Ainsi donc, à ce monument artistique que j’ai voulu élever à la mémoire de Decamps chacun de ses admirateurs aura apporté sa pierre. S’il est, ainsi, vraiment digne de celui dont il voudrait perpétuer à jamais la gloire, je suis heureux d’avance de renvoyer à chacun de mes bienveillants collaborateurs la part d’un succès qu’ils m’auront si bien aidé à atteindre.
Ce revirement complet du goût public nous est curieusement attesté par le passage suivant d'une lettre de Delacroix, datée du 14 avril 1853, et que nous ne pouvons nous empêcher de citer encore :
« Eh bien, oui! cher ami, c'est vraiment à n'y pas croire, et pour ma part je n'y comprends rien. Il semble maintenant que mes peintures soient une nouveauté récemment découverte, les amateurs vont m'enrichir après m'avoir méprisé. »
Peu-t-on s'étonner, après cela, que son pinceau ait reproduit avec tant de puissance et surtout d'originalité les aspects multiples de l'Océan?
Et cependant cette mer qu'il aimait tant, qu'il peignit cent fois avec un charme toujours nouveau, une vérité toujours plus grande, il ne l'étudiait pas, comme on pourrait le croire, la brosse ou le crayon à la main : debout pendant de longues heures sur la jetée de Dieppe , au milieu des rochers d'Étretat, il se bornait à regarder, et peignait ensuite de souvenir.
Eugène Delacroix, personne ne l'ignore, fut toute sa vie sinon malade, au moins toujours souffrant : à diverses époques sa frêle organisation, gravement éprouvée déjà par des fièvres contractées dans son extrême jeunesse, reçut de sérieuses atteintes qui, sans mettre l'existence en danger, imposèrent à sa santé des précautions continuelles.
A ceux qui voudront suivre, dès l'origine, le développement ininterrompu de son génie, connaître ses procédés d'exécution, apprécier dans les détails et dans l'ensemble le vaste panthéon de ses œuvres, les travaux spéciaux de nos critiques d'art fourniront des renseignements complets.
Nous avons trop aimé l’homme, nous admirons trop, même dans ses défauts, l’illustre artiste, et le grand peintre, pour n’avoir pas craint que nos préférences personnelles n’enlevassent à nos appréciations quelque chose de cette impartialité qui en est la condition première.