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Citations de Raharimanana (63)


Mon cœur bat. Depuis longtemps, il battait la mesure de ma vie. Comme un son de tam-tam qui résonne dans les savanes et qui trahit la présence d'une vie. Au loin répond le chant de la mort. Je l'attends. Il viendra infailliblement. Le battement du cœur est un appel à la mort.

Première nuit, 5 novembre 1947 : I.
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Nous avons oublié, ou feint d'ignorer, que nous venons d'ailleurs, d'un ailleurs qui nous avait chassés ou poussés sur les mers à bord de nos boutres chétifs. Inventant des origines célestes, créant des mythes nouveaux, nous avons effacé notre passé, occulté notre véritable histoire. Ceux-des-rivages affirment maintenant qu'ils descendent du Prophète, que jalousés, persécutés, ils avaient préféré quitter la Terre sainte et échoué sur ces rivages. Ceux-des-cimes soutiennent que la fille de Dieu était descendue sur cette terre pour épouser leur ancêtre, le premier homme. Que disent Ceux-des-savanes, que disent Ceux-des-rochers, que disent Ceux-des-îlots, Ceux-des-fleuves, Ceux-des-sables… ? L'oubli. Rien que l'oubli. Nous avons tant fermé les yeux sur nos origines que le fil des temps s'est rompu et nous a rendus aveugles. Qui maintenant peut se targuer de connaître nos véritables origines ? Nous avons perdu notre passé et notre temps est ainsi écorché. Notre présent boitille, notre avenir dépérit.
Saurons-nous un jour que nous ne formions qu'une seule nation ?

Première nuit, 5 novembre 1947 : I.
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Cette île, Ambahy, est de tous les regrets. À mes lèvres, j'ai porté le sel de ses plages et j'ai revu de mes yeux médusés la mère que l'on nous raconte née des lumières se donner à l'océan. Elle a ouvert son ventre et l'ombre en elle s'est engouffrée.
Chante comme en une veillée de légendes :
« L'ombre a enflé le ventre de la mère et nous a créés noirs et miséreux. »
Chante encore :
« Dans le noir, nous retournerons. Dans le noir, nous retomberons. Dans le noir du ventre. Dans le noir de la tombe. »
La mère s'est effacée comme une onde sur les dunes et je me demande encore si je n'ai pas rêvé. Silence. Le vent entrouvert vomit des silences. Cette île est de tous les regrets.

Première nuit, 5 novembre 1947 : I.
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Je détournais mes regards de la fenêtre, ne savais pourquoi cet homme, Willem Rueff, s'était donné la mission de me " protéger ". Ou plutôt si ! Par vanité. Par orgueil. Pour prouver à ses collègues l'immensité de sa culture, la magnificence des aventures qu'il avait rencontré dans les colonies. « Cet homme, disait-il en me montrant, appartient à la race des nègres la plus évoluée.
Mets-toi bien en face ! Ne bouge plus… »
Il releva mon menton, tira un peu dans mes cheveux.
« Voyez ses yeux… Ne sont-ils pas bridés ? Étonnant, pour un nègre, non ? Cela démontre parfaitement cette théorie qui soutient que l'homme traverse des périodes précises d'évolution. Vous avez devant vous un homme qui perd petit à petit ses caractéristiques négroïdes pour acquérir celles de la race asiatique, située sur un échelon plus élevé. Voyez ses cheveux… Sont-ils crépus ? Sont-ils lisses ? Avez-vous déjà rencontré un nègre pareil ? Avez-vous jamais entendu parler d'une telle race sinon sur cette île extraordinaire ? […] Sur cette île se retrouve résumée l'histoire de l'évolution humaine. Cet homme que vous voyez devant vous, vous le voyez bien, est tout ce qu'il y a de plus noir de peau. Regardez-le bien ! Il brille d'un noir d'ébène. Ses yeux sont pourtant bridés, ses cheveux presque lisses et la forme de son visage approche de celle d'un Asiatique. D'autres habitants de l'île sont encore plus extraordinaires. Ils ont perdu leur couleur d'ébène primitive et sont presque aussi clairs que les Asiatiques. On ne peut même pour certains faire la différence avec un véritable Asiatique. D'ailleurs, ces hommes plus clairs sont bien plus intelligents et plus dominateurs. Partout dans l'île, ils s'affirment et imposent aux autres races leurs propres modes de vie. Acquérant les vertus de notre science et de notre civilisation, ils se rapprochent à grands pas de l'échelon supérieur. »

