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Paul Lequesne (Traducteur)
EAN : 9791034908080
416 pages
Liana Lévi (24/08/2023)
4.11/5   920 notes
Résumé :
Dans un petit village abandonné de la «zone grise», coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux laissés-pour-compte: Sergueïtch et Pachka. Désormais seuls habitants de ce no man’s land, ces ennemis d’enfance sont obligés de coopérer pour ne pas sombrer, et cela malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Aux conditions de vie rudimentaires s’ajoute la monotonie des journées d’hiver, animées, pour Sergueïtch, de rêves visionnai... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (205) Voir plus Ajouter une critique
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Andreï Kourkov dans son nouveau roman Les abeilles grises, paru récemment, raconte la guerre, celle qui sévit depuis bientôt huit ans, dans le Donbass, entre l'armée ukrainienne et les séparatistes prorusses soutenus par Moscou. Une guerre, qui malgré 14 000 morts, rangée dans la catégorie des « conflits gelés », au gré de cessez-le-feu constamment remis en question et de pourparlers enlisés. Or c'est ici, dit Kourkov que réside « le grand tournant » de l'agression russe, dans cette région « désertée par l'élite, une partie ayant rejoint la Russie, l'autre l'Ukraine ». Donc nous sommes en plein actualité, que j'aurais préféré de loin qu'il s'agisse d'une fiction vu la gravité de la situation actuelle.

Sergueïtch et Pachka, deux « ennemis d'enfance » qui ne s'appréciaient guère en temps de paix vivent à Mala Starogradivka, dans la zone grise, sur la ligne de front. le reste ayant déserté, étant les seuls à maintenir la vie dans le village, ils se rabibochent pour ne pas succomber à la solitude et l'angoisse. le premier ex-inspecteur de la sécurité est apiculteur, l'autre, profession buveur de vodka à plein temps muni d'une pelisse spéciale poches vodka et comme devise de vie « Fumer, c'est sa santé détruire ! Boire, c'est son âme réjouir ! » 😁
Kourkov avec son humour désarmant habituel, et une grande humanité nous raconte le désespoir et l'absurdité de ces deux vies parmi les champs creusés de trous d'obus mais semés de fleurs sauvages ou de sarrasin, les maisons abandonnées, où bombes et obus peuvent pleuvoir à n'importe quel moment sans raison et où le temps est vivant que par le biais d'un réveille matin. Grâce à La Littérature, il nous réchauffe le coeur malgré la grisaille des circonstances et du décor ( réels !) avec ses deux bonhommes à l'humanité encore intacte qui besognent entre abeilles, pots de miel, thé brulant, petits trafics de vodkas et de saucissons, inversant les plaques de leurs rues Lénine et Chevtchenko* . L'ensemble agrémenté de détails sophistiqués comme le ratafia bu dans un verre en forme de soulier au fin talon de cristal, le chaussurier fabriqué maison, des personnages touchants dont le Petro le soldat ukrainien aux attentions particulières , l'épicière Galia, ET d' un voyage en Crimée pour faire prendre l'air aux abeilles, ces abeilles desquelles les humains auraient tant à apprendre au sujet de l'ordre et de l'égalité. Ce livre où Kourkov met les femmes et les abeilles à l'honneur dans un monde d'hommes et de guerre est doux et savoureux comme le miel ! J'ai adoré ! Et surtout , surtout , lisez le très vite !

« Debout au bord d'un précipice,
courbé par la tristesse,
soudain je réalise :
le monde entier n'est qu'un poème . »

(Leonid Kisselev poète russe et ukrainien. Rimbaud kiévien, mort à l'âge de 22 ans, dans les années 1960.)

"l'abeille est le seul animal à achever une société parfaite". 


* Chevtchenko est la personnalité qui compte le plus de statues à son effigie dans le monde, juste derrière Jésus-Christ. Il est pourtant tout à fait inconnu du grand public en dehors de l'Ukraine et de sa diaspora. Taras Chevtchenko est le peintre et poète qui a prophétisé la liberté de l'Ukraine contre l'empire russe au XIXe siècle. Il continue d'être une icône populaire de la résistance à l'oppression, aussi bien en 2014 lors de la révolution de Maïdan qu'aujourd'hui face à la menace russe en train de se réaliser.
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Andreï Kourkov est sans doute l'auteur ukrainien contemporain le plus reconnu au niveau international. Très récemment, je l'ai entendu dans une interview appeler les Européens à soutenir l'Ukraine en découvrant sa littérature. Je me tiens aux côtés des Ukrainiens en lisant Les Abeilles grises, son dernier roman, paru chez Liana Levi le 3 février dernier, qui plonge le lecteur en 2017 en pleine guerre du Donbass. Forcément, Les Abeilles grises résonnent fortement avec l'actualité et il est impossible de lire sans penser à l'invasion russe. C'est très troublant et apporte un éclairage très particulier sur les événements de 2022.

La première moitié du roman se déroule en zone grise du Donbass, un no man's land déserté et désolée, sur le front tenu depuis 2014 par les séparatistes ukrainiens pro-russes et l'armée ukrainienne gouvernementale. le village de Mala Starogradivka est abandonné, comme hors du temps. Seuls deux habitants y vivent toujours, sous les bombes. Sergueïtch et Pachka, la petite cinquantaine, ex-ennemis d'enfance forcés à se serrer les coudes pour ne pas sombrer dans la solitude et l'angoisse.

