AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Saint-Simon (40)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Mémoires

Il y a quelques années, ayant fini ma lecture du Journal littéraire de Léautaud, je décidai de m'attaquer aux Mémoires de Saint-Simon, dont le nom revient si souvent dans les pages de ce journal. Édition Jean de Bonnot en 20 volumes. La foule innombrable des personnages, le marécage des généalogies, les subtilités sans fin de l'Étiquette, la syntaxe souvent obscure, le vocabulaire désuet, les phrases d'une demi page, etc., le tout sans aucune note de bas de page : j'abandonnai au bout d'un tome et demi. J'y avais cependant trouvé quelques plaisirs et me promettais d'y revenir dans une version élaguée, à ma mesure. Comme j'ai bien fait !



Si cette lecture demande parfois un certain effort, du moins pour moi, elle m'a souvent apporté un rare plaisir de lecture, parfois même de la jubilation. On est bien loin d'une prose académique, patiemment sculptée, ciselée, désincarnée et artificielle par trop de travail; tout le contraire. Saint-Simon écrit, selon le mot De Chateaubriand, « à la diable », sans souci esthétique, uniquement préoccupé d'écrire vrai. La syntaxe est souvent baroque, les phrases comme des serpents, les répétitions nombreuses, mais bizarrement agréables, les énumérations d'adjectifs sans fin ou l'expression brillamment condensée, l'image, la comparaison frappante, les mots parfois manquants, oubliés, la plume ne pouvant suive une pensée trop vive, qui passe parfois brusquement au présent de narration... C'est cette spontanéité mélangée à un talent naturel qui rend son style, et quel style ! si particulier, si original, si vivant. Lui qui n'avait comme préoccupation en écrivant ses Mémoires que de servir à l'histoire de son temps...



Curieux de tout, historien et commère (« Je me suis peut-être trop étendu sur cet article : les singularités curieuses ont fait couler ma plume. »), passant des considérations historiques ou morales à l'anecdote piquante, mêlant grande et petite histoire, au fil du souvenir et du passé revécu, Saint-Simon n'est à mon avis jamais meilleur que quand il sort de son « impartialité », qu'il sait lui même impossible, et laisse ses passions prendre le dessus, notamment dans les portraits et peintures des caractères, des grandeurs et des bassesses, des vices et des vertus.



On entend souvent : « Il faut avoir lu... ». C'est une phrase assez stupide : les goûts et les couleurs... Mais je crois vraiment que pour qui s'intéresse un tant soit peu à la Littérature, il faut lire du Saint-Simon. Au passage, cette anthologie de 1400 pages, un sixième des Mémoires, est excellente : préface, note sur l'édition, notes de bas de page (en bas de page, pas à la fin comme chez Folio, ces cons !), index... Je ne peux que la conseiller.
Commenter  J’apprécie          4620
Mémoires, tome 1

L'édition de La Pléiade sur laquelle nous nous sommes appuyés comporte sept tomes d'épaisseur inégale et couvrant la période historique allant de la dernière décennie du XVIIème siècle jusqu'en 1723, date à laquelle, avec la mort de Philippe d'Orléans, le Régent, Saint-Simon décide de se retirer en ses terres.



Le premier tome évoque une décennie toute entière, de 1691, année où Saint-Simon prend son premier commandement dans l'armée, sous le maréchal d'Humières, jusqu'en 1701 qui vit, selon le mémorialiste, finir "tout le bonheur du Roy." L'ensemble comporte pas mal de scènes militaires mais c'est la vie à Versailles, avec les intermèdes de Marly et de Fontainebleau, qui tient la vedette. En un cortège incroyable de vie, Saint-Simon ressuscite ce qu'il connaît du Grand Siècle, à savoir les années Maintenon, dont Louis XIV demeure toujours le centre. Mais ce n'est plus le Louis XIV fringant des grandes amours avec Melle de La Vallière, puis avec Mme de Montespan : le monarque n'a pas seulement mûri, l'homme aussi a vieilli - et pas en bien.



Très vite, le lecteur prend conscience des sentiments ambivalents que porte à ce roi si absolument royal un Saint-Simon qui l'admire pour son faste, son panache, son amour du grand et du beau mais ne peut en même temps lui pardonner d'avoir introduit la bourgeoisie aux conseils en "faisant" un Colbert et un Louvois et encore moins d'avoir tout fait pour placer ses enfants bâtards au-dessus, ou à tout le moins au même niveau, que les Princes du sang. Ce premier volume s'ouvre d'ailleurs pratiquement sur le mariage de Melle de Nantes, la dernière des filles que Louis XIV avait eues de Mme de Montespan, avec le duc de Chartres, fils de Monsieur, le duc d'Orléans, frère du roi, et d'Elizabeth-Charlotte, princesse palatine.



A partir de cet épisode, Saint-Simon prend son envol - et son style avec lui. Car ce premier tome, c'est aussi une prise de contact avec une manière d'écrire qui fait voisiner, avec une superbe indifférence, un langage archaïque, encore fixé au milieu du siècle, et un art proprement extraordinaire et des plus modernes de restituer des scènes d'un point de vue non pas historique (Saint-Simon me pardonne ! Wink ) mais indéniablement subjectif et littéraire.



Avec une humilité qui lui était plus habituelle qu'on ne le croit, Saint-Simon avouait lui-même "ne pas savoir écrire." Il est vrai que, si l'orthographe chez lui est relativement respectée, tout ce qui est accord, des verbes, des adjectifs, des pronoms, etc ..., se présente dans une débandade aussi somptueuse que fantaisiste. Pour résumer le style de son illustre prédécesseur, Chateaubriand dira : "Il écrivait à la diable pour la postérité." Et le lecteur ne peut qu'acquiescer tant l'image rend bien cette impression que l'on a très tôt d'être emporté en croupe par un Saint-Simon lancé au grand galop parmi les phrases qui n'en finissent plus de tourbillonner et les images saisissantes que l'on prend en pleine figure comme on prendrait des rafales de grand vent frais.



Saint-Simon ne savait peut-être pas écrire mais une chose est certaine : il aimait écrire et cet amour lui donne du génie. Il est d'ailleurs l'un des rares mémorialistes au monde qu'on lit aussi pour son style.



Comment rappeler tous les moments forts, tous les portraits incroyables que contient ce premier tome ? Vous en trouverez l'essentiel dans notre rubrique : "Ce Pays-Ci ou A La Découverte de Saint-Simon." Signalons cependant quelques passages qui peuvent interloquer, voire ennuyer le lecteur moderne : tous concernent soit les complexités de la généalogie, soit les distinctions du protocole, comme par exemple, presque à la fin du volume, l'explication en long et en large des différents degrés de grandesse en Espagne. A part cela, Saint-Simon reste un auteur incontournable, à lire absolument, au même titre qu'un Balzac ou un Proust, pour ne citer que ces deux grands noms de notre littérature. ;o)
Commenter  J’apprécie          190
Mémoires, tome 1

Pour entrer dans l'univers de Saint-Simon, il n'est peut-être pas conseillé de s'acheter le premier volume de la Pléiade, et de l'ouvrir à la première page en espérant aller jusqu'à la dernière du dernier volume. Nous, lecteurs contemporains, nous n'avons peut-être plus les mêmes capacités d'attention soutenue que nos ancêtres, et le zapping est devenu une seconde nature. Il vaut mieux, pour ceux que cela concerne, se procurer un ou deux volumes d'extraits et de morceaux choisis, tels que les excellents publiés par Folio (Yves Coirault l'a composé) ou Garnier Flammarion, prendre le goût de la prose du mémorialiste, s'amuser aux anecdotes pour lesquelles il n'a pas son égal, et quand la température est prise, se lancer dans la lecture au long cours. Cette lecture n'est en rien un ennui, car si parfois la matière nous semble étrange, la langue, le souffle, le phrasé de l'auteur sont inimitables et c'est un parfait bonheur de s'entendre raconter par lui telle usurpation des bâtards du roi, telle intrigue ou telle cérémonie dont l'intérêt propre n'est pas toujours certain. Le charme opère, il suffit de le laisser opérer.
Commenter  J’apprécie          112
Mémoires, tome II : 1701-1707 (suivi de) Addi..

