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Citation de Nastasia-B


On raconte qu'ils étaient des centaines dans ce boutre. […] Ils ne savaient vers quelle destinée leurs maîtres les déportaient. Jour et nuit, ils priaient. L'océan semblait s'étendre un peu plus à chaque invocation, s'étaler un peu plus à chaque pleur. […] Leurs maîtres les nourrissaient de moins en moins. Ils savaient qu'ils étaient perdus, qu'il y avait trop de bouches à nourrir. Leurs maîtres leur permirent de monter sur le pont et leur tinrent discours : « La terre est loin et nos vies raccourcissent… » Ils comprirent mais n'eurent pas le temps de réagir. Les armes des maîtres sortirent déjà. Ils furent poussés dans la mer, bousculés vers les flots. Seuls les plus valides parvinrent à se réfugier dans les cales. De là, ils menacèrent de crever le flanc du boutre. Les maîtres n'osèrent les en déloger. On raconte qu'ils y ont vécu des jours et des jours, qu'ils ne surent plus distinguer les soleil de la lune. On raconte que, poussés par la famine, ils ont dévoré étoffes et toiles. Surent-ils encore qu'ils étaient des hommes ? Plus aucun d'entre eux ne portait d'habits. Plus aucun d'entre eux n'osait se regarder. Leurs regards brillaient tandis que leurs âmes s'éteignaient petit à petit. Régulièrement un homme, une femme, entreprenait de crever le flanc du navire. Régulièrement cet homme, cette femme mourait d'épuisement. Les coups vibraient dans leurs veines et semblaient les atteindre au plus profond. Leurs maîtres leur proposèrent enfin de jouer leur destin à coups de dé, au hasard… Ils acceptèrent de remonter sur le pont. Furent disposés sur les bords dix cages de fer abritant chacune six personnes. Cinq cages pour les maîtres, cinq cages pour les esclaves. À chaque coup de dé perdant, une cage rejoignait aussitôt les abîmes océanes. On jouerait cinq coups.
On raconte que les deux premiers désignèrent les esclaves. On raconte que le troisième désigna encore les esclaves. Un maître lança son dé et un esclave l'attrapa au vol. Le dé ne comportait que le chiffre le plus élevé. Les maîtres ressortirent leurs armes et les embrochèrent de nouveau sur leurs sabres et leurs pointes de fer. Seuls une dizaine d'entre eux en réchappèrent et tinrent au sud du boutre. Les maîtres les y laissèrent errants, hagards, terrifiés.

Première nuit, 5 novembre 1947 : II.
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