Dans votre bureau, vous étiez « ailleurs ». Et c’est « ailleurs » qu’Aurora, Élena et les autres veuves de Santiago, mademoiselle Petite-Sérénité, geisha de première classe, Keiko San, le colonel Constantin Dragasès, Sollacaro, le professeur Calguès, Jean-Marie Ghislain Pénet, Ségolène, le roi Antoine, Rose de la pointe de la Grande Vigie, le colonel-major comte Silve de Pikkendorff, Fédora, monseigneur Osmond Van Beck, Frédéric Puisant, l’abbé-feldwebel Jérémie Gordes et les hussards de Katlinka, Bonnie Prince Charlie, Flora MacDonald, le légionnaire Santos, Ugo et Lilia infirmière au Val de Grâce, Philippe VII Pharamond, Bohémond et le saint-cyrien Monclar, Marie, Odon de Batz, Amir et Abaï, le père Serge, Kandall Kartis, Clara, le capitaine Otto von Pikkendorff, Aithiops, Sa Majesté Orélie-Antoine, Frédéric Pons, Aude, Irène et Salvator de Orth, Ursula Kalderon, Fuéga, Bertrand Karré, le lieutenant Frantz von Pikkendorff, Zazanne et Maïté, Benoit, Jean Carrier, Pedro de Luna, Zara la sainte, Élena, Dom Louis-Ulrich de Pikkendorff père abbé du monastère Saint-Tarcisse, Oktavius, Frantz, Tristan et les autres, Véra, Hans, le petit homme à la peau couleur d’écorce et Lafko …, c’est « ailleurs » qu’ils vous attendaient, tous réunis autour d’un grand feu… Ils vous attendaient pour vous remercier, eux aussi.
Jean Raspail vous ne serez jamais oublié ! Ici comme ailleurs, vous serez toujours à nos côtés. Adios Jean Raspail, notre consul général de Patagonie et notre ami pour l’éternité… On se souviendra de vous !
« Quand on écrit un livre, on en est habité. Et les rouages du cerveau travaillent particulièrement la nuit. C’est pourquoi j’ai toujours eu une loupiote et un carnet de chevet pour écrire au milieu de la nuit les quelques mots, parfois deux ou trois, qui m’étaient survenus. » Ce fut le cas pour la célèbre et magnifique phrase qui introduisit les « Sept Cavaliers ». Ses livres, Jean Raspail ne les cherchaient pas, ils venaient à lui.
« Qui se souvient des hommes », au contraire, se souvient que nous ne sommes pas réductibles à des consommateurs anonymes, interchangeables et passagers, à des feux de paille aussi éphémères que dénués de sens ; que l’homme demeure, à travers les aléas de l’histoire, ce qu’il a toujours été : un être avide de continuité, de transmission, de relation, avec des générations qui l’ont précédé, avec le monde qui l’entoure comme avec les puissances qui l’ont tiré du néant – avide de cette religion « qui conduit au Dieu Créateur par la conscience aigue de l’immense chaîne des hommes ».
« Ailleurs » était un de vos mots préférés, comme vous l’aviez rappelé à des élèves lors de la remise des prix du Plumier d’or en 2009 : « Ailleurs, c’est un pays lointain, souvent rêvé, un peu flou, un peu mystérieux, un pays pour l’âme, pour le cœur, une sorte de seconde patrie, peut-être imaginaire, peut-être vraie, un territoire vierge, un royaume perdu où l’on se retrouve soi-même, une frontière au-delà de laquelle, plus loin encore, on découvre une autre frontière, et ainsi de suite, sans fin, car derrière ailleurs, c’est encore ailleurs, et ailleurs, c’est (aussi) l’espérance. »
Olivier Maulin a un jour parlé des « réfugiés spirituels » du monde moderne, ils ont trouvé refuge dans les livres de Raspail. « Je veillais aux frontières du passé », confesse-t-il, amarré à son rêve immarcescible. Personne ne le lui dérobera plus. C’est d’abord un royaume intérieur, qu’il projetait hors les murs, par-delà les mers. Un royaume pour soi. Son eldorado est un Graal ; son sacre, du sacré ; ses royaumes de papier, des mythes qui ne demandent qu’à revivre, n’en déplaise parfois à l’auteur, en proie à une mélancolie vespérale.
Jean Raspail nous a légué son jeu du roi, sa Patagonie. « Une patrie de rechange » pour ceux qui ne se reconnaissent plus dans les errements, les bassesses, les renoncements dont regorge notre société actuelle. Chaque sujet du royaume porte en lui ce territoire libre où s’expriment l’esprit d’enfance et l’audace de la jeunesse, où l’âme s’élève au son de l’hymne de Maximilien.