Nul n'ignore la haine prodigieuse que le duc de Saint-Simon vouait à la bâtardise. D'une naissance dénuée de toute tache, cet aristocrate était bien trop intelligent pour ne pas avoir compris que les mésalliances, légitimées par le mariage ou non, entre la bourgeoisie et la noblesse ne pouvaient que saper une société élitiste telle que l'avait voulue la féodalité.



Hélas ! à l'époque de Saint-Simon, la féodalité est remisée dans les oubliettes de la mémoire collective de son milieu. Les nobles servent encore à l'armée mais s'ils peuvent jouir d'une charge ou deux qui ne nécessitent aucun effort de leur part, ils ne font pas d'embarras et l'acceptent des mains de ce Roi qui les veut tous serrés autour de lui, telles des fourmis dociles réunies autour de leur reine. A moins qu'ils ne l'achètent après en avoir revendu une autre, qui ne leur convient plus. Le plus souvent d'ailleurs, il faut bien le dire, la puissance financière est aux mains de la bourgeoisie et celle-ci achète des titres à ses enfants en les mariant à tel héritier désargenté mais avide de pouvoir mener grande vie. Quant à la bâtardise pure, elle ne s'est jamais aussi bien portée, pas même sous Henri IV.



Des enfants qu'il a eus de Melle de La Vallière, Louis XIV a conservé une fille et, de ceux que lui a donnés Mme de Montespan, il lui reste deux garçons et trois filles. Tous et toutes, sans exception, ont épousé des princes et princesses du sang. Tout ceci par la volonté royale : quel père, quelle mère oserait se rebeller contre le désir du Roi de devenir le beau-père de sa fille ou de son fils ? Madame, Elisabeth-Charlotte d'Orléans, princesse Palatine peut-être. Mais Monsieur, lui, n'aura pas ce courage et le duc de Chartres, leur fils, finira par devenir, pour son malheur, le gendre ultime de Sa Majesté qui est aussi, rappelons-le au passage, son oncle.



Les "bâtardeaux" royaux, comme il les appelait, Saint-Simon les a haïs même si, comme tout le monde en ce pays-ci, il a bien été obligé de s'incliner devant eux, ne fût-ce que par politesse. Il est vrai qu'ils étaient si près du trône qu'il eût été suicidaire de se comporter autrement. Par un effet de contre-poids, le mémorialiste semble, dans ce deuxième tome, passer toute sa rage et sa frustration sur un autre bâtard de sang royal, Louis-Joseph, duc de Vendôme, parfois appelé, en raison de ses réelles qualités militaires, "le Grand Vendôme", et qui, par son père, est le petit-fils de César, premier duc de Vendôme, bâtard légitimé du roi Henri IV et de Gabrielle d'Estrées. César de Vendôme ayant été officiellement reconnu par son père en 1595, son petit-fils représente, aux yeux de Saint-Simon, la continuation d'une coutume que, à vrai dire, peu de rois de France ont suivie avec autant d'éclat et de constance que Henri IV et Louis XIV, à savoir la légitimation de leurs enfants bâtards.



Si le procédé est issu d'une louable intention d'équité, les excès auxquels vont le porter, en une sorte de sombre et délirante apothéose, la volonté d'acier d'un Louis XIV et son faible avoué - encouragé notamment par Mme de Maintenon - envers le duc du Maine ne tarderont pas à révéler le gouffre qu'il peut ouvrir en cas, entre autres, de minorité de l'héritier légitime du trône. Fin politique et même politique d'une étonnante acuité - certaines des pages qu'il consacre aux analyses sur ce thème auraient pu être écrites par un moderne - Saint-Simon est obsédé par ce danger qu'il estime aussi périlleux pour l'Etat et la monarchie que l'abus de complaisance envers la bourgeoisie.



Par ricochet, le duc de Vendôme, en dépit, répétons-le, de qualités qu'on ne peut lui contester même si Saint-Simon, de son côté, goûte une véritable jouissance à les lui dénier, prend ici une superbe volée de bois-vert qui, au-delà de l'individu, vise la Bâtardise et sa légitimation dans leur ensemble. Ce tome, qui reprend l'une des périodes les plus noires du règne de Louis XIV, celle durant laquelle l'Empereur et les pays d'Europe s'unissaient contre lui après l'acceptation de la couronne d'Espagne au bénéfice de son petit-fils, le duc d'Anjou, devenu Philippe V d'Espagne par la volonté du testament de Charles II, est, on peut le dire, littéralement hanté par la silhouette énorme, hautaine, mal embouchée du duc de Vendôme, à qui l'auteur, par la magie de son écriture, confère des allures d'Ogre prêt à déchirer à belles dents, au milieu, faut-il le préciser, des autres bâtards, ses frères et cousins, une monarchie française considérablement affaiblie à l'extérieur et sclérosée, proche de la putréfaction, à l'intérieur.



Et l'Histoire continue à avancer, à petits ou à grands pas, vers ce mois de septembre 1715 qui verra Louis XIV faire ses adieux à son public de Versailles - et au monde. Mais cela n'aura lieu qu'au cinquième tome des "Mémoires" et, comme on dit , "cela est une autre histoire ..."



A bientôt pour la suite et n'oubliez pas : LISEZ Saint-Simon ! ;o)
Commenter  J’apprécie          110
Le roman de Lauzun

Comment aborder les 8000 pages de Mémoires de Saint-Simon? Mon professeur de littérature conseillait de choisir une année (plutôt que de lire une anthologie) et d'être entraîné ainsi à en lire d'autres… Les éditions L'Herne proposent une autre approche: découvrir une continuité sur un personnage, en l'occurrence le duc de Lauzun, beau-frère de Saint-Simon et personnage fantasque du règne de Louis XIV, produisant ainsi un texte court et très abordable. Et c'est fort agréable: le ton est léger, les situations rocambolesques, le tout savoureux. Sautez le pas et découvrez les écrits du duc de Saint-Simon.
Commenter  J’apprécie          100
Mémoires, tome 1

Lire Saint-Simon, ça permet de voir la Macronie autrement.

