Commençons par un inventaire à la Prévert, désordonné et incomplet comme il se doit : il y a le poète-prophète, le poète-mage, le poète-joueur-de-quilles, le poète-chaman, le poète-inspiré, le poète-engagé, le poète-crotté, le poète-voyant, le poète-inadmissible, le poète-insupportable, le poète-pohète. Dans cette galerie de l'évolution poétique, apparaît un spécimen singulier : le poète-du-dimanche. Singulier animal en effet, qui forme l'essentiel du troupeau (si on pend en compte l'édition à compte d'auteur ou la multiplication des possibilités d'auto-publication en ligne), mais dont l'appellation condescendante suggère que ces poètes n'appartiennent à la poésie que de manière intermittente, inconsistante, voire illégitime. Ils incarneraient une poésie sans valeur, le tout-venant d'une production vouée aux confidences intimes ou à la description des fleurs et des saisons, un marais poétique destiné à mieux mettre en relief la cime des œuvres légitimes. Parmi les poètes, ils représenteraient ainsi la masse, quantitativement élevée, qualitativement nulle. Force et faiblesse du nombre qui cadre al avec notre idéalisation de la marginalité héroïque de l'artiste, et qui nous oblige à penser quelque chose comme une démocratie de la poésie.
"A quoi bon la poésie ?" : cette question, déclinée sous de nombreuses formulations, est centrale depuis la fin du siècle dernier, non seulement dans l'espace social mais encore dans le champ littéraire tout entier - à savoir, les espaces des médias, des éditeurs, des libraires et des bibliothécaires, mais également, par ricochet, ceux des auteurs et des revues. Est-ce à dire qu'elle est récente ? Évidemment non, puisqu'elle constitue une variante socioculturelle de la fameuse interrogation métaphysique posée par Höderlin en 1800 : "Pourquoi des poètes en temps de détresse ?". Mais cette question est devenue d'autant plus lancinante qu'elle obéit à des motivations diverses et que son objet est plus fuyant : depuis sa chute du monde des essences la poésie, c'est "cette chose étrange qui accepte toutes les définitions" comme le constate Antoine Simon après en avoir développé une centaine dans un opus plein d'humour. C'est que, en perdant sa capitale, la poésie est passée d'une définition restreinte à une acceptation très large.