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Citation de art-bsurde


D'un bout à l'autre de l'histoire, les gens confrontés à l'insupportable rappel des horreurs qu'ils ont commises – bourreaux, assassins, détenteurs impitoyables du pouvoir, bureaucrates d'une abjecte obéissance – répondent rarement à la question : pourquoi ? Leurs visages impassibles rejettent toute admission de culpabilité, ne reflètent rien que le refus d'aller du passé de leurs actes à leurs conséquences.
[…]
Si le temps s'écoule sans fin, ainsi que le suggèrent les mystérieuses connections existant entre les livres, en répétant de siècle en siècle ses thèmes et ses découvertes, alors chaque méfait, chaque trahison, chaque mauvaise action finira par rencontrer ses véritables conséquences. Après la fin de l'histoire, juste au-delà du seuil de ma bibliothèque, Carthage se relèvera malgré le sel répandu par les Romains. Don Juan affrontera les angoisses de Dona Elvira. Brutus se retrouvera face au fantôme de César, et chaque bourreau devra implorer le pardon de sa victime afin que s'accomplisse l'inévitable cycle du temps.
Ma bibliothèque m'autorise ce rêve irréalisable. Mais, bien entendu, pour les victimes, aucune raison, littéraire ou autre, ne peut excuser ni expier les actes de leurs bourreaux. Nick Caistor, dans son avant-propos à l'édition anglaise de Nunca más (Jamais plus), le rapport sur les « disparus » pendant la dictature militaire argentine, nous rappelle que les histoires qui finissent par arriver jusqu'à nous ne sont que les comptes rendus des survivants. «  On ne peut que se demander, dit Caistor, quels récits d'atrocités les milliers de morts ont emportés avec eux dans leurs tombes anonymes. »
On comprend difficilement comment des gens continuent à accomplir les gestes de la vie quotidienne quand la vie même est devenue inhumaine ; comment, dans la famine et la maladie, les brutalités et les massacres, des hommes et des femmes restent attachés à des rituels civilisés de courtoisie et de bienveillance, continuent à inventer des stratagèmes de survie au nom d'un fragment minuscule d'une chose aimée, pour un livre sauvé parmi des milliers, pour une voix qui se fera jusqu'à la fin des temps l'écho des paroles du serviteur de Job : «  Et moi seul j'en ai réchappé pour te le dire. » Tout au long de l'histoire, la bibliothèque du vainqueur se dresse comme un emblème du pouvoir, détenteur de la version officielle, mais la version qui nous hante, c'est l'autre, celle de la bibliothèque en cendres. La bibliothèque des victimes, abandonnée ou détruite, continue à demander : « Comment de tels actes furent-ils possibles ? »
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