Pourquoi je dis ça moi ? Parce que j'ai parfois l'impression de vivre dans une Monarchie absolue. Pas vous ? Bruno le Maire, Ministre de l'Economie et des Finances (tout de même) a la même impression que moi. Ecoutez-le donc parler ce cher (il est forcément cher le Ministre des Finances) Ministre  sur le plateau de Public Sénat : https://www.youtube.com/watch?v=8LXTbIesqlU&t=664s Je résume un peu. Bruno le Maire voit une certaine continuité entre la Monarchie Absolue et la Vème République. Il compare le fonctionnement politique de la Cour du Roi Louis XIV et notre fonctionnement actuel. Il relève des traits culturels français, toujours présents « Chaque modèle politique a ses propres traits culturels » Il parle de la Cour et des courtisans … et il compare la colère du Roi à la colère du Président, mais il compare surtout les courtisans du Roi aux courtisans du Président. Et il nous fait comprendre qu'en France, actuellement, c'est toujours, non pas la Monarchie, certes, mais un Pouvoir Absolu. Bruno le Maire se compare ensuite à Saint-Simon et se pose comme observateur de la Cour d'Emmanuel Macron, alors même qu'il est, comme Saint-Simon, un homme de Cour. Je ne peux m'empêcher de me dire qu'il est tout de même orgueilleux de se comparer à Saint-Simon. Mais il m'est revenu en mémoire qu'il est toujours affaire d'orgueil dans les Mémoires de Saint-Simon et que Saint-Simon lui-même n'est pas exempt d'orgueil ( bien qu'il s'agisse d'un orgueil blessé).



Si vous n'êtes toujours pas convaincu par ma comparaison entre la Monarchie Absolue et la Macronie ( ce n'est pourtant pas pour rien qu'on l'appelle la Macronie, et qu'on surnomme Macron Jupiter, lui-même s'étant présenté comme un Président, je cite « Jupitérien »), vous apprécierez sans doute tous ces journalistes qui comparent cette fois-ci Macron à un autre Saint-Simon.



Ces journalistes qui lisent Saint-Simon avec le filtre des penseurs de la politique, comme Marx par exemple, qui a lu, lui, Saint-Simon, et en Français, et qui a qualifié le saint-simonisme de socialisme utopique. Le saint-simonisme comme doctrine donc … On lit dans Le Figaro, je cite, que

« cette doctrine qui n'en est pas une, pourrait se résumer ( bien que Saint-Simon n'emploie pas ces termes) en une combinaison de socialisme et de libéralisme ; ou mieux encore, en la qualifiant de progressisme : un progressisme qui voit dans le développement de la science, de la technique, du commerce et de l'industrie, le moteur déterminant de l'émancipation et du bien-être universels. »

Selon les adeptes fervents de cette doctrine et selon les défenseurs du progrès (qui n'ont toujours pas compris ce qu'est le progrès, mais passons), Macron serait donc celui qui abolit l'ancien monde, au nom du progrès, justement. Mais quel ancien monde ? Quel monde ( ou quel pays, soyons modeste) cherche-t-il à détruire ? C'est la question que je poserais bien volontiers au journaliste du Figaro. Ne désirant pas particulièrement m'adresser directement à Macron.

Allez je cite encore des journalistes – au sujet du saint-simonisme et toujours de Macron – des journalistes du Figaro ou du Monde cette fois-ci, je ne sais plus, pour la forme :

« Les saint-simoniens vont être en effet les principaux acteurs de l'industrialisation de la France, de l'essor du machinisme et du développement des réseaux, réseaux de transports (canaux, chemins de fer), réseaux financiers (grande banque, crédit) et réseaux humains (urbanisation, etc ): bref, ils seront les initiateurs d'une modernisation à marche forcée poursuivie avec d'autant plus d'énergie qu'ils lui donnent une valeur à la fois économique, politique, sociale et morale (le travail est sanctifié, car lui seul permet à l'homme de s'accomplir et de se libérer). Et ce, justement, parce que le saint-simonisme ne constitue pas une doctrine au sens strict, rigide, complète et donc forcément datée et obsolète, mais bien plutôt une façon de voir, une orientation, une sensibilité. Pour Emmanuel Macron, le saint-simonisme n'est pas un modèle qu'il faudrait reproduire tel quel, en le plaquant sur le réel, mais plutôt une sorte de matrice - de la même manière que le marxisme en constituait une pour François Mitterrand dans les années 1970-1980. Dans le cas d'Emmanuel Macron, il s'agit d'une matrice peut-être inconsciente: comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, lui fait du saint-simonisme sans le savoir, ou du moins sans avoir besoin de le dire. Il ne s'agit pas d'un vernis, qui est là pour être vu tout en restant superficiel, mais au contraire d'une sorte de colonne vertébrale idéologique invisible au premier regard, mais qui éclaire de l'intérieur le «Macron profond»: celui qui se présente, avec une sincérité dont on n'a pas de raison de douter [… là je lève les yeux au ciel, mais pardon je me tais … ], comme le héraut du progressisme, le chantre du monde nouveau et de l'Europe souveraine. Ainsi est-ce en héritier du saint-simonisme qu'il opposait, le 14 septembre dernier, le camp du bien à celui du mal : l'implantation de la 5G, associée au Progrès et aux Lumières, au «modèle Amish» de la lampe à huile et aux écologistes conservateurs qui prétendent faire prévaloir la nature sur le développement économique et technologique. »



Que dire ? Sommes-nous toujours à l'ère de l'industrialisation ? Sommes-nous restés coincés au XIXème siècle ? N'avons-nous rien appris du XX ème siècle ? Pourquoi faire du travail la valeur clé de notre civilisation ? Sommes-nous marxistes en France ? Pourquoi ai-je l'impression que nous n'avons pas évolué alors même qu'il s'agirait d'évolution (technologique ou que sais-je encore?) ? Nous présenter Macron comme l'héritier de la doctrine saint-simonienne, c'est aussi, quelque part, le présenter comme l'héritier du socialisme utopique, pour reprendre les termes de Marx, et cela ne choque personne ? Enfin, n'y-a-t-il pas une certaine contradiction entre Macron, digne héritier de la doctrine saint-simonienne et Macron, Président Absolu ? La contradiction ne serait-elle qu'apparente ?



En vérité, je me demande ce que c'est, la politique. S'agit-il vraiment de la « polis », de la cité, de son organisation voire de son autogestion comme chez les Grecs Antiques ? Ou s'agit-il de l'exercice du pouvoir et de la fascination qu'ont les hommes (et les femmes) pour le pouvoir ?



PS : Oui, je note très mal Saint-Simon parce qu'à l'époque où je l'ai lu, j'ai énormément souffert de cette lecture, parce que je devais absolument tout lire. Mais je recommande tout de même cette lecture, ne serait-ce, comme je le disais au début, que pour comprendre un peu mieux la Macronie.

Commenter  J’apprécie          97
Mémoires

Paradoxe. C’est un livre dont on parle beaucoup dans les manuels de littérature française, mais que personne n’a jamais lu, du moins en entier. Pendant 58 ans, de 1694 à 1752, le duc de Saint-Simon a observé, questionné, et longuement noté au vitriol, avec un grand luxe de précision, tout ce qui se passait à la cour de Louis XIV puis du régent. Il y avait ses entrées de par son rang et les fonctions de son épouse, mais n’était que toléré vu son caractère exécrable. Ce n’est que sous Charles X, en 1829, qu’une publication partielle fut autorisée, la première édition complète datant de 1856. Les archaïsmes et les allusions pas toujours transparentes ont amené en 1879 une édition critique en… 41 volumes. Autant dire que ces Mémoires ne se lisent qu’en extraits. Celui qui voudrait tout lire en aurait pour des années. Il faut donc faire confiance au choix de l’éditeur.

Ces Mémoires sont donc une source précieuse sur la vie de la cour avec ses intrigues, ses coteries, ses querelles de préséance, et l’ennui de ses distractions, toujours les mêmes, imposées à tous par le roi, soir après soir, mais sur le sujet, j’ai préféré, et de loin, les lettres de la Princesse Palatine, la belle-sœur de Louis XIV délaissée par son mari homosexuel qui la trompait avec ses mignons, tandis qu’elle trompait son ennui grâce à cette correspondance avec sa famille palatine, correspondance qui la montre pleine de lucidité et de sainte résignation, bien plus objective que Saint-Simon.

