Adib Alkhalidey

J’étais assis à table, j’avais de la peine. Je sais que
j’avais de la peine, parce que quand j’ai de la peine
j’ai envie de tous les tuer… On sort dehors, je regarde
mon épouse : « Bébé, man ! Qu’est-ce qu’il va falloir
que j’accomplisse pour qu’on me traite comme un
Québécois, tabarnak ? Yo ! J’ai gagné des Gémeaux,
man ! Combien de talibans tu connais qui ont gagné
des Gémeaux, là ? Zéro taliban. J’ai checké sur le
site, y en a pas un. Bébé, je suis sur Netflix ! JE SUIS
SUR NETFLIX ! Y a juste deux Irakiens d’origine
sur Netflix, moi et Saddam Hussein ! » On choisit pas
ses acolytes. C’est dans des moments comme ça, à
table, que je me dis… et ça arrive pas souvent ! Je
veux être clair ! Ça arrive pas souvent, mais c’est lors
de moments comme ça, à table, que je me dis que j’au-
rais aimé être blanc. Mais je veux juste faire une paren-
thèse qui est très importante, parce que ça a pris beau-
coup d’années d’expérience avant d’arriver à cette
conclusion et j’y tiens : je pars du principe que dans
la vie nous ne sommes qu’un. Il n’y a qu’une seule
race humaine et l’existence est une tragédie pour tout
le monde. Je suis persuadé qu’au fil d’arrivée on va
tous se regarder, et on va se dire : « Avoue que c’était
de la marde ? Ça a fait mal tout le long, hein ? » Mais
quand je suis fatigué, quand je suis paresseux, quand je
manque d’énergie, je me dis que j’aurais aimé ça être
blanc. Parce que tu sais ce qu’ils disent : « Le gazon est
plus… » Je sais pas ce qu’ils disent ! Parce que j’ai vécu
toute ma vie dans des appartements ! Il me semble
qu’ils disent que « le gazon est plus GANGSTA chez
les autres ! », non ? Parce que moi, si je laisse pousser
ma barbe, j’ai droit à des jokes de talibans. Si mes amis
blancs se laissent pousser la barbe, tout le monde est
comme : « Ah ! Tu reviens de camping ? T’as-tu de la
truite ? Ça a-tu mordu ? » D’ailleurs, ce sont mes amis
blancs les plus activistes de tous mes amis. Ce sont
eux qui passent leur temps à me dire : « Pourquoi t’as
pas remis ton beau-père à sa place ? Il faut que tu le
remettes à sa place pour qu’il te redise plus jamais des
choses comme ça. » J’ai rien dit à mon beau-père, j’ai
rien dit à mon beau-père, je vais vous dire pourquoi
j’ai rien dit à mon beau-p… J’ai rien dit à mon beau-
père, parce qu’il m’aime, esti ! Il m’aime pour vrai, je
le sens dans sa manière de me permettre d’appartenir,
tel que je suis, à sa famille. Je le sens dans chacune
de ses paroles qu’il y a de l’amour. Est-ce qu’on peut
arrêter de faire semblant qu’on sait c’est quoi l’amour
et qu’on est capables de le décrire ? Chaque personne
a sa propre définition de ce que c’est l’amour, mais ce
n’est pas nécessairement la même définition que celle
de la personne assise à côté de toi. La seule chose sur
laquelle on est réellement d’accord, c’est que l’amour
requiert un effort. Dans cette situation, je fais l’effort
de comprendre que, pour mon beau-père, c’est plus
facile d’être raciste que de dire je t’aime.

Je suis désolé pour la barbe, en passant. Ça te fait
rire ? Je sais que c’est un problème, mais c’est plus
un problème pour moi que pour vous, juste qu’on
soit clairs. J’étais chez mon beau-père la semaine
dernière pour souper. Ma femme est blanche, pour
ceux que ça intéresse. Il y en a qui savent où ça
s’en va ! On est assis à table, et de nulle part mon
beau-père se met à me faire des jokes de talibans…
normal : « Adib, je te regarde et t’as une estie de face
de taliban toi tabarnak ! » Là, TOUT LE MONDE
à table se met à me faire des jokes de talibans. Effet
domino de jokes de talibans ! Comment veux-tu que
je réagisse ? Je suis juste comme : « HAHAHAHA ! »
Tu sais, je veux pas rajouter au malaise, déjà que la
bouffe est dégueulasse !