Le poète et le joueur de quilles : Etude sur la construction de la valeur de la poésie (XIV-XXIe siècles)

Je remercie les éditions des Presses Universitaires de Rouen et du Havre et Babelio pour cet ouvrage reçu grâce à l'opération Masse Critique.
Cet ouvrage universitaire rassemble des contributions scientifiques autour de la question de l'utilité sociale de la poésie. " A quoi bon la poésie ?" est la question centrale. Les auteurs s'interrogent donc sur des aspects très pratiques, concrets, économiques même : la part de la poésie sur le marché de l'édition - j'aurais aimé plus de chiffres, plus de statistiques, c'est mon côté sciences sociales plus que littéraire. Ils réfléchissent aussi sur la place et le rôle du poète dans la société - et là, c'est l'historienne qui parle, je n'ai pas compris pourquoi les contributions n'étaient pas chronologiques... Poète courtisan faisant l'éloge du Roi ou des puissants, poète-prophète à la Hugo... Ayant tellement été bouleversée par la Résistance et ses poètes de Pierre Seghers l'an dernier, j'ai regretté certaines absences néanmoins.
Je dois cependant reconnaître que mes études littéraires commencent à dater un peu, que je lis de la poésie mais que je n'ai pas l'habitude de lire des critiques et des contributions littéraires sur la poésie. Par conséquent, j'aurais eu envie de répondre à la question de l'utilité de la poésie après l'introduction surtout que, pour la rendre accessible, les ouvrages universitaires devraient l'être aussi... C'est surtout l'introduction qui m'a d'abord freinée, car assez technique, avec plusieurs concepts et termes que je ne maîtrisais pas. Et, dans certaines contributions, j'ai eu l'impression d'un sentiment de condescendance envers les "poètes du dimanche" - dont je fais partie, et d'exclusion de tous ceux qui ne partageraient pas certaines connaissances considérées ici comme implicites : je ne connaissais pas de nombreux poètes évoqués, ni des articles ou des concepts.
Même si je préfère ressentir la poésie que l'analyser, j'ai découvert des poètes que je ne connaissais pas, et j'ai noté plusieurs recueils qui pourraient me plaire et que je vais aller découvrir. L'utilité de la poésie se situe sans doute en partie ici - pour moi : donner envie de lire et faire lire.

"Tout le monde croit savoir ce qu'est la poésie, mais quand il s'agit d'en parler, le sable de la définition vous glisse entre les doigts." disait Luce Arrabal. Voilà donc un ouvrage collectif, très instructif, qui se colle à l'exercice d'analyser la construction de la valeur de la poésie entre le 14ème et le 21ème siècle.

Cet ouvrage universitaire est riche d'enseignements sur l'image de la poésie à une époque de dépréciation du fait poétique dans l'espace des médias, avec de plus en plus répandus dans la population, les reproches d'élitisme et d'illisibilité, de disparition du lectorat, etc.

Articulé en cinq parties thématiques, de la Renaissance à nos jours, sur trois cents pages, avec de multiples références techniques ou littéraires, les auteurs passent en revue les notions d'art poétique, de performance poétique, lyrisme, rap, poésie du dimanche, poésie dans les discours à la recherche de rythme et de punch lines, poésie et philosophie, poésie mondaine, poésie érotique, obscurité ou transparence du poème, comme autant de portes d'entrée dans la réflexion autour de la valeur de la poésie au fil des âges.

L'analyse de la valeur d'un art porte trop souvent sur son aspect économique et financier et la poésie n'y échappe pas. Nathalie Quintane affirme "parmi tous les actes classés encore aujourd'hui comme artistiques, le poétique est sans doute ce lui qui est réputé le plus gratuit [...] trop insignifiant pour qu'on songe seulement à y associer la monnaie. Un travail qui ne vaut rien."

Les poètes n'ont de cesse de lutter contre ces analyses populaires, trop simplistes, qui renverrait à une nouvelle lutte de classes ostracisant les intellectuels.

Dommage que ce travail de recherche universitaire ne se soit penché sur les aspects de poésie féminine, la traduction de la poésie étrangère.

Cet ouvrage intéressera plus les analystes de la poésie et n'est pas forcément d'un abord aisé mais offre pleins de ressources à qui s'interroge sur ce qu'est la poésie et ce qu'elle devient.

Si François de Malherbe pensait à son époque qu'« Un bon poète n'était pas plus utile à l'Etat qu'un bon joueur de quilles », après la lecture de cette étude, on pourra tout de même conclure que "Cette crise profonde de la valeur peut être perçue comme le signe d'une période de mutation, comme la poésie en a déjà connu beaucoup au cours de son histoire."