J’étais heureux. Oui pour la première fois depuis que je m’en souvienne, j’étais heureux.
Je voulais prolonger ce moment, absolument. Rentrer chez moi m’était devenu impossible. Je ne voulais pas retrouver ma grisaille, je ne voulais pas m’expliquer, je ne voulais plus de cette vie de merde ! Je voulais être vivant, utile, heureux ! Je me décidais donc à attendre le matin pour rentrer chez moi, ou aller directement au travail. Mon seul problème était de trouver un endroit pour dormir. Je sortis de la gare et repérai trois jeunes SDF avec un chien.
L’été, la nuit venue, c’était une véritable cour des miracles, où mendiants, voleurs à la tire, vendeurs à la sauvette, escrocs, clochards, paumés et drogués se regroupaient pour dormir tranquillement. C’était l’endroit le plus sûr de tout Paris, même s’il paraissait inquiétant à première vue. La règle était simple ; Sécurité totale pour tous. On rangeait les couteaux et les rancœurs. Chacun pouvait dormir paisiblement, sans risque de se faire dépouiller dans la nuit.
Théophile était beau, sportif, et savait qu’il plaisait. Il ne draguait que les filles « populaires » c’est-à-dire bien en vue, ou inaccessibles, pour faire pâlir de jalousie ses amis. Ces derniers aussi, il les triait sur le volet. Pas question de discuter avec n’importe qui, de sympathiser avec des camarades qui manquaient de charisme, ou tout simplement qui n’avaient pas une condition familiale équivalente à la sienne. Il était imbuvable, mais tellement admiré.
Comme tu t’en doutes, des enfants auraient pu mettre un peu d’agitation et de gaité dans ma vie. Mais mon épouse était stérile, du moins c’est ce que j’aimais à me dire. Quand nos couples d’amis se mirent à faire des enfants, ils nous exclurent progressivement de leurs invitations à dîner. Ce n’était pas pour me déplaire, in fine. Parler gosses de l’apéro au dessert, nous qui ne pouvions en avoir, était un exercice cruel.
Le temps peut me changerMais je ne peux pas remonter le temps