Troisième journée, 7 novembre 1947 : II.
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Nous étions Ceux-des-savanes ou Ceux-des-cimes, nous étions Ceux des rivages, Ceux-des-forêts ou Ceux-des-épines… Nous sommes convenus d'occuper cette terre. Les uns ont émigré vers le sud, remonté vers l'ouest, les autres se sont retournés vers l'est puis ont gagné le nord. Ceux-des-cimes ont coupé vers le centre et occupé les collines. Quand au bout de nos migrations nous nous sommes retrouvés, nous ne nous sommes pas reconnus. Les une ne croyaient plus aux autres, les autres ne toléraient plus les uns. Nous nous sommes déchirés, battus.

Première nuit, 5 novembre 1947 : I.
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On raconte qu'ils étaient des centaines dans ce boutre. […] Ils ne savaient vers quelle destinée leurs maîtres les déportaient. Jour et nuit, ils priaient. L'océan semblait s'étendre un peu plus à chaque invocation, s'étaler un peu plus à chaque pleur. […] Leurs maîtres les nourrissaient de moins en moins. Ils savaient qu'ils étaient perdus, qu'il y avait trop de bouches à nourrir. Leurs maîtres leur permirent de monter sur le pont et leur tinrent discours : « La terre est loin et nos vies raccourcissent… » Ils comprirent mais n'eurent pas le temps de réagir. Les armes des maîtres sortirent déjà. Ils furent poussés dans la mer, bousculés vers les flots. Seuls les plus valides parvinrent à se réfugier dans les cales. De là, ils menacèrent de crever le flanc du boutre. Les maîtres n'osèrent les en déloger. On raconte qu'ils y ont vécu des jours et des jours, qu'ils ne surent plus distinguer les soleil de la lune. On raconte que, poussés par la famine, ils ont dévoré étoffes et toiles. Surent-ils encore qu'ils étaient des hommes ? Plus aucun d'entre eux ne portait d'habits. Plus aucun d'entre eux n'osait se regarder. Leurs regards brillaient tandis que leurs âmes s'éteignaient petit à petit. Régulièrement un homme, une femme, entreprenait de crever le flanc du navire. Régulièrement cet homme, cette femme mourait d'épuisement. Les coups vibraient dans leurs veines et semblaient les atteindre au plus profond. Leurs maîtres leur proposèrent enfin de jouer leur destin à coups de dé, au hasard… Ils acceptèrent de remonter sur le pont. Furent disposés sur les bords dix cages de fer abritant chacune six personnes. Cinq cages pour les maîtres, cinq cages pour les esclaves. À chaque coup de dé perdant, une cage rejoignait aussitôt les abîmes océanes. On jouerait cinq coups.
On raconte que les deux premiers désignèrent les esclaves. On raconte que le troisième désigna encore les esclaves. Un maître lança son dé et un esclave l'attrapa au vol. Le dé ne comportait que le chiffre le plus élevé. Les maîtres ressortirent leurs armes et les embrochèrent de nouveau sur leurs sabres et leurs pointes de fer. Seuls une dizaine d'entre eux en réchappèrent et tinrent au sud du boutre. Les maîtres les y laissèrent errants, hagards, terrifiés.

Première nuit, 5 novembre 1947 : II.
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Contre mousquets, alcools, soies ou verreries, nous leur avons défriché nos forêts pour présenter ébènes et palissandres. Ceux-des-savanes ont cru qu'ils pourraient les aider à étendre leur royaume et à freiner la puissance de Ceux-des-cimes, tandis que Ceux-des-cimes acquéraient leurs sciences de la guerre. Nous n'avons pas pensé un instant qu'il fallait nous retrouver et nous reconnaître de nouveau. Nous n'avons pas su qu'ils avaient proclamé ce sol comme étant le leur dès qu'ils y avaient posé leur stèle et leur croix ! Ce sol que nos ancêtres avaient sanctifié et conquis ! Nous n'avons pas su ou voulu croire qu'ils venaient vers nous non comme un homme vers un autre homme mais comme un maître vers son esclave. Ainsi agissons-nous pourtant les uns contre les autres. Nous n'avons pas su qu'ils niaient notre humanité même. Mais à cela étions-nous vraiment préparés — nous qui nous croyions auparavant seuls hommes sur Terre ?