Saint-Simon déteste Louis XIV, et pas que lui. Moins historien que partisan, il lacère ses cibles, force le trait, et décrit un roi dévot, sclérosé par l’étiquette, l’orgueil, les courbettes des courtisans, et l’absence de scrupules. Le mal vient pour lui de son entourage de flatteurs (Bossuet, Racine, La Bruyère, Mme de Sévigné), de sa méfiance envers la noblesse (ce qui vexe Saint-Simon, comme duc et pair de France), de sa vanité, de son égoïsme et de sa dureté de cœur. Le roi, dit-il, fut peu regretté, et effectivement, la vie fut vite plus gaie sous la régence.

Voici ce qu’il dit de Louis XIV : «Sa dépendance fut extrême [NB Faute de connaissances, il dépendait de bien des gens]. À peine lui apprit-on à lire et à écrire, et il demeura tellement ignorant, que les choses les plus connues de l’histoire, d’événements… de lois, il n’en sut jamais un mot. Il tomba, par ce défaut, et quelques fois en public, dans les absurdités les plus grossières… Il ne s’était jamais cru si grand devant les hommes, ni avancé devant Dieu dans la réparation de ses péchés et le scandale de sa vie ».

Quant au grand Dauphin, mort avant d’avoir pu lui succéder, «De caractère, il n’en avait aucun… sans vice ni vertu, sans lumières ni connaissances quelconques, radicalement incapable d’en acquérir [Bossuet avait échoué], très paresseux, sans imagination… sans gout… né pour l’ennui qu’il communiquait aux autres… absorbé dans sa graisse… il eut été un roi pernicieux».

La duchesse de Bourgogne, épouse du petit dauphin était «régulièrement laide, peu de dents et toutes pourries… peu de gorge...» mais sérieuse et mesurée, et elle au moins fut regrettée.

Impossible de citer ici tous les portraits : serviteurs, hommes d’église, généraux, etc.

Si la princesse palatine se révolte contre la persécution au nom de Dieu des protestants par Louis XIV, Saint-Simon, décrit surtout la bêtise économique que fut la révocation de l’Édit de Nantes «qui dépeupla le quart du royaume, qui ruina son commerce, qui l’affaiblit dans toutes ses parties, qui…. firent mourir tant d’innocents… qui déchira un monde de familles… qui fit passer nos manufactures aux étrangers, fit fleurir et regorger leurs États aux dépens du nôtre».

Voici pour quelques extraits. Le parti-pris mis à part, c’est une source d’information précieuse. Pour ce qui est du style, fougueux et expressif, œuvre de passion, Taine le qualifie de vivant mais «bizarre, excessif, incohérent, surchargé», et Sainte-Beuve de pétulant comme une source trop abondante. La lecture en est distrayante et instructive sur cette époque, mais je préfère la princesse palatine.

Commenter  J’apprécie          80
Mémoires, tome II : 1701-1707 (suivi de) Addi..

Le siècle commençait mal, pour la France, pour le roi et pour Saint-Simon. Il concluait ses mémoires de l'année 1701 par : « Ainsi finit cette année et tout le bonheur du roi avec elle. »

Louis XIV engageait une nouvelle fois la France dans une guerre harassante contre quasiment toute l'Europe, sous prétexte de défendre la couronne de son petit-fils en Espagne. Saint-Simon était très critique sur la manière dont cette guerre s'était déroulée (surtout en Italie sous les ordres de M. de Vendôme, qu'il ne cessait de dénigrer en cherchant constamment à atténuer la portée de ses victoires). A part quelques succès, la France connaissait aussi de lourdes défaites (bataille d'Hochstedt, de Turin), la guerre l'épuisait et le roi s'entêtait à vouloir la continuer. En même temps, il devait faire face dans le Languedoc et les Cévennes à une nouvelle insurrection des protestants, ainsi qu'à des révoltes de paysans asphyxiés par les impôts.

Quant à Saint-Simon, il entrait dans une petite période de disgrâce auprès du roi, alors qu'il était plutôt bien vu jusqu'ici. Après avoir quitté son service et la carrière militaire, à cause de contrariétés dans son avancement, l'opposition de son orgueil d'aristocrate à l'autorité royale allait connaître son apogée à la fin de 1703, lors d'une ridicule affaire de protocole mais que le duc prenait très à coeur. Il faudra une entrevue avec le roi et un habile discours de Saint-Simon pour calmer les choses. C'est un passage court mais qui permet de bien comprendre la psychologie de Louis XIV et son rapport à l'aristocratie, si l'on n'oublie pas non plus les spécificités du caractère de Saint-Simon.

Il n'était pratiquement rien à l'époque, un jeune homme d'une trentaine d'années, sans plus de fonction (sauf qu'il semble s'être occupé de quelques problèmes d'héritage, de succession ; par la suite il s'engage dans la politique et fut même pressenti pour être ambassadeur à Rome en 1705). Il était quand même un duc et extrêmement fier de son rang, très à cheval sur les règles aussi, sur la morale, d'où sa passion pour l'étiquette de la cour de Versailles, le cérémonial, son respect de l'institution du mariage, son mépris des usurpations de titres, son hostilité aux enfants illégitimes, sa défiance envers les parvenus. D'où, aussi, ses réserves sur certaines décisions du roi, mais encore plus sur Mme de Maintenon et son influence néfaste. Véritable symbole de la mésalliance, de la petite naissance parvenue au sommet de l'Etat, « des aventures galantes plâtrées après de dévotion », il la détestait. Et cette détestation était réciproque, puisqu'il disait avoir eu vent qu'elle le « haïssait parfaitement », avant même de le connaître et sans jamais l'avoir fréquenté. Quant à lui, il la détestait cordialement, sans grande démonstration, simplement en la mêlant à des intrigues pas toujours propres et en lançant quelques piques. La même manière qu'il employait pour critiquer le roi, sans attaquer frontalement. Et pourtant, vis-à-vis d'autres personnalités, il pouvait dresser des portraits à charge, comme celui de M. de Vendôme, par exemple, présenté comme un sodomite, débauché, paresseux, incapable, malhonnête, sale, écoeurant, grossier, une véritable destruction, violente et truculente. C'est ce qu'il y a de plus fascinant dans ses Mémoires, tous ces personnages que rend Saint-Simon, sans omettre aucun défaut, dans une gamme très étendue, de la légère insinuation à la hargne la plus féroce. A part sa femme et quelques proches, il était rare qu'il fût exclusivement élogieux et il lui arrivait même de juger sévèrement ceux qu'il disait avoir été ses amis.

