Citations de Alexandre de Paris (30)
Quand le roi voit la terre s’enflammer par endroits,
Les montagnes s’ébranler, et les rochers bouger,
Les éclairs briller et les pierres tomber,
Sans mentir, il a peur.
Le roi Alexandre ne peut plus retenir sa vie :
Ses beaux yeux commencent à se troubler,
Son nez se fronce, sa bouche se crevasse ;
Ses bras blancs sont si faibles qu’il ne peut plus les lever.
L’âme s’échappe du corps, où elle ne peut plus rester.
Gog et Magog s’en vont, ils ont perdu des hommes,
Dix mille morts et quatre cent blessés
Qu’ils font transporter sur des brancards : ils s’en vont, honteux,
Menacent Alexandre de leur vengeance
Et le traitent de fils de putain, né d’un enchanteur.
Je vois mourir mes hommes, ils s’écrasent devant moi :
Si je n’apprends pas à partager leurs épreuves,
Comment un homme pourra-t-il jamais se fier à moi ?
Le tonneau est transporté en barque sur l’eau,
Toutes les issues sont bien scellées de plomb.
Le roi Alexandre y est entré avec deux compagnons.
Il se fait mener en haute mer par ses marins
Et leur ordonne de le descendre au fond de l’eau.
Et quand le tonneau est descendu tout au fond,
Les lampes répandent une immense clarté.
Tous les poissons contemplent le tonneau :
Les plus hardis sont tous épouvantés
Par cette lumière dont ils n’ont pas l’habitude.
Le roi Alexandre les a bien regardés :
Il voit les grands poissons faire la guerre aux petits,
Les attraper et les dévorer.
A ce spectacle, Alexandre s’est fait la réflexion
Que ce monde tout entier est perdu et damné.
Au sortir du royaume, à l’entrée d’Elis,
Ils trouvent une merveille qui les frappe de stupeur :
Un tertre aventureux haï de tous les hommes.
[…]
Ecoutez la merveille qui domine cette montagne :
Quand un couard y pénètre, il devient courageux ;
Le pire soldat du monde se sent rempli d’ardeur.
Mais le preux est soudain rempli de couardise,
Lâche dans son cœur, ses actes, ses paroles :
Le meilleur sombre dans la folie et la vilenie.
On peut donner de bonnes habitudes à un homme en le corrigeant bien,
Mais Nature à la longue reprend tous ses droits.
Le roi est debout, la petite loge renversée.
Il prend sa lance, y fixe un morceau de viande
Qu’il sort de son engin pour la lever vers le ciel.
Les oiseaux, affamés, regardent la viande :
Ils s’élancent vers le ciel en prenant leur vol
Et ont tôt fait d’emporter la loge dans les airs.
Ils pourchassent la viande, la gueule grande ouverte,
Mais la viande s’élève en même temps qu’eux :
Ils croient toujours l’attraper, mais ils ont bien tort.
Ils emportent ainsi le roi vers le ciel dans leur vol terrifiant […].
Il pleuvait du sang
Qui tombait en gouttes vermeilles sur les troupes :
Tous les vêtements étaient couverts de sang.
Tel croit tuer son ennemi qui est tué par lui.
Je vous fais la promesse, et saurai la tenir,
Que je ne conquerrai nul château, nulle cité,
Dont je ne vous fasse présent.
De toute ma vie, je ne cesserai mes conquêtes
Que quand je vous verrai tous rois couronnés.
[La littérature chevaleresque] trouve sa matière dans les légendes guerrières et chrétiennes des débuts de la société médiévale (chansons de geste) mais aussi dans la « mise en roman », c’est-à-dire la traduction en français des textes de l’Antiquité latine : c’est la naissance du genre romanesque.
-Introduction-
Il n’est dans les déserts couleuvre ni crapaud,
Ni guivre, ni chat-huant si bien cachés
Qu’ils ne suivent leurs traces, attirés par le sang.
Le baume qui circule dans le palais par un conduit de cristal
Remplit le lieu d’une odeur si céleste
Que la créature de Dieu
La plus atteinte d’une maladie mortelle
N’aurait qu’à s’y baigner un seul jour depuis l’aube
Pour guérir aussitôt sur place
Et être préservée tout un an de douleur et de mal.
La bataille fait rage, les guerriers sont farouches.
Des vignes et des blés, il ne reste plus rien.
[…]
On pouvait voir trancher poitrines et entrailles,
Et les chevaliers morts gisant dans la campagne.
La plaine est recouverte de sang et de cervelle.
Le voyage en Inde fait donc figure de folle errance en quête de l’immortalité, s’achevant sur une prophétie qui consacre l’inanité des efforts du héros et introduit dans le roman le tragique, qui va dominer la dernière branche.
-Introduction-
Mon gonfanon baignera dans le sang de bien des ennemis,
Je ruissellerai de sang jusqu’aux talons,
Avant d’accepter de partager ma renommée avec un autre !
Quand le roi a bu, son corps se refroidit,
Sa peau devient plus verte que la feuille de poireau.
Là-haut, dans ces déserts, on trouve deux arbres
Qui ont cent pieds de haut, aussi épais l’un que l’autre.
Ce sont les arbres sacrés du Soleil et de la Lune :
Ils comprennent et parlent toutes les langues
Et révèlent à un homme toutes ses pensées,
Et tout ce qui doit lui arriver dans l’avenir.
C’est une terrible bête dont on n’a jamais vu la pareille,
Farouche et horrible, il paraît que c’est un cheval :
Vous êtes nés le même jour, c’est une chose sûre.
Quand Philippe l’a reçu de la reine d’Egypte,
C’était un jeune poulain qui venait de naître ;
Il n’est pas maintenant de cheval plus farouche.
Nul homme n’a jamais vu bête de cette sorte :
Les flancs tachetés, la croupe fauve,
La queue violette comme celle d’un paon, par les soins de Nature,
La tête d’un bœuf, les yeux d’un lion, le corps d’un cheval :
Voilà pourquoi on le nomme Bucéphale.