Très rapidement, Andreï Kourkov impose un ton atypique - étant donné le sujet - porté par un duo à la routine drolatique dont les dialogues sonnent presque beckettiens, rappelant les interactions étranges entre Vladimir et Estragon d'En Attendant Godot. Se dessine toute l'absurdité de cette vie de survie, sans courrier, sans électricité, dans une pénurie de tout, avec des cadavres de soldats qui jonchent les rues du village sans qu'on parvienne à déterminer à quel camp ils appartiennent.

Dans la deuxième partie, le récit bascule dans une odyssée picaresque sourde d'une menace omniprésente. Sergueïtch quitte sa maison pour trouver un refuge à ses abeilles, des fleurs sauvages plutôt que des trous d'obus. Cette recherche d'un territoire plus sûr le conduit en Crimée ( annexée en 2014 par la Russie de Poutine ). Ce très beau personnage tient autant d'un Ulysse fatigué par la guerre que du Candide voltairien. C'est à travers son doux regard et son humanisme presque naïf qu'on découvre une Crimée vivant sous l'oeil omniprésent de Moscou qui persécute la minorité turcophone musulmane des Tatars.

En fait, ce qui m'a le plus frappé dans ce roman au cadre tragique, c'est la douceur et la poésie qui se dégage des pages. Dans l'absurdité des situations qui cernent Sergueïtch où qu'il aille, celui-ci combat par sa tendresse, par son goût de la vie et son amour de la nature. Lui mise sur la raison et la paix à venir. Les aspirations de cet homme simple célèbre les abeilles, société idéale, ordonnée, fidèle, imperturbable, qui affronte les difficultés collectivement, jusqu'à un surréalisme très inventif ( formidable passage sur les abeilles devenues grises ).

Ce roman est plein de lumière. Ce n'est pas un livre sur la guerre mais sur les gens qui la subissent. le cocasse y voisine brillamment le tragique dans ce terrible drame collectif, toujours à hauteur d'homme. C'est à la fois triste et doux, caustique et mélancolique. Ce grand roman a une voix qui porte loin, rassurante d'humanité.

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Je voudrais avant tout remercier chaleureusement Idil (@Bookycooky) pour m'avoir autant donné envie de lire ce livre « Les abeilles grises » de l'ukrainien Andréï Kourkov, avec sa belle et riche critique. Il est certes troublant, troublant d'actualité vu qu'il raconte la guerre menée par les russes contre l'Ukraine, troublant car publié en février 2022 juste avant le déclenchement de la guerre actuelle. Mais il est avant tout magnifique. Quelle plume, quelle humanité, quelle poésie, quelle philosophie de vie brillent dans ce recueil ! Je l'ai dégusté, me suis adaptée au rythme lent du livre et j'ai eu envie de rester aux côtés du narrateur, Sergeï Sergueïtch. Je l'ai lu souvent à voix haute, comme une envie, voire un besoin, tant ce livre a une belle musicalité.

Nous sommes dans un tout petit village abandonné coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, dans le Donbass, une zone dite grise, un no man's land, un entre deux où les deux camps s'entremêlent, où les frontières sont floues. Abandonné, ce village, car les gens ont choisi leur camp, soit ils ont rejoint la Russie soit l'Ukraine. Seuls y vivent deux hommes, ennemis d'enfance, Sergeï et Pachka, qui ont décidé de rester pour maintenir le village en vie. Deux solitudes obligées de coopérer, de s'entraider, de se reconsidérer. D'apprendre à se respecter et à s'apprécier même malgré leurs différences de vue sur le conflit, Pachka plus ou moins proche des russes, par opportunisme, auprès desquels il arrive à se procurer des denrées alimentaires, alors que Sergeï sympathise par hasard avec un soldat ukrainien qui lui rend des visites nocturnes à l'abri des regards. Sergeï est apiculteur et ses abeilles sont tout pour lui. Il avait même réussi, avant la guerre, à développer une drôle de méthode curative : des siestes thérapeutiques au-dessus des ruches, le bourdonnement des abeilles, leurs vibrations, transmettant à la personne soignée des ondes bénéfiques pour les nerfs.
Afin de leur éviter un trop grand stress du fait des bombardements incessants de la zone, Sergeï décide de rechercher un endroit plus calme, plus à l'ouest de l'Ukraine, au printemps venu. Après un hiver rigoureux au sein de sa maison, sans électricité, aux faibles possibilités de ravitaillement, marqué par la présence de bombardements et de cadavres, nous le suivons dans son aventure printanière au travers des prairies fleuries puis des magnifiques montagnes de Crimée. Où l'ennemi russe n'est jamais très loin en réalité…

« Il les conduisait là où régnait le calme, là où l'air s'emplissait peu à peu de la douceur des fleurs des champs, où la symphonie de ces fleurs serait bientôt soutenue par celle des cerisiers, pommiers, abricotiers et acacias ».

D'où provient cette beauté que j'évoque alors qu'il s'agit d'un livre sur la guerre, ce paradoxe d'être comme lovée dans un livre dans lequel pourtant nous croisons la mort, la fuite, les bombardements, le deuil, l'angoisse, l'injustice ?

Tout d'abord de la description des paysages, emplie de métaphores, d'