C'était le cas de Mme des Ursins. Sous la fonction de simple camarera-mayor de la reine d'Espagne, elle s'était arrogé un rôle important, faisant et défaisant les hommes d'Etat. Elle fut un temps la protégée de Mme de Maintenon, un personnage clé, à la carrière mouvementée. Saint-Simon jugeait son action en Espagne très mauvaise, allant jusqu'à la qualifier de dictatoriale. Il développe longuement ses agissements pour les dénoncer, et on reste étonné quand, plus tard, il dévoile aussi qu'il la considérait comme une amie. Dans ces années, il tisse aussi tout un réseau de relations parmi les ministres les plus importants : Véritable ami du duc de Beauvilliers, il entretenait plus curieusement de bonnes relations avec le chancelier Pontchartrain et avec Chamillart, ministre un peu oublié par l'Histoire mais le plus puissant de l'époque, qui cumulait à lui seul les anciennes fonctions de Colbert et de Louvois (il le répétait souvent, comme pour l'excuser d'une charge trop lourde). Il renoue aussi avec un ancien ami d'enfance, le duc d'Orléans, le futur régent, dont il s'était éloigné à cause de ses débauches. D'un autre côté, il avait ses ennemis, la maison de Lorraine, M. et Mme du Maine et leur cour, tout ce qui pouvait sortir de là-dedans lui était automatiquement antipathique.

Il faut enfin noter qu'il fait à la fin de ce volume une comparaison entre le gouvernement de Castille et d'Aragon, l'un étant entièrement sous la domination du roi d'Espagne, l'autre dirigé par un « justice » indépendant, terme espagnol désignant le chef d'une assemblée ; la Castille ressemblant donc au régime centraliste français et l'Aragon au régime parlementaire anglais. Philippe V, en bon roi d'origine française, met fin à cette exception aragonaise. D'autre part, au sujet de l'Angleterre, un peu plus avant, au début de l'année 1707, il s'étonnait de la facilité avec laquelle les Ecossais avaient abandonné leur souveraineté au profit du parlement anglais. Toutes ces considérations sur la formation de certains aspects des Etats européens encore en vigueur aujourd'hui sont évidemment très intéressantes. Malheureusement, je n'ai pas l'impression que Saint-Simon en sentait bien toute la portée, car il n'aborde tout ça que rapidement, préférant dérouler ses longues, emberlificotées et assommantes généalogies.

Commenter  J’apprécie          80
Mémoires, tome II : 1701-1707 (suivi de) Addi..

Les années de ce second volume des Mémoires sont surtout occupées par la guerre de Succession d'Espagne, où s'opposent les partisans et les adversaires européens de l'avènement du petit-fils de Louis XIV, Philippe V, au trône d'Espagne dont il a hérité. La chose est vue de Versailles, du milieu de la Cour et au milieu des intrigues, des portraits, des affaires, minuscules et grandioses, qui remplissent la vie des courtisans. Ainsi, la grande affaire du droit de s'asseoir dans un fauteuil devant tel ou tel prince sera débattue avec autant de passion qu'une victoire militaire. Que cela ne décourage pas le lecteur : Saint-Simon nous emporte au grand galop de sa langue magnifique, jamais compassée, jamais ennuyeuse, mais toujours pleine de surprises et de trouvailles, d'anecdotes, de choses vues et de calomnies perfides.
Commenter  J’apprécie          80
Mémoires, tome 1

Des mémoires qui n'en sont pas réellement. Si vous espérez pénétrer les pensées les plus enfouies et découvrir la vie personnelle de Saint-Simon, vous serez partiellement déçus.

Ici, le mémorialiste arpente les couloirs de Versailles sous Louis XIV et nous en livre ses secrets : il se fait le témoin historique et le rapporteur méticuleux de tout ce qu'il s'y passe pour nous livrer, avec une pointe d'humour parfois et avec talent toujours, les anecdotes de la cour et des commentaires personnels sur les événements majeurs de l'époque.

Commenter  J’apprécie          70
Mémoires, tome 1

Monsieur de Saint-Simon était un jeune homme bien fait de petite taille, ayant fort tôt embrassé une carrière militaire, son regard était doux, noir, pénétrant, un visage agréable que déparait à peine un nez tordu. Il avait de l’ambition, beaucoup d’esprit, des saillies plaisantes, sans toujours maîtriser son désir d’exhaustivité et, confus, il s’engageait parfois dans de longues dissertations qui, sans lui faire perdre le fil, l’emmenait loin de son sujet principal. Il lui arrivait aussi de radoter sur d’anciens faits d’armes ennuyeux. Son sens aigu de l’observation lui permettait de pénétrer toutes les arcanes de l’étiquette et les règles minutieuses de bienséance qui prévalaient à la cour. Doué d’une mémoire prodigieuse, il connaissait toutes les généalogies complexes des grandes familles européennes où se mêlaient consanguinité et bâtardise (Saint-Simon reprochait souvent à Louis XIV de favoriser ses enfants illégitimes), il avait lui-même un grand amour pour sa maison et ses parents. Le souvenir de son père, fait duc par Louis XIII, lui était particulièrement cher. Il était l’unique héritier mâle de ce père qui le conçut fort âgé d’un second lit. Il fut choyé par sa mère qui prit grand soin de son éducation mais se retrouvait après la mort de son mari sans appui dans le monde. Soucieuse de l’avenir, elle craignait plus que tout une mésalliance de son fils. Heureusement, le désormais duc de Saint-Simon n’était point galant et ressentait trop la fierté de son nom pour se laisser entraîner dans une passion amoureuse qui eût été une impasse à sa carrière. Une anecdote mérite d’être relevée à ce sujet sur le prétendant un peu présomptueux qu’il fût. A la recherche du meilleur parti, il ambitionna dans un premier temps de s’introduire dans la famille du duc de Beauvilliers, s’adressa à lui pour courtiser l’une de ses filles, tenta tout pour le convaincre et, en désespoir de cause, lui avoua qu’il ne se sentait « point capable de vivre heureux avec une autre qu’avec sa fille », fille qu’il ne connaissait pas et n’avait jamais vu ! Le duc de Beauvilliers, dont il resta proche, déclina poliment, et Saint-Simon se tourna alors vers la famille de Lorges et ses filles, l’aînée plutôt que la cadette, avec qui il se maria et réussit à vivre heureux, malgré tout.

Au reste, le duc de Saint-Simon n’était pas trop bavard sur sa vie intime, préférant relater celle des autres. Dans cet étrange petit monde qu’était la cour de Versailles, où tout était réglé dans les moindres détails et où la vie intime se limitait au strict minimum, les ragots allaient bon train et Saint-Simon en était friand, il les rapportait sans toujours bien les distinguer des faits. D’ailleurs, il n’était pas qu’un observateur de ce petit monde mais aussi un acteur, avec son tempérament, ses affinités et ses dégoûts, et il ne cherchait pas du tout à atteindre une impossible objectivité. Avec sa manière très particulière de brosser les portraits et les caractères, lapidairement, défauts et qualités enchevêtrés, il cherchait surtout à dévoiler les mesquineries et les petites intrigues des courtisans.

Imprégné de morale, il restait discret sur la religion, ne s’immisçant jamais dans les querelles qui agitaient la fin du dix-septième siècle, et elles étaient nombreuses, entre la petite crise religieuse de Louis XIV sous l’influence de Mme de Maintenon et du père de La Chaise son confesseur, la révocation de l’édit de Nantes, l’accession au pouvoir des protestants en Angleterre, les jansénistes, les quiétistes, les polémiques et les affrontements ne manquaient pas. Toutefois, sans bigoterie ni ostentation, il ne cachait pas sa profonde admiration pour Armand-Jean de Rancé, l’abbé de La Trappe, qui était pour lui une sorte de directeur de conscience, un homme intègre jusqu’à l’austérité. Aussi, contrairement à Louis XIV, Saint-Simon semblait éprouver de la sympathie pour les jansénistes et n’hésitait pas à dénoncer les manigances et les intrigues des jésuites.

