Nous autres nous étions pauvres, de cette pauvreté dépassée par le mépris. Nus et rebelles, disposés à nous moquer et à faire une farce.
Et on travaillait depuis des siècles, on était tristes depuis des siècles et on riait depuis des siècles. Notre race se répandait peu à peu sur la mer et sur la terre. L'un arrivait sur une île, l'autre sur un continent, beaucoup aux montagnes et aux plaines de la Méditerranée.
Les nôtres mouraient seuls et ils étaient enterrés sur les collines pleines de cyprès, d'oliveraies et de châtaigneraies. Dans la famille on était catholiques ou anarchistes et jadis nous étions riches. Dans le pays on nous appelait "des gros" et nous étions "de sales types". Aujourd'hui on crevait de faim et pour survivre il fallait travailler comme des fous.
Nous étions des enfants et il nous fallait jouer. Mais les jouets étaient rares. Alors nous volions les boutons des vêtements que nos mères étendaient et ainsi nous jouions avec les boutons.
Un autre divertissement consistait à aller voir les morts étendus sur leur lit, nos compatriotes, nos familiers que l'on accompagnait au cimetière comme à une promenade à travers champs.
Un matin radieux invita l'équipage à faire le tour de l'île parsemée de vestiges antiques.
- "Cette terre est comme la Corse, une terre immémoriale où la décrépitude n'a pas de prise, où la lumière des rivages est enlacée par une mer bienveillante", déclara Restitude.
- "Où la métamorphose de la mort transfigure le passage des cycles de la nature dans une efflorescence prolixe", ajouta Martinien.
Les deux piétons montèrent successivement sur le yacht battant pavillon panaméen à l'extrémité de la jetée d'Imperia. Le vent de suroît avait forci et atteignait force 8. Un bon caban n'était pas superflu.
Non plus que le verre de punch servi à leur arrivée.