Vous ne m'attraperez pas. Je ne mérite pas d'être en prison pour ces crimes. Je n'irai peut être pas jusqu'à dire que je fais oeuvre de justice, mais il est temps que les gens qui nous pourrissent la vie payent enfin pour leur attitude. Et si la justice ne fait rien je suis bien dans l'obligation de le faire.
Dans l'air flottait un parfum âcre. Cette odeur inhabituelle et plutôt désagréable tranchait avec les odeurs d’agrumes familières. Le long couloir de l’entrée, seulement éclairé par la faible lumière extérieure de fin de journée qui venait du salon, était sombre et sinistre. Tout était silencieux, pas même un tic-tac ne venait troubler la quiétude des lieux. Du couloir, par la porte ouverte de la chambre, on pouvait distinguer un corps d’homme, seulement paré d'une chemise à moitié chiffonnée, qui gisait par terre sur le parquet, la peau maculée par le sang encore humide. L’homme était beau. Son corps bien dessiné et son visage carré lui conféraient un charisme indéniable. Malgré les plaies et le sang il gardait tout son charme.
Victoire resta de longues minutes à l'observer, tel un chat curieux, résistant à l'envie de le toucher encore. La texture rouge poisseuse sur son visage l’en dissuada. Prise d’une légère nausée elle faillit vomir sur le sol. Cherchant à contenir cette pulsion elle ferma les yeux et inspira profondément, essayant de détendre ses épaules et de faire ralentir les battements de son cœur qui s’étaient anormalement accélérés. Après plusieurs longues respirations elle rouvrit les yeux. Le spectacle était toujours le même.
Elle observa la pièce, lentement, son regard se posant successivement sur chaque objet. Tout lui paraissait si familier et à la fois irréel et hors contexte. Sa chambre ne lui appartenait plus, elle avait vécu une scène qui laisserait fatalement à jamais des traces, et pas seulement physiques. Le lit était défait, la couette chiffonnée pendait en partie sur le sol. Elle aimait bien cette couette, elle l’avait choisie avec soin dans une boutique hors de prix mais proposant des tissus d’une incroyable qualité. Elle ne pourrait plus l’utiliser désormais et cela la peinait. Elle se rendait compte du côté déplacé de cette réflexion mais c’était ce qui lui était venu spontanément à l’esprit.
La chambre en ordre par ailleurs contrastait avec le corps de Steve qui, tel une poupée désarticulée, perturbait la vue. Son visage était figé et ses yeux grands ouverts fixaient le mur. Ses beaux yeux bleus étaient dénués d’expression, ils ne la regarderaient plus jamais. Comment avait-elle pu en arriver là ?
Arrivée presque à leur hauteur Alison se figea. Cette femme, ce n'était pas possible, cela ne pouvait pas être elle. Cette belle rousse, les cheveux aux vents, avec ce sourire qu'elle aurait reconnu entre mille, la ramenait vingt-cinq ans en arrière. Son amie d'enfance était là, devant elle, souriante, de retour au village, des années après, comme si rien ne s'était passé. Comme si le temps s'était figé. Mais c'était impossible, cette femme semblait être à peine majeure alors que son amie aurait eu quarante-six ans comme elle. Alison manquait d'air et essayait de reprendre son souffle. Ses jambes menaçaient de se dérober sous elle, tant qu'elle dut s'appuyer sur le mur de la maison la plus proche pour ne pas tomber. Il fallait qu'elle aille voir cette femme de plus près, qu'elle sache son nom. Elle devait arriver à lui parler avant qu'ils ne rentrent dans le restaurant. Sinon il serait trop tard, il serait malvenu de les déranger lors d'un moment de convivialité privé et elle prendrait le risque de ne plus jamais revoir cette jeune femme ni savoir qui elle était. Et pour Alison c'était inconcevable.
Des expériences telles que celles du confinement faisaient ressortir le pire comme le meilleur des gens.