Au niveau de la politique extérieure, cette fin de siècle était dominée par la grande rivalité de la France et du Saint-Empire. Entre la guerre de la ligue d’Augsbourg et la guerre de succession d’Espagne qui se dessinait, la paix signée par le traité de Ryswick ressemblait plutôt à une longue mais fragile trêve.

Commenter  J’apprécie          60
Le roman de Lauzun

Entre 1739 et 1749, le Duc de Saint-Simon s'est attelé à la rédaction de ses mémoires, représentant plus de 3000 pages d'anecdotes croustillantes, de portraits féroces, de réflexions désabusées et de faits historiques couvrant la période de la fin du règne le Louis XIV et de la Régence.

Proche des cercles du pouvoir, ce grand aristocrate, fier de sa lignée, a jeté un regard critique et sans concession sur ses contemporains et plus précisément sur les "grands de ce monde".

Son ironie savoureuse, parfois méchante, mais souvent juste, fait mouche pour dénoncer l'hypocrisie et la veulerie des courtisans, l'égoisme des hommes et leur médiocrité qui reste, dans son esprit, la pire des tares.

Afin de permettre d'aborder aisément ce monument de la littérature, les Editions L'Herne ont choisi de présenter un court extrait des Mémoires, ayant pour sujet le Duc de Lauzun.

Quel choix judicieux car le Duc, doté d'un fort tempérament, a vécu plus de 90 ans, ce qui constitue un record pour l'époque, et a connu des aventures multiples. Il a réussi à séduire la Grande Mademoiselle, cousine germaine de Louis XIV qui n'avait consenti à cette mésalliance que devant les supplications de la promise. Seul le préjudiciable penchant du Duc à vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, fit échouer le mariage, ce dont il se remis d'ailleurs fort bien ...

Ayant connu les fastes de la Cour et fait partie des cercles rapprochés du pouvoir,il se fit craindre pour son esprit facétieux et les farces qu'il joua et qui sont rapportées par l'auteur, sont tellement énormes qu'elles ne peuvent qu'amuser et susciter l'admiration pour l'audace et le mépris des convenances dont elles témoignent.

Bien sûr sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille et il connut l'emprisonnement au Fort de Pignerol où il put faire la connaissance de l'ex-surintendant Fouquet qui avait aussi eu le malheur de déplaire au Prince...

Tel le phénix, Lauzun a toujours su renaître de ses cendres et poursuivit son parcours mondain en épousant au passage , la belle-soeur de St-Simon de 45 ans sa cadette !

Trop aimé des femmes, beau-parleur, courtisan jusqu'au bout des ongles, mais aussi, il faut le signaler quand même, guerrier courageux, Lauzun est un personnage romanesque de premier plan qui saura susciter l'intérêt des lecteurs.

En annexe au texte, les Editions l'Herne ont reproduit les réflexions des contemporains du sujet et notamment la célébrissime lettre de Mme de Sévigné adressée à son oncle Coulonges qui témoigne de la verve incomparable de l'épistolière quand elle tourne en ridicule les projets matrimoniaux de Lauzun. On nous offre également le portrait malicieux que La Bruyère en trace dans ses "Caractères".

Un délicieux moment de lecture pour lequel j'adresse mes chaleureux remerciements à Babelio et aux Editions l'Herne.
Commenter  J’apprécie          50
Mémoires, tome V : 1714-1716 (suivi de) Addit..

L'intérêt particulier de ce volume-ci, parmi tous les autres de l'excellente édition Coirault, est qu'il contient l'année 1715, année de la mort du "Grand Roi". Arrivé à septembre, le mémorialiste interrompt son récit en forme d'annales pour faire un large bilan du règne qui s'achève, ce qui donne à son entreprise une dimension historique plus large. Inutile d'ajouter que son style est à son sommet.
Commenter  J’apprécie          50
Mémoires

Un homme à la rancune tenace mais d’un esprit plus que pénétrant, une plume d’une rare finesse qui sut dépeindre son siècle sans complaisance. Teinté d’amertume, il dénuda ses contemporains jusqu’à la moelle par l’analyse qu’il fit de leurs mœurs. Une fresque de son temps autant qu’un traité politique, ses mémoires demeurent un chef d’œuvre d’écriture, de finesse et d’analyse. Rarement j’ai pris autant de plaisir, de délectation même, à lire des mémoires!



A LIRE :



http://rouvroy.medusis.com/



Bien d’autres liens foisonnent sur le net, d’inégales qualités, pour que je puisse me permettre d’en faire ici l’économie. Je laisse à votre curiosité et sagacité, le soin de les découvrir.

Commenter  J’apprécie          50
Mémoires, tome 1

Le premier tome des Mémoires du duc de Saint-Simon fut une excellente découverte ! Un spectacle jubilatoire de la vie de cour, avec l’impression vertigineuse d’être aujourd’hui au sein d’une entreprise farcie de chefs et de courtisans. Tel ou tel personnage pourra vous évoquer telle ou telle connaissance et ses agissements serviles pour plaire en haut lieu. L’auteur, figure discrète et sensible dont l’œil capte toutes les manœuvres, les attitudes, nous dresse avec la passion du détail (vestimentaire notamment) un tableau historique éblouissant.

Tel diner où la mode était aux perruques hautes comme des buildings qui s’enflamment malencontreusement en frôlant la flamme des bougies. Le contexte historique est difficile à appréhender mais les notes aident énormément le lecteur.

Commenter  J’apprécie          40
Mémoires, tome VIII : 1721-1723 (suivi de) Ad..

Les dernières années de ces Mémoires sont principalement consacrées au voyage du duc de Saint-Simon en Espagne et à son ambassade extraordinaire pour signer le contrat de mariage entre Louis XV (11 ans) et l'infante d'Espagne (3 ans).

Il ne nous dit pas quelle a été la réaction de la petite princesse quand on lui a annoncé l'heureux évènement, mais gageons qu'elle a été à la hauteur de son époux : il a pleuré. Encore une scène magnifique ! Voir le roi enfant se mettre à pleurer parce qu'on lui annonce son mariage avec sa cousine germaine à peine sortie des langes, juste avant un solennel conseil des ministres. Si ça ne s'était pas réellement passé, il aurait fallu l'inventer.

Saint-Simon fait avec la cour de Madrid exactement la même chose qu'avec la cour de Versailles, en moins développé. Il décrit dans le détail le protocole, les préséances et les titres spécifiques à cette cour, la vie quotidienne du roi et de la reine. Il fait beaucoup de portraits des principaux courtisans, démêle les intrigues et les cabales, etc.

Cette dernière partie des mémoires prend aussi parfois l'allure d'un journal de voyage. Il raconte les visites de quelques villes et monuments, décrit les fêtes, les magnifiques illuminations de la place Major, les extraordinaires feux d'artifice. Il déplore le pouvoir de l'inquisition et une tendance des religieux à entretenir des superstitions. Il fait des réflexions sur la gastronomie un peu trop frugale pour son goût français (il se plaint du manque de poisson, car il en était un grand amateur), sur la manie de mettre du safran partout jusque dans le pain ; par contre il apprécie beaucoup la olla, le lait de Buffle et les jambons de porcs nourris aux vipères… Il s'appesantit sur les moeurs espagnoles qui lui paraissent plus graves et sobres qu'en France. Les courtisans de Madrid vivant un peu moins publiquement que ceux de Versailles.

