- Tu ne m'aimais pas, moi. Tu aimais l'image de moi que tu avais façonnée.
En regardant autour de lui, il réalise qu'il détonne parmi les autres clients de la terrasse. Tous portent des signes ostensibles de richesse, ont des manières raffinées qui ne correspondent pas aux siennes. Il est sur le point de se lever pour quitter la brasserie et chercher un café plus populaire, mais un serveur surgit au même moment et dépose devant lui une tasse de café.
– 4,50 euros !
Le serveur regarde ailleurs mais demeure proche de la table, pour montrer qu'il attend que Julien règle immédiatement. Tout dans son comportement indique que le temps mis par son client pour procéder au paiement lui paraît insupportable.
– Je n'ai pas commandé de café.
Le serveur consent enfin à poser les yeux sur Julien. Il fronce les sourcils.
– Ah peut-être, j'ai dû me tromper de table. Vous le prenez quand même, ou pas ?
Il semble à Julien que toute la terrasse le dévisage comme s'il était responsable de l'erreur du serveur.
– Si vous voulez. Je veux bien le boire.
Une pensée qui jusque-là ne l'avait jamais effleurée la cingle : si elle ne connaît pas sa rivale, l'inverse n'est pas vrai. Les maîtresses savent toujours qui est la femme de leur amant. Elles la connaissent sous l'aspect que leur présente l'homme qu'elles partagent – le poids de la vie commune, la lassitude du couple ancien, les traits de caractère au combien répulsif.