Comme l’indique Michaël Guyader au début de sa préface : « L’étude de la question de l’extravagante surmortalité à l’hôpital psychiatrique pendant la guerre ne saurait se comprendre autrement qu’à l’enseigne d’une étude attentive des conditions de l’oubli organisé des malades les plus fragiles par le régime de Vichy. Il ne peut raisonnablement se concevoir que cet oubli s’inscrive autrement que dans le programme de mise en ordre de la société dont témoignent le statut des juifs, la part prise par le gouvernement de Vichy dans l’extermination des juifs, la mise à l’écart des minorités, politiquement validée par l’engagement d’écrivains de renom dans l’élaboration du programme politique de Vichy et dont évidemment l’hécatombe des malades mentaux ne saurait être absente… »
Le préfacier ajoute aussi « Quel que soit le nom donné à cet épisode tragique de l’histoire de la folie elle est paradigmatique de la tendance des puissances dominantes et excluantes à désigner l’autre comme radicalement autre, étranger, porteur le plus généralement avili des fantasmes les plus éculés qu’il convient de convier dans le meilleur des cas à l’oubli et dans le pire à l’élimination organisée ».
Il conclut sur les politiques de bouc-émissaires et le refus du « traitement discriminatoire de certaines catégories de citoyens réduits aux actes commis par une infime minorité d’entre eux ».
Dans ce livre, Armand Ajzenberg revient sur les politiques de Vichy envers les malades mentaux. Ces politiques ne sauraient être comprises hors de l’emprise de l’idéologie eugéniste prégnante (et du rôle d’Alexis Carrel). L’auteur analyse non seulement les faits. Il recherche les responsabilités de ce « génocide doux ».
Et sur ce point, il se heurte à la corporation des historien-ne-s qui dédouanent, sous prétexte des difficultés de la guerre ou d’intentions non-proclamées, le gouvernement de la France de ses responsabilités.
De longs passages sont consacrés à remettre en cause les « histoires » ainsi écrites, les présentations mensongères des positions de l’auteur ou des auteur-e-s de la pétition Pour que douleur s’achève (2001), reproduit en annexe, les versions lisses de celles et ceux qui veulent refermer ce temps, ouvert bien tard… par des historiens étrangers (Robert O. Paxton).
L’auteur revient aussi sur Alexis Carrel, les batailles pour « débaptiser » les rues portant le nom de cet ignoble individu. (A quand une gigantesque plaque devant le « sacré-cœur de Montmartre » pour rappeler l’ignominie de l’église, de l’armée, de la république et enfin rendre hommage aux milliers de fusillé-e-s de la Commune).
Faut-il rappeler ici que « personne n’a été jugé pour non-assistance à personnes en danger ou extermination douce des fous. Pour ces dizaines de milliers de morts là, Justice reste à faire. Pas sous forme judiciaire, il est trop tard. Par reconnaissance des torts qui leur ont été faits, par l’inscription de ces faits dans l’histoire ».
Le débat ne saurait être cantonné à une imaginaire Histoire, à une fantasmée Science, il est bien politique.
Nous n’en avons pas fini ni avec la république colonisatrice, ni avec le « régime de Vichy », ni avec la guerre d’Indochine, ni avec celle d’Algérie, pour ne citer que quelques faits glorieux de la république française et de ses gouvernements successifs. Nous n’en avons pas fini avec les universitaires, historien-ne-s ou non, qui au nom d’une certaine scientificité, d’une certaine impartialité, voilent les vérités, couvrent les crimes, et construisent des analyses ne prenant pas en compte les rapports sociaux et les rapports de pouvoir.
Lien :
http://entreleslignesentrele..