Sur le plan personnel, cette ambassade a réalisé l'un de ses plus chers désirs. Elle lui a permi à lui et à son fils cadet de devenir grands d'Espagne (une dignité à peu près équivalente à celle de pair de France). C'est un aboutissement pour lui, et dès son retour en France il se démet de son titre de pair au profit de son fils aîné, ainsi la lignée des Saint-Simon est assurée et même enrichie.

Parmi les derniers évènements de la régence, on peut signaler l'avènement du cardinal Dubois en tant que premier ministre. Il n'en profite pas beaucoup car il meurt peu de temps après, avec très peu de résignation et dans une grande agitation. Cette nomination plait aussi peu à Saint-Simon que le rétablissement des bâtards, mais il ne peut plus rien faire puisqu'il n'est plus dans les petits papiers du duc d'Orléans, comme le prouve l'inefficacité de ses éloquents discours au régent avant la nomination du cardinal Dubois, pour lui démontrer qu'un premier ministre a toujours été néfaste aux monarchies. Saint-Simon n'assiste même pas au sacre de Louis XV, encore pour des histoires de préséance et de rang. Enfin ses mémoires se finissent avec la mort subite du duc d'Orléans qui reste pour Saint-Simon, son ami d'enfance, un dirigeant de qualité malgré tous ses défauts et sa mauvaise réputation en France.

Commenter  J’apprécie          40
Mémoires

Regards d'un homme se faisant écho d'un siècle en devenir.



Société d'apparences et de faux semblants laissée aux appréciations et jugements d'un homme de cour et de pensées.

Le passé se confronte à la modernité d'un homme d'un siècle ne lui appartenant plus.
Commenter  J’apprécie          40
Mémoires, tome VII : 1718-1721 (suivi de) Add..

1718 est une année de rupture dans la Régence. le duc d'Orléans siffle la fin de la récréation. Il affermit son autorité, s'entoure de deux ou trois personnes de confiance et tout le système de Conseils mis en place au début de la Régence n'est plus qu'une façade à son gouvernement qui rencontre de plus en plus de difficultés politiques et économiques.

Le premier évènement important à retenir est celui du lit de justice de 1718. Face aux réticences du parlement pour enregistrer des lois sur les finances, le duc d'Orléans convoque dans le plus grand secret un lit de justice en plein mois d'août aux Tuileries pour exiger du parlement son obéissance et aussi pour écarter du pouvoir le duc du Maine (devenu une sorte de chef de l'opposition), en annulant de surcroît toutes les prétentions à la dignité de princes de sang que les enfants légitimés avaient obtenues de Louis XIV, et ce pour la plus grande joie de Saint-Simon.

Le récit de la journée du 26 août 1718 est un de ces morceaux de littérature saisissant qui récompensent le lecteur des nombreuses pages qu'il a dû avaler pour bien s'imprégner de la situation et des personnages. Sur la vingtaine de personnalités qui composait alors le Conseil de la Régence les trois-quarts n'étaient pas au courant de ce qui allait se passer, n'ayant appris la tenue du lit de justice que le matin même. Tout le monde se regardait en chien de faïence, Saint-Simon adopte aussi un point de vue d'observateur, à la différence que lui savait tout et avait participé à l'organisation, qu'il s'agissait pour lui de s'installer confortablement et de jouir de la déconfiture de ses adversaires. Avec le luxe de détails qui le caractérise il décrit minutieusement les petites scènes faites de conciliabules, d'entretiens privés, où tout se passe à voix basse, dans une ambiance pesante.

« Contenu de la sorte, attentif à dévorer l'air de tous, présent à tout et à moi-même, immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps pénétré de tout ce que la joie peut imprimer de plus sensible et de plus vif, du trouble le plus charmant, d'une jouissance la plus démesurément et la plus persévéramment souhaitée, je suais d'angoisse de la captivité de mon transport, et cette angoisse même était d'une volupté que je n'ai jamais ressentie ni devant ni depuis ce beau jour. Que les plaisirs des sens sont inférieurs à ceux de l'esprit, et qu'il est véritable que la proportion des maux est celle-là même des biens qui les finissent. » Il continu dans ce registre tout au long de la journée, sur un petit nuage.

Quelques semaines plus tard la conspiration de Cellamare est révélée et met un point final aux intrigues du duc du Maine et de sa femme. Mais à partir de ce moment, Saint-Simon avoue que ses Mémoires contiennent des lacunes car l'abbé Dubois revenu d'Angleterre avait mis la main sur toutes les affaires et ne laissait rien transpirer, il était devenu un ministre tout-puissant et inaccessible. Aussi, le duc de Saint-Simon décrit le Conseil de la Régence comme une usine à gaz qui s'enfle démesurément, avec de plus en plus de conseillers mais sans plus de réel pouvoir. le duc d'Orléans délivrant des grâces et des charges à tout bout de champ et la situation financière s'envenimant. Tout cela participant à l'effondrement du système de Law en 1720. Ce système comprenait deux parties : Une banque que Saint-Simon jugeait une bonne idée en soi mais difficilement applicable à la monarchie absolue française et des actions sur le Mississippi (c'est-à-dire sur l'installation d'une colonie en Amérique) qui connurent une spéculation excessive et provoquèrent la chute du système. Ceci dit, il répète plusieurs fois au cours de ses Mémoires qu'il ne comprenait pas grand-chose aux finances et que ça ne l'intéressait pas. C'est d'ailleurs l'une des raisons qu'il donnait sur son refus de diriger les finances comme lui avait proposé le duc d'Orléans au début de la Régence.

J'en profite pour m'arrêter sur un point qui me paraît problématique au sujet du duc de Saint-Simon, lui qui était si prompt à condamner Louis XIV pour avoir écarté du pouvoir les grands seigneurs et la noblesse d'épée. Très souvent il se présente comme quelqu'un d'absolument pas carriériste, très peu enclin à accepter des postes de pouvoir. C'était déjà le cas sous Louis XIV, lorsque celui-ci avait envisagé de le nommer ambassadeur à Rome, ou quand le duc de Beauvilliers avait envisagé de le faire précepteur du dauphin. de même, il avait tout fait pour que sa femme évite de devenir dame d'honneur de la duchesse de Berry. Encore plus sous la Régence, il a refusé plusieurs fois le poste de gouverneur du roi, qui était le meilleur moyen d'assurer son avenir. Il a donc aussi refusé de diriger les finances et enfin de devenir garde des sceaux. Les raisons qu'il donne à ses refus sont toujours excellentes, mais si toutes ces propositions d'emploi sont vraies (on est obligé de le croire sur parole), avec son obstination à les refuser, à hésiter de prendre des responsabilités ou à traîner des pieds, il a sabordé lui-même sa carrière.

En ce qui concerne les évènements géopolitiques et la guerre qui oppose l'Espagne aux autres puissances européennes. Elle est intéressante dans ses conséquences pour l'histoire de l'Italie mais ce que retient surtout le duc de Saint-Simon c'est la grande victoire diplomatique de l'Angleterre et l'aveuglement d'Alberoni et Dubois. Il n'est pas loin de les rendre responsables de l'hégémonie commerciale de l'Angleterre au XVIIIème siècle. Alberoni, qui avait réussi à reconstruire une flotte espagnole importante, avait surestimé ses forces ou alors il s'était trompé dans les alliances qu'il espérait conclure, en tout cas il n'avait aucune chance de gagner la guerre en 1719 contre l'Autriche, l'Angleterre, la France et les Provinces-Unies. Résultat : toute la flotte et les infrastructures portuaires de l'Espagne ont été détruites par l'Angleterre avec l'aide de la France, et l'Angleterre signe des accords commerciaux très avantageux lors des négociations de paix, leur laissant une voie royale pour se développer en Amérique.

