Chant mélancolique
Entends-tu, si lointain, ma voix,
Entends-tu là-bas,
Voix d’un intense appel, voix qui sanglote,
Et par-delà le temps lègue sa bénédiction ?
Vaste l’univers, multiples les chemins
Qui se croisent imperceptiblement, s’écartent indéfiniment,
Un homme cherche, mais ses pas vacillent,
Il ne pourra atteindre ce qui est perdu.
Le dernier de mes jours approche déjà peut-être,
Déjà approche le jour des larmes d’adieu,
Je t’attendrai jusqu’à ce que ma vie s’éteigne,
Comme Rachel attendait son ami.
Traduit de l’hébreu par Bernard Grasset - p. 61
Ma source est abandonnée dans les profondeurs de la terre,
Mais ses eaux, il les a détournées,
Et de soif sans fin j’expire.
1923
Tu as posé ta main en une rêveuse caresse
Sur ma tête qui s’inclinait,
Et une douleur soudain avec son âpre fardeau
M’a serré le cœur jusqu’aux larmes.
Ainsi le destin serait sans consolation
Et la coupe à boire jusqu’à la lie ?
Un être humain près d’un être humain sur la terre
Comme une étoile près d’une étoile dans les cieux ?
De loin / Minégéd (1930)
Traduit de l’hébreu par Bernard Grasset – p. 71
Si seulement…
Si seulement des enfants, de petits-enfants –
Béni qui nous donne d’oublier la peine des années.
Long est encore devant nous le chemin – être
Grands, taciturnes et se rappeler les souvenirs.
Et si seulement des enfants, âme rose,
Cueillant l’allégresse comme fleurs dans la moisson…
Leurs mains ne se fatiguent pas, leur trésor ne se vide pas,
Et le soleil rit dans les gouttes de leurs larmes.
Shevat, 1931.
Nébo (1932)
Traduit de l’hébreu par Bernard Grasset - p. 175
Comme torrent des montagnes
À « Davar »
Comme torrent des montagnes qui, bondissant, atteint la plaine,
Il grandira, se fortifiera,
Et creusant sa voie vers la mer il ne se souviendra plus
De la pauvre source de son origine.
Ne se souviendra plus, plus de ses premiers souples méandres,
Mais à jamais et tout entier
Il est uni à la fontaine cachée entre les rochers
Et il y boit jusqu'à l'ivresse.
19 Sivan, 1926.
TIBÉRIADE. Poèmes épars, p. 45
Si j’avais imploré de toi une fraternelle caresse —
Aurais-je en vérité trop imploré ?
Mon âme était lasse d’un voyage sans but
Dans le vaste désert de la vie.
Et à qui la faute si appelle à la révolte
Ce cœur qui accepte le jugement ? —
Sur ma table, quand paraît l’aurore,
Ma dernière lettre pâlit.
Tamouz, 1929.
TIBÉRIADE. Poèmes épars, p. 77
Voici qui est clair pour moi : le signe du temps dans l’art poétique est la simplicité de l’expression. Expression simple, c’est-à-dire : expression des premiers tremblements de l’émotion lyrique, expression immédiate, avant qu’il soit possible de couvrir sa nudité dans des vêtements de luxe, soie et parures d’or ; expression dépouillée d’artifices littéraires, qui touche le cœur par sa vérité humaine, qui apaise par sa fraîcheur, dont la force permet de se graver dans la mémoire, de nous accompagner dans la vie de chaque jour et de chanter soudain de joie.
Extrait de l’article, « Sur le signe du temps », publié dans le supplément du Journal Davar au mois de nissan (mars/avril) 1927, et présent dans son recueil « Sur les rives de Tibériade ».
& repris dans l’article en ligne de Bernard Grasset, ‘‘ « Signe du temps » ou de l’esthétique du simple et du fort chez Rachel ’’, Tsafon, 78, 2019 | https://doi.org/10.4000/tsafon.2463
Liesse fugace, joie comme traîne de lézard,
La mer jaillissant entre deux murs de la ville,
Le carreau de la fenêtre étincelant de soleil vespéral,
Tout est béni !
Tout est béni, pour tout il est un chant consolateur,
En tout des signes cachés, et tout aide
A enfiler le santal de suaves paroles
D'une main imaginaire.
Tel-Aviv, 1926
(p.61)
Les cris que je hurlais, désespérée, souffrante,
Aux heures de détresse et d'abandon,
Se sont transmués en brûlant chapelet de mots
En blanc livre de mes chants.
Non un sauveur — mais tellement proche,
Non un étranger — mais tellement lointain,
Et le toucher ténu infuse
Une vague émotion.
Te souviens-tu ? Les murs se refermaient,
Et par-delà la foule indifférente
À l’entrelacs des regards se tressaient
Un pont — un signe.
Si tu me fais souffrir – bénie la souffrance,
Il y a dans le souffrir des fenêtres claires.
Ma sente parallèle aux chemins
Et mon cœur serein.