ensemble, en état d’hostilité et de conspiration contre ceux qui se sont enrichis des débris de leur fortune, et contre le reste des citoyens, imbus enfin de l’esprit de révolution.
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Cependant ces usuriers avides, tout attachés à leur affaire, et sans paraître voir ceux qu’ils ont ruinés, à mesure que d’autres se présentent, leur font de larges blessures au moyen de leur or, et tout en multipliant les revenus de leur patrimoine, travaillent à multiplier dans l’État l’engeance du frelon et du mendiant.
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Et le fléau a beau s’étendre, ils ne veulent recourir pour l’arrêter ni à l’expédient dont il a été question, en empêchant les particuliers de disposer de leurs biens à leur fantaisie, ni à cet autre expédient de faire une loi qui détruise tous ces abus.
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Une loi qui vienne après celle contre les dissipateurs, et qui obligerait bien les citoyens à être honnêtes ; car, si les transactions privées de ce genre avaient lieu aux risques et périls des préteurs, le scandale de ces grandes fortunes usurairement amassées, diminuerait dans l’État, et il s’y formerait bien moins de tous ces maux dont nous avons parlé.
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C’est par une conduite pareille que ceux qui gouvernent réduisent les gouvernés à cette triste situation : ils se corrompent eux et leurs enfans ; ceux-ci gâtés par le luxe et l’inexpérience des fatigues du corps et de l’ame, deviennent indolens et trop faibles pour résister, soit au plaisir, soit à la douleur.
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Eux-mêmes, uniquement occupés à s’enrichir, ils négligent tout le reste, et ne se mettent pas plus en peine de la vertu que les pauvres.
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Or, en de telles dispositions, lorsque les gouvernans et les gouvernés se trouvent ensemble en voyage, ou dans quelque autre rencontre, dans une théorie, à l’armée, sur mer ou sur terre, et qu’ils s’observent mutuellement dans les occasions périlleuses, les riches n’ont certes nul sujet de mépriser les pauvres ; au contraire, souvent un pauvre maigre et hâlé, posté dans la mêlée à côté d’un riche élevé à l’ombre et surchargé d’embonpoint, en le voyant tout hors d’haleine et embarrassé de sa personne, ne penses-tu pas qu’il se dit à lui-même que ces gens-là ne doivent leurs richesses qu’à la lâcheté des pauvres ; et quand ils seront entre eux, ne se diront-ils pas les uns les autres ? En vérité, nos hommes d’importance c’est bien peu de chose !
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Et comme un corps infirme n’a besoin, pour tomber à bas, que du plus léger accident, et que souvent même il se dérange, sans aucune cause extérieure ; ainsi un État, dans une situation analogue, tombe dans une crise dangereuse et se déchire lui-même, à la moindre occasion, soit que les riches et les pauvres appellent à leur secours, ceux-ci les citoyens d’un État démocratique, ceux-là les chefs d’un État oligarchique ; quelquefois même, sans que les étrangers s’en mêlent, la discorde n’éclate pas moins.
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Eh bien, à mon avis, la démocratie arrive, lorsque les pauvres, ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, chassent les autres, et partagent également avec ceux qui restent, l’administration des affaires et les charges publiques, lesquelles, dans ce gouvernement, sont données par le sort pour la plupart.
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Voyons donc quelles seront les mœurs, quel sera le caractère de ce gouvernement. Tout à l’heure nous rencontrerons un homme d’un caractère analogue à celui-là, que nous pourrons appeler l’homme démocratique.
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D’abord, tout le monde est libre dans cet État ; on y respire la liberté et l’affranchissement de toute gêne ; chacun y est maître de faire ce qu’il lui plaît.
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Mais partout où l’on a ce pouvoir, il est clair que chaque citoyen choisit le genre de vie qui lui agrée davantage.
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Par conséquent, un pareil gouvernement doit offrir plus qu’aucun autre un mélange d’hommes de toute sorte.
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Vraiment, cette forme de gouvernement a bien l’air d’être la plus belle de toutes ; et comme un habit où l’on aurait brodé toutes sortes de fleurs, ce gouvernement bigarré de mille et mille caractères pourrait bien paraître admirable.
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bien des gens du moins le jugeront merveilleux, comme les enfans et les femmes quand ils voient des objets bigarrés.
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C’est là, mon cher, qu’on a beau jeu pour trouver un gouvernement.
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Parce que, grâce à cette grande liberté, celui-là renferme tous les gouvernemens possibles. Il semble en effet que si quelqu’un voulait former le plan d’un État, comme nous faisions tout à l’heure, il n’aurait qu’à se transporter dans un État démocratique comme dans un marché de gouvernemens de toute espèce ; et il pourrait y choisir celui qu’il voudrait et exécuter ensuite son projet d’après le modèle qu’il aurait choisi.
[...]
A juger sur le premier coup d’œil, n’est-ce pas une condition merveilleuse et bien commode, de ne pouvoir être contraint d’accepter aucune charge administrative, quelque mérite que vous ayez pour la remplir ; de n’être pas tenu non plus de vous laisser administrer, si vous ne le voulez point ; de ne pas aller à la guerre quand les autres y vont ; et tandis que les autres vivent en paix, de n’y point vivre vous-même, si cela ne vous plaît pas ; et en dépit de la loi qui vous interdirait toute fonction dans l’administration ou dans la judicature, d’être juge ou magistrat, s’il vous en prend la fantaisie ?
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N’est-ce pas encore quelque chose d’admirable que la douceur avec laquelle on y traite certains condamnés ? N’as-tu pas vu dans quelque État de ce genre, des hommes, condamnés à la mort ou à l’exil, rester et se promener en public, et, comme s’il n’y avait là personne pour s’en inquiéter ou même pour s’en apercevoir, un pareil personnage marcher comme un héros ?
[...]
Et cette indulgence de l’État, ce dégagement de tout scrupule mesquin qui lui fait dédaigner ces maximes que nous avions la simplicité de traiter avec tant de respect, en traçant le plan de notre État, quand nous disions qu’à moins d’être doué d’une nature extraordinaire nul ne saurait devenir vertueux, si dès l’enfance le beau et l’honnête n’ont occupé ses jeux, et si ensuite il n’en a pas fait une étude sérieuse… Oh ! avec quelle grandeur d’ame on y foule aux pieds toutes ces maximes ! Sans se mettre en peine d’examiner quelle éducation a formé celui qui se mêle des affaires publiques, on l’accueille avec honneur, pourvu seulement qu’il se dise plein de zèle pour les intérêts du peuple.
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Tels sont, avec d’autres semblables, les avantages de la démocratie. C’est, comme tu vois, un gouvernement charmant, où personne ne commande, d’une bigarrure piquante, et qui a trouvé le moyen d’établir l’égalité entre les choses inégales comme entre les choses égales.
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