Première nuit, 5 novembre 1947 : I.
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Avais-je le droit de dire que mes bras ne pouvaient secourir que d'autres hommes qui semblaient me correspondre, car compatriotes, car habitant les mêmes terres ? Ne ressemblais-je pas à ces gens qui ne voulaient vivre qu'entre eux et qui écartaient les autres ?

Cinquième nuit, 9 novembre 1947 : I
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“Voici la nuit, voici mon univers. C’est un univers de silence. De silence, oui ! On écoute le silence comme on écoute une femme murmurer “je t’aime”. Voluptueux ce silence, sensuel, doux, comme une prière que ressentent tous les fibres du corps.”
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En vérité elle m'effraie, cette volonté d'imposer à tout prix sa propre vision des choses : « Multipliez-vous et répandez ma parole sur toute la Terre… »

Deuxième nuit, 6 novembre 1947 : I.
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Nous y croyions, au départ des coloniaux. Nous n'en doutions nullement. Ne pouvions concevoir que venant de si loin ils puissent décréter cette terre comme étant la leur. Ne pouvions même pas comprendre comment cette idée avait pu germer dans leur esprit. Est-ce par ce Dieu qui leur recommande de peupler toutes les terres ? Est-ce par cet orgueil qui les porte et qui les incite à ne pas supporter d'autres cultures, d'autres façons de vivre ?
Je tentais d'expliquer à mes compagnons comment ils se massacraient mutuellement dans leur pays. Je tentais de leur décrire l'horreur des tranchées et la barbarie de leurs affrontements. Le silence me répondait. Seulement le silence. L'incompréhension…
Je me rends compte maintenant de combien nous avions manqué de lucidité, de combien nous avions oublié qu'ils n'étaient que des hommes, en réalité ! Des hommes qui rêvaient de conquête ! Des hommes qui brûlaient de désir de puissance ! Nos ancêtres avaient débarqué sur ces rivages. Migrants. Étrangers. S'y étaient installés. Enracinés. Jusqu'à oublier que la graine donnant les racines venait d'une autre terre, d'une autre contrée. Loin. Très loin d'ici. Désir d'affirmer et de croire que notre propre puissance s'assimile à celle que libère cette terre que nous foulons ! Nos rois n'avaient pas hésité à nous vendre pour assouvir ce même désir ! Nos peuples n'avaient pas hésité à s'affronter pour le contrôle d'une plaine ou d'un cours d'eau ! Les coloniaux étaient juste venus d'un peu plus loin, avaient utilisé d'autres moyens, d'autres dieux…
[…]
Quelle est cette idée d'appartenance qui nous pousse à nous entre-tuer ? À effacer toute trace ne convergeant pas dans notre sillage ? Peut-on décréter que toute terre ne doit correspondre qu'à une race, qu'à une nation, qu'à une civilisation ?

Sixième journée, 10 novembre 1947 : I
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Je m'effondre et pleure en silence. Ils disent aux villages que les coloniaux sont revenus, qu'ils ont brûlé, fusillé, traqué les rebelles et les sorciers. Me souviens… Une femme… Le manche d'une sagaie plantée dans son ventre brûlait encore. Près d'elle, un chien léchait le lait de ses seins qui avait coulé et s'était figé sur sa poitrine. Plus loin, son enfant gisait la tête éclatée. « Ainsi meurent les coloniaux », criions-nous. Nous nous repliâmes, le feu derrière nous. Me souviens, dès le lendemain de l'insurrection, de ces jeunes gens que l'on arrêtait, membres du parti ou simples valides, de ces vieillards que l'on disait influents et qui ne songeraient qu'à contester les bienfaits de la civilisation… Me souviens de mon amour gisant sur les rails, lourd des balles qui l'ont criblé, de mes pas que je frayais dans ceux des autres et qui dérivaient mon âme dans une défaite sans limites. Me souviens de ce corps — tant aimé — que je traînais et que je prétendais jeter au ravin. Je passais entre les tirailleurs, tête courbée, humilié. Les cheveux de mon amour balayaient le sol rouge de latérite et de sang. Je m'éloignais vers la forêt…

Première nuit, 5 novembre 1947 : I.
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Je traverse des plaies et des blessures. Je marche sur du sol qui s'effondre. Je m'y enfonce, en retire des peaux de bête que Konantitra coud à même ma peau. Elle y inscrit des douleurs. Elle y inscrit nos souffrances, notre histoire...
Je dérive vers les nuits. Ne suis plus que rêve, que tracée des temps qui s'effile dans les songes. Trébuche mon souffle sur des caillasses obstruant mes poumons - crache ! crache ! -, trébuche mes pas sur la plage lourde d'obscurité. Je rejoins mon passé.
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Nour, ton nom pourtant signifie lumière. Ton maître l’a-t-il su ? S’en souciait-il d’ailleurs quand il t’a « requise » chez tes parents, que ses semblables avaient pourtant affranchis des années plus tôt ? Effort de guerre pour la « Mère patrie » ricanait-il…
Transcrire. Tout transcrire... Des murmures arrachés au vent. Des chuchotements qui se délivrent de sous la pierre. Et ces on-dit, ces héritages de l'ouïe, quand des origines ne se délivrent qu'étouffement et résonance incertaine, quand des origines se confondent mythes et vérités, vie et désir d'existence...
Que fut notre histoire pour que nous ne la confiions qu'aux rumeurs des temps?
Que sera-t-elle? Irrémédiablement déformée, interprétée au bon vouloir du présent...
Oui, transcrire. Tout transcrire. Mais voudra-t-on me croire un jour? Le présent n'arrête pas de réédifier son passé pour justifier ses réalités...
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Te raconterai-je un jour l'histoire de ces enfants qui du haut de la falaise s'élançaient pour franchir l'horizon ?
Te raconterai-je leurs corps qui s'écrasaient contre les récifs et qui se déchiraient en sang sur les vagues tranchantes ?
Te raconterai-je leurs yeux si brillants qu'ils brûlaient leurs âmes ?
J'ai vu, mon amour, ces enfants insensés qui retraçaient dans leurs chutes les figures de l'abîme. Ils disparaissaient dans l'eau et plus rien ne semblait rappeler leur souvenir.
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Les lèvres de Nour sont noires et plus jamais ne viendra s'y reposer un seul mot. Taisez-vous donc !
[...]
Nour est le double de mon âme, la recréation de mon souffle... la reprendrai dans mon haleine, serai d'elle l'émanation. Qui oserait nous tuer une deuxième fois ? Qui ?
[...]
Allez-vous en ! Dispersez-vous ! Acceptez que des hommes prennent le sang de vos enfants mais soyez maudits si vous permettez qu'un dieu s'approprie à jamais leurs âmes !
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Tu gis. Détruite déjà. Il me semble ne rien ressentir qu'une lucidité froide et cruelle. Tu te décomposes comme se décompose toute chair morte. Tu éclates comme charogne sous ces vents qui te déchirent. Je ne t'ensevelis. Je ne t'enterre. Cette terre brûle. Elle est souillure par tout ce sang qui l'imbibe. Je ne peux ni ne veux t'offrir à elle. Je me dépouille de mes larmes, m'écaille de ma conscience. Je retourne mes mains et délivre les mouches qui s'en vont avides sur tes lèvres. Je t'embrasse. Elles éclatent les mouches vertes entre nos bouches unies. Elles éclatent et lubrifient de leurs chairs broyées nos baisers fous, nos étreintes sordides.
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Nuit qui se déchire et qui se lacère à l'aube des lucidités, sur des paupières qui se ferment aux songes. Me verse doucement dans l'ombre froide qui s'ouvre nue sur les pierres. Le soleil dénude le monde et, par pudeur, le vent souffle dans les sables, aveugle les yeux. Je reprends mes pas et les précipite sans fin sur toutes mes errances. Que l'ombre est lente à nous prendre...
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C'est peut-être cela la pauvreté.
Ne pas pouvoir essuyer sa morve. Ne pas avoir un mouchoir en poche. Propre. Bien repassé par sa mère. Brodé par elle. Avec son nom écrit dessus.
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Quelle est cette idée d'appartenance qui nous pousse à nous entre-tuer ? A effacer toute autre trace ne convergeant pas dans notre sillage ? Peut-on décréter que toute terre ne doit correspondre qu'à une race, qu'à une nation, qu'à une civilisation ?
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