Alexane Tolley

Chapitre 5 :
Léopoldine
«…
— La situation vous fait rire ? Asseyez-vous !
Je me suis excusée, merde ! Il n’a jamais d’imprévu, ce con ?
Le ton cinglant m’énerve.
Calme-toi, Léo.

Je sais, au moment où je prends la parole, que je ne devrais pas faire ça, que je vais détruire instantanément mes chances d’avoir ce job mais je ne vais pas me laisser malmener. C’est fini. J’ai passé des années à être une serpillière. Je reste debout et lui adresse le regard le plus hautain de mon répertoire. Mes années d’entraînement paient enfin !— Pardon monsieur ?— Je vous demande si la situation vous amuse ?— Pas spécialement non ! À vrai dire, je pense que nous allons en rester là. Je vous prie encore de m’excuser de vous avoir fait perdre votre temps…— Mademoiselle Leclair, restez là et expliquez-vous !
Alors que je tourne les talons, son ton sans appel m’arrête. Un ordre. Et je repense aux réactions des employés que j’ai entraperçus tout à l’heure. Il ne doit pas faire bon d’avoir affaire à M. Antoine Delbarre !
Je lui fais de nouveau face. Doucement. Froidement. Il veut avoir des explications, il va en avoir !
... »

Mon expérience de jeunesse est derrière moi. Et finalement, c’est bien ce que c’était : une expérience de jeunesse. Enfin, une erreur de jeunesse ! Amère ? Non. Blasée ? Non. Méfiante ? Un tantinet ! En réalité, j’ai gagné en sagesse et en joie de vivre puisque mon épisode parisien m’a permis d’avoir le plus bel enfant du monde qui fait de ma vie un tourbillon de bonheur au quotidien. Tony a abusé de ma crédulité et de mon inexpérience. J’ai cru en ses boniments. J’ai cru en la vie facile qu’il me promettait. Mais je sais que tous les hommes ne sont pas comme ça et, après quelques aventures sans lendemain, il est temps pour moi de me donner une autre chance. Tony n’était tout simplement pas le bon. Mais tout cela est très loin désormais et je continue ma vie avec mon petit bonhomme.
Je suis encore en train de penser au retour de mon amoureux lorsque j’arrive chez Christine. Je ne peux pas encore l’appeler mon homme. C’est trop tôt. C’est trop définitif. Tony était mon homme et pour ce que cela a donné… Mon amoureux, c’est doux. C’est limite mièvre mais ça fait du bien.

Mes parents m’ont accueillie comme seuls savent le faire les parents et ne m’ont jamais trop posé de questions sur ce que j’avais vécu durant les six ans de mon escapade. De mon côté, je ne leur ai dévoilé que le minimum. J’avais trop honte. Lorsqu’ils ont vu que j’esquivais systématiquement leurs interrogations, ils ont respecté mon choix et le temps a fait son œuvre. Mais il fallait que je rebondisse et je devais également créer un foyer pour mon fils qui grandissait.

« Les erreurs ne se regrettent pas, elles s’assument.
La peur ne se fuit pas, elle se surmonte.
L’amour ne se crie pas, il se prouve. »
Simone Veil.

Prologue :

Neuf ans plus tôt
«… Je raccroche au nez de Julien qui ne m’en voudra pas. J’écoute dans la salle de bains si des bruits me parviennent mais seul le silence me répond.
Je dois me rendre à l’évidence. Elle est partie.
Et je ne connais même pas son véritable prénom. Il y a juste une signature qui me nargue sur un bout de papier à dessin.
Élo…»

C’est plus la haine, l’aigreur et la colère que ses propos qui me choquent. Si j’appréciais pendant toutes ces années d’être sa chose, son trophée, je refuse d’être une marchandise. Je suis à terre, dans tous les sens du terme alors que cette nuit aurait dû être notre nuit. Alors que cette nuit, j’aurais dû lui annoncer que je portais son enfant.

Tu n’as rien fait de mal, Sasha. Tu es là pour danser et ce n’est pas parce que tu fais partie du monde de la nuit que tu es une pute. Tu assumes ton métier mais tu assumes tes valeurs également. C’est ce que tu es. C’est ce qui fait ta force. Ne le laisse pas t’enlever ça. Refuse.

La fierté que je lisais sur son visage valait toutes les rétributions du monde et je n’en demandais pas plus. De quinze ans mon aîné, il m’avait façonnée comme il le souhaitait. J’étais satisfaite d’être sa compagne, sa muse, sa chose.

Il est tout ce que d’habitude je ne regarde pas. L’exact opposé de mon idéal.