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Citation de Livretoi


Pendant presque quarante ans, Vinnie a souffert des désavantages particuliers aux femmes nées sans charme physique…

Vers l’âge de cinquante ans Vinnie commença néanmoins à renoncer à ces tentatives épuisantes. Elie cessa de donner à ses cheveux une teinte auburn juvénile et peu naturelle et les laissa revenir à leur bigarrure poivre et sel ; elle donna la moitié de ses vêtements et jeta presque tous ses produits de maquillage. Il valait mieux, se dit-elle, regarder la réalité en face : elle était défavorisée par la nature, et à ce désavantage venait maintenant s’ajouter celui de l’âge ; elle aurait beau agiter des objets de couleur vive pour attirer l’attention, jamais elle ne serait de ces femmes que les hommes chargent avec la fougue d’un taureau. Du moins pouvait-elle éviter d’être ridicule. Si elle ne pouvait se transformer en femme séduisante, elle pouvait, au moins avoir l’air d’une dame.
Mais au moment même où elle se résignait à la défaite totale, l’avantage revint dans le camp de Vinnie. Au cours des deux dernières années, elle a, dans un sens, rattrapé et même dépassé certaines de ses contemporaines plus favorisées. Elle peut comparer son apparence avec celle d’autres femmes de son âge sans y trouver une source constante de mortification. Elle n’est pas devenue plus belle qu’elle n’était, mais elles ont perdu davantage de terrain. Sa silhouette mince, aux proportions modestes, n’a été ni déformée ni avachie par la maternité ou par les excès alimentaires suivis de régimes non moins excessifs ; ses seins petits mais plutôt jolis (d’un blanc crème avec les bouts roses) ne sont pas tombés. Ses traits n’ont pas pris l’expression blessée et tendue des anciennes beautés, elle ne se peint pas la figure, elle ne minaude ni ne roucoule dans le vain espoir
d’attirer sur elle les hommages masculins qu’elle croirait lui être dus. Elle n’est pas rongée de colère et de chagrin de voir s’interrompre des assiduités qui ont toujours été, de toute façon, modérées, peu sûres et irrégulières.
De ce fait, les hommes – même ceux avec qui elle a eu des relations intimes – ne posent pas maintenant sur elle un regard désemparé semblable à celui qu’ils auraient devant un paysage bien-aimé dévasté par l’incendie, les inondations ou l’urbanisation. Peu leur importe que Vinnie Miner, dont l’apparence physique n’a jamais été sensationnelle, ait maintenant l’air d’être vieille. Après tout, ce n’est pas une passion romantique qui les a poussés à coucher avec elle, mais un sentiment de camaraderie et un besoin partagé et temporaire ; souvent, ils l’ont fait presque distraitement, pour soulager la pression causée par leur désir pour une créature plus fascinante. Il arrivait assez souvent qu’un homme qui venait de faire l’amour à Vinnie s’assoie tout nu dans le lit, allume une cigarette et lui raconte les vicissitudes de son aventure avec une beauté capricieuse, s’interrompant de temps a autre pour lui dire que c’était formidable d’avoir une copine comme elle.
D’aucuns seront peut-être surpris de découvrir cet aspect de la vie du professeur Miner. Mais on se tromperait en croyant que les femmes laides sont plus ou moins vouées à la chasteté. C'est une erreur répandue, puisque dans l'opinion publique - et en particulier dans les médias - la sexualité est associée à la beauté. C’est en partie pour cette raison que les hommes ne tiennent pas à se vanter de leurs liaisons avec des femmes sans charme, ou à les afficher. Quant aux femmes en question, les dures leçons de l’expérience et l’instinct de conservation les incitent souvent à ne pas étaler ces relations, où elles bénéficient plus fréquemment du statut d’amie intime que de celui de maîtresse en titre.
Il est assez notoire que n’importe quelle femme, ou presque, peut trouver un homme avec qui coucher à condition de ne pas se montrer trop difficile. Mais les exigences sur lesquelles elle doit en rabattre ne portent pas forcément sur la personnalité, l’intelligence, la vigueur sexuelle, la bonne apparence ou la réussite sociale. Il faut surtout, le plus souvent, qu’elle ne demande pas trop d’engagement, de constance, ni de passion romantique ; elle doit renoncer à tout espoir de déclaration d’amour, de regards admiratifs, de télégrammes spirituels, de lettres éloquentes, de cartes d’anniversaire, de billets doux pour la Saint-Valentin, de bonbons ou de fleurs. Non : les femmes laides ont souvent une vie sexuelle. Ce qui leur manque, c'est plutôt une vie amoureuse.
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