Citations de Amaury Barthet (57)
Écoute, ce que je te propose c’est de vivre la vie que tu aurais pu avoir si tu avais été mieux conseillée. Il ne s’agit pas de tricher, mais simplement de corriger la mauvaise décision que tu as prise dans ta jeunesse, de renouer avec la vie meilleure qui aurait dû être la tienne.
Je refermai l’ouvrage. Que fallait-il en conclure ? Tout simplement que pour Nadia et moi, il n’y avait rien à espérer. Toute notre vie, nous serions estampillés comme des étudiants de fac, et toute la sienne, Henri serait reconnu comme un brillant HEC. Le diplôme nous avait marqués au fer rouge.
Ses perspectives d’avenir étaient peu enthousiasmantes, pourtant elle les acceptait car elle n’avait pas le choix. Son diplôme – ce document qui certifie moins les compétences que le milieu social d’origine – agissait comme un plafond de verre sur ses ambitions professionnelles. Pour elle, l’histoire était déjà écrite, elle enchaînerait les jobs abrutissants pendant 172 trimestres pour finalement toucher une retraite équivalente au Smic de la Roumanie. Mes collègues syndiqués y voyaient certainement un capitalisme inhumain, mon frère une inévitable sélection naturelle, et moi-même, je ne savais plus très bien ce qu’il fallait en penser.
Incipit :
Au fond, j’avais hâte d’être à la retraite. Je me voyais déjà passer mes vieux jours sur une plage paradisiaque en Thaïlande, occupant l’infinité de mon temps libre à boire des mojitos, à me faire masser, et à nager au milieu des raies mantas. Cette nouvelle vie, tout entière consacrée à l’oisiveté et aux plaisirs simples, me délivrerait enfin de mon asservissement à l’Éducation nationale.
Je songeais à ces jours meilleurs en corrigeant les copies de ma classe de terminale. Non, Victor Hugo n’était pas « né à l’âge de deux ans » ; non, la Corée du Nord n’était pas dirigée par le terrible dictateur « King Kong Un » ; et oui, le niveau de culture générale de mes élèves me donnait des envies de démission sans préavis. Professeur depuis huit ans dans un lycée de Bobigny, j’avais depuis longtemps abandonné tout espoir de transmission du savoir.
D'aussi loin que je me souvienne, les femmes m'avaient toujours intimidé. Enfant, je percevais déjà qu'elles n'étaient pas comme nous, les garçons, je me disais que l'essence de leur personnalité avait quelque chose de fondamentalement différent. A l'école primaire ce n'était pas un problème, il suffisait de rester à distance d'elles pendant les récréations. Mais au collège et au lycée, les choses s'étaient compliquées, il fallait soudainement leur plaire, les conquérir, et ceux qui échouaient voyaient leur masculinité publiquement contestée. Naturellement, toutes mes tentatives s'étaient soldées par des échecs lamentables.
(p. 22)
La loterie génétique et familiale avait déjà désigné les gagnants, et mes élèves n'en faisaient pas partie.
L'exploitation politique des cadavres est une tradition républicaine, et il avait raison. Au fond, Hugo, toutes les élites s'en foutaient (...)
Il faut avouer que ça a bien fonctionné, deux millions de personnes ont descendu les Champs Elysées pour suivre le cortège funèbre, tu te rends compte? C'est plus qu'à la Coupe du monde 1998 ! Hugo est le Zidane du XIX è siècle.
Sur les réseaux sociaux, la France paraissait scindée en deux camps : certains parlaient de « haute trahison » et appelaient à une mise à mort politique, d'autres ne voyaient pas le problème et considéraient que les compétences l'emportaient sur le diplôme.
Interrogé sur un trottoir par BFM, un couple de quinquagénaires confirmait cette dualité d'opinions. L'homme rappelait qu'aux Etats-Unis les recruteurs se moquaient royalement du parcours académique des candidats et n'accordaient de l'importance qu'à l'expérience et aux qualités humaines; pour lui, c'était ainsi que les choses auraient dû fonctionner dans l'Hexagone. Sa femme n'était pas d'accord, elle avait travaillé très dur pour devenir kiné et ne voyait pas au nom de quoi on pouvait s'affranchir de suivre des études supérieures pour exercer des responsabilités.
de mémoire d'homme, on n'avait jamais vu des fonctionnaires boucler un projet en avance.
Henri ne s'en aperçut même pas, il s'était mis à parler de Paris maintenant, il disait qu'il avait choisi cette affreuse mégalopole uniquement pour le travail, mais finalement, n'aurait-il pas été plus heureux dans le Cotentin? Il remettait en cause ses choix de vie un à un avant de retomber dans un accablement douloureux; on assistait à l'effondrement d'un homme en direct.
- C'est de qui?
- Romain Gary.
- Facile à dire, maugréa-t-il, à mon âge il avait déjà été aviateur, résistant, diplomate, romancier et scénariste.
Moi je suis quoi? Employé de bureau.
- Tu es directeur général adjoint, rectifia-t-elle.
- C'est du pareil au même! Assistant, chargé de mis-sion, responsable, directeur... Au final, on passe tous notre vie devant des logiciels abjects au lieu de nous consacrer à ceux qui nous sont chers. On dit que la mort est le grand égalisateur mais c'est faux, c'est le pack Office!
La gravité et l'irréversibilité de mes actes devenaient à chaque minute plus évidentes, plus cruelles. Cette fois-ci, il ne suffirait pas que j'avale des cachets d'anxiolytiques, non, il n'y avait rien à faire, le temps ne dissiperait jamais l'angoisse et la honte.
Tu te crois éclairée parce que tu as suivi deux pauvres cours de sociologie à la fac? Des pétasses comme toi avec leurs convictions bornées, il y en a des milliers dans les manifs !
Ras le bol des putains d'enfants gâtées qui se prennent pour Che Guevara! Ta haine grossière du système, tu peux te la mettre au cul, salope !
J'avais devant moi une gamine aveuglée de certitudes puériles, une jeune garce qui faisait sa crise d'adolescence à travers le militantisme.
On a institué tellement de contre-pouvoirs qu'il n'est plus possible de gouverner.
Son tailleur strict et ses escarpins pointus renvoyaient une image de grand profes-sionnalisme, tandis que ma veste mal coupée me donnait l'air du plouc de service qu'on tolère exceptionnellement pour les journées du patrimoine.
« Ecoute, je me fous de cette importance oiseuse accordée aux liens du sang. Une famille est un groupe de personnes qu'on ne choisit pas et qui nous est parfaitement inutile. Certes, au Moyen Àge, il était vital de pouvoir compter sur ses proches pour éviter que la maladie, la guerre ou la famine ne nous exterminent du jour au lendemain. Mais aujourd'hui? Aujourd'hui, on n'a plus ces problèmes. La sécurité sociale, la dissuasion nucléaire et les hypermarchés ont rendu l'institution familiale obsolète.
Encore un qui a confondu servir ou se servir.
c'était plutôt de mener une vie simple mais délivrée des microsouffrances du quotidien.