Commenter  J’apprécie          40
Mémoires : Extraits

Témoignages d'un temps où quêtes et intrigues n'ont de cesse d'être et disparaître.

Témoin privilégié d'une époque en pleine représentation d'elle même pour les siècles s'annonçant.
Commenter  J’apprécie          40
Mémoires, tome III : 1707-1710 (suivi de) Add..

L'année 1709 m'apparait d'ores et déjà comme capitale pour Saint-Simon, une année charnière qui aurait pu être fatale à sa carrière. La France était tout simplement au bord du gouffre, l'hiver avait été extrêmement rude, les récoltes étaient médiocres, les finances à plat, le peuple affamé, les courtisans pitoyablement obligés de vendre leur argenterie pour renflouer les caisses et l'ennemi avait commencé à s'introduire sur le territoire. Dans ce contexte on peut comprendre que la tension était à son comble. Alors, essayons de démêler l'imbroglio politique à la cour de Versailles en ces années 1708/1710 d'après le récit très impliqué de Saint-Simon, car il semblerait qu'un petit tournant se soit effectué qui expliquerait ses prises de position jusqu'ici.

Après la campagne de Flandre de 1708 et plus précisément la bataille d'Audenarde (encore un revers pour l'armée française dans la guerre de succession d'Espagne), deux chefs se renvoyaient la responsabilité de cette défaite : le duc de Vendôme qui passait alors pour un grand héros et le jeune duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, qui avait encore toutes ses preuves à faire. D'après Saint-Simon c'est le duc de Vendôme qui en mobilisant ses relations à la cour a attaqué en insinuant progressivement que le duc de Bourgogne avait fait preuve de lâcheté.

Finalement, le roi trancha en faveur du duc de Bourgogne et disgracia le duc de Vendôme, en l'écartant de toute fonction militaire et limitant sa présence à la cour (plus tard Chamillart, alors qu'il n'était déjà plus ministre des finances mais seulement de la guerre, fut également disgracié en partie à cause de cette campagne de Flandre et de ses suites), mais sans que l'antagonisme disparût, au contraire les dissensions augmentaient et Saint-Simon évoquait trois « cabales » différentes en 1709 : la cabale des seigneurs (dirigée par Mme de Maintenon), celle des ministres (Beauvilliers, Chevreuse, favorable au duc de Bourgogne), et celle de Meudon (M. le Duc et Mme la Duchesse autour de Monseigneur). Sans même parler de la cabale de Meudon, qui contenait l'essentiel de ses ennemis et dans laquelle il ne voyait qu'un ramassis de bâtards légitimés et de débauchés, Saint-Simon se considérait comme un intermédiaire entre la « cabale des seigneurs » et la « cabale des ministres » (mais tout de même plus proche des ministres), en ceci on peut voir ses idées politiques. Lui, qui par ailleurs avait des idées qu'on qualifierait aujourd'hui de libérales en matière d'économie, était favorable à un gouvernement aristocratique de puissants seigneurs, ce qu'avait toujours évité Louis XIV.

Pour revenir à la guerre de succession d'Espagne et aux conséquences désastreuses de la bataille d'Audenarde. Toujours en 1709, étant donné la situation catastrophique dans le Nord de la France, le roi commençait à rappeler les troupes d'Espagne dirigées par le duc d'Orléans. Ce même duc, en conflit avec Mme des Ursins (toujours très influente à la cour d'Espagne), voyant le trône de Philippe V vaciller, envisageait de prendre sa place, au cas où il serait destitué ; il s'informait, prenait des contacts sans en avertir Louis XIV. Des rumeurs de complot commençaient à circuler et le duc d'Orléans était au bord du procès.

Quant à Saint-Simon, toujours un peu bravache, n'oubliant jamais de se mettre en scène comme le sage conseillé de quelques-uns de ces hauts personnages, intrigant comme ce n'est pas permis, il se retrouvait impliqué dans toutes ces histoires, par de fausses rumeurs lors de l'affaire qui avait opposé le duc de Vendôme au duc de Bourgogne, par son amitié affichée pour Chamillart et le duc d'Orléans. Haït par Mme de Maintenon, sa « plus constante et plus dangereuse ennemie » disait-il, n'attirant plus que la méfiance du roi, sa côte était au plus bas et il envisageait de tout lâcher et de quitter la cour.

Suite aux protestations de Mme de Saint-Simon, il rattrapa malgré tout sa situation dès les premiers jours de 1710 en incitant le duc d'Orléans à rompre avec sa maîtresse Mme d'Argenton, chose que souhaitaient le roi et Mme de Maintenon. Cette intrigue qui n'a l'air de rien est un feuilleton assez curieux à lire, impossible à expliquer en quelques mots. Il suffit de dire que cette intervention de Saint-Simon a eue une réelle importance dans son parcours, comme s'il avait joué là son va-tout.

Je l'ai senti gêné, content de son astuce et en même temps trop honteux de ce bas stratagème de courtisan pour l'avouer franchement, cherchant surtout à se justifier. Ses conversations détaillées avec le duc d'Orléans, où il essayait de le convaincre par de multiples raisons d'abandonner sa maîtresse, sont pleines de demi-vérités. Car ce qu'il a vraiment fait – tout en prétendant agir par pure vertu, pour ramener dans le droit chemin le duc d'Orléans et sauvegarder sa réputation – c'est sauver sa propre situation compromise, en poussant à sacrifier cette Mme d'Argenton, pour se rendre agréable au roi. Il y a une temporalité qui ne laisse aucun doute : aussitôt après la rupture du duc d'Orléans avec sa maîtresse (tout ça se passe très vite, lors des quatre premiers jours de 1710), le roi accordait une audience à Saint-Simon et l'assurait de ses bons sentiments.

L'autre effet de cette rupture fut de l'avoir lié avec la duchesse d'Orléans et ainsi de devenir un confident privilégié du couple réconcilié. Et en cette année 1710, où tout le monde avait conscience que le règne de Louis XIV touchait à sa fin, ses enfants nés illégitimes, dont faisait partie la duchesse d'Orléans, se livraient à une véritable concurrence pour obtenir les dernières faveurs du roi, pour consolider leurs rangs et se mettre à l'abri avant le règne de Monseigneur. Saint-Simon joua encore un rôle dans ces intrigues, activant ses contacts pour favoriser le mariage de la fille de M. et Mme d'Orléans et du fils cadet de Monseigneur, le duc de Berry, ce qui permit à sa femme de devenir dame d'honneur de la nouvelle duchesse de Berry, et ainsi au couple de Saint-Simon de retrouver un logement à Versailles, ce qu'ils avaient perdu depuis cette funeste année 1709.



Sinon, il y a deux passages instructifs dans ce tome : sur les différentes dénominations de la famille royale (Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, Monseigneur, etc.) et sur l'histoire de Port-Royal et du jansénisme. Saint-Simon y a également reproduit un mémoire sur le duc de Bourgogne rédigé à l'époque qui vaut le coup d'être lu, parce que l'on peut y constater que beaucoup de ses idées, de sa morale particulière, étaient déjà en place en 1710.

Commenter  J’apprécie          40




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Saint-Simon (388)Voir plus

Quiz Voir plus

Charade littéraire (récréatif)

Mon premier est à la fois une note de musique et (en grammaire) une conjonction

sol
la
si

7 questions
41 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}