Et avec une voix de ténèbres, tandis que sa main s'égarait dans mes cheveux (il n'avait pas l'habitude de me caresser), papa déclara sous ma couverture, à l'aube du 30 novembre 1947 : "Tu seras sans doute en butte à des garnements dans la rue ou à l'école. Peut-être parce que tu me ressembleras un peu. Mais désormais, du moment que nous avons un Etat à nous, on ne te malmènera plus jamais parce que tu es juif et parce que les Juifs sont comme ceci et comme cela. Plus jamais, non. A partir de maintenant, c'est fini. Pour toujours."
A moitié endormi, j'étendis le bras pour toucher son visage, juste au-dessous de son haut front, et soudain, à la place de ses lunettes, je sentis des larmes. De toute ma vie, ni avant ni après cette nuit, pas même à la mort de ma mère, je n'ai vu mon père pleurer. En fait, je ne l'avais pas vu cette nuit-là non plus. Il faisait trop sombre. Seule ma main gauche l'avait "vu".