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Citation de michelekastner


Beaucoup de très jeunes soldats n'avaient encore, avant la guerre, jamais vu un mort de près. Et voilà qu'ils en découvraient des centaines ! Joseph était un autre. Déjà s'étaient détruits en un coup de fusil sa candeur et son élan. Maintenant il se rappelait le visage grave de sa mère lorsqu'elle revenait de faire une toilette mortuaire. Comme il admirait alors les femmes, capables d'affronter ce mystère caché, ce silence, cette fausse immobilité d'un corps en transformation, dans l'odeur douceâtre dont elles murmuraient à voix basse qu'elle monte si vite que c'est à peine croyable, et qu'elles voulaient qualifier, peut-être pour s'en défaire. Jamais il n'avait osé accompagner sa mère, et même lorsque le père était mort, il n'avait pas voulu le voir. Cette chair abandonnée, livrée aux bêtes minuscules, quel effroi ! Aujourd'hui il identifiait une dizaine de corps, les dépuoillait de leur uniforme et les transportait jusqu'à leur dernière place. Et Joseph avait changé d'idée. Ces cadavres n'étaient pas habités comme il l'avait cru, ils avaient encore leur nom et leur histoire, leur blessure les racontait et les faisiat revivre. Joseph devenait capable d'imaginer leurs derniers instants. Sous le sang collé et la plaie de leur blessure, il reconnut Tilleul et Chabat qui se moquaient vilainement de lui. Il éprouvait une tendresse pour eux. Des hommes qui vous étaient détestables debout dans leur vie devenaient attendrissants couchés dans leur mort. C'était un miracle de la guerre de faire éclore cette compassion dans le temps de la haine, cette certitude que nous sommes proches les uns des autres parce que promis au même sort silencieux. Les rescapés nommaient chaque défunt, et priaient pour lui avant de l'allonger dans la fosse. Les soins qu'ils apportaient à ceux que la guerre avait tués, s'il advenait qu'ils ne pussent plus les prodiguer, seraient-ils encore des hommes ? Ils seraient moins que des chiens, pensait Artéguy, des vautours, des hyènes...
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