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Citation de MegGomar


Je courus jusqu'à notre porte et montai. Gavi m'attendait. Il me
saisit par la main et m'entraîna vers un escalier dont je ne
soupçonnais pas l'existence. Voici que je découvrais le toit-terrasse
dont il m'avait parlé. Tomasa y étendait le linge.
En haut des marches, je vis une porte avec une imposante serrure.
Au-dessus, les carreaux d'une lucarne filtraient la lumière matinale,
onctueuse.
Gavi tira de sa poche une vieille clé. On se serait soudain cru au
temps des gravures de Rose Blanche et Rose Rouge, ces livres de
contes que Maman et Eduarda lisaient, enfants, dans le français
fleuri et démodé de Saint-Maur.
La porte s'ouvrit et le grincement des gonds interrompit cette
évasion vers la nostalgie.
Gavi remit la clé du toit dans la poche de son pantalon.
--- Entre... chuchota-t-il.
A vrai dire, nous sortîmes plutôt que nous n'entrâmes, et aussitôt un
torrent de lumière blanche déferla sur nous. Tout autour de nous,
des draps mouillés se balançaient sur des cordes, ondoyant en vagues
neigeuses... On respirait la mer, on entendait la mer. Tout comme
dans les coquillages. Palpable et transparent, l'air sentait le savon,
l'indigo, les mains écarlates, à vif de Tomasa, la blanchisseuse. La
lumière elle aussi paraissait avoir été frottée à vif, endolorie. Je me
souvins alors de Robinson, frottant deux brindilles l'une contre
l'autre pour qu'en jaillisse du feu. Nul doute que Tomasa s'escrimait
avec fureur, jusqu'à obtenir cette lumière crue, aveuglante. Oui, la
lumière pouvait faire mal. J'avais l'impression d'évoluer dans un
espace sans limites, à l'abri de toute intrusion, fait de toits, de
cheminées et d'arbres. Je fermai les yeux et me laissai pénétrer par
cette blanche immensité, griser par ce battement de " draps-ailesvoiliers " au-dessus de nos têtes.
L'air était imprégné de savon de Marseille, d'eau de Javel et d'indigo.
Aucune autre odeur ne peut me faire revivre ce premier " tourenvol " inoubliable, aussi éternellement inoubliable que la redoutable
Tomasa, qui scandalisait Tata Maria et amusait Isabel. Puissante et
unique, la voix de Tomasa, Reine de la Terrasse que tuèrent des
vauriens, sitôt la guerre terminée.
Ce jour-là, elle passa sa tête des mauvais jours par la porte de la
buanderie, le visage embrasé par une fureur mal contenue.
--- Méfie-toi, mon garçon, je te connais... ! Je viens d'étendre les
draps : s'il y a une tache, une seule, je te garantis que tu te
souviendras de Tomasa pour le restant de tes jours... !
Gavi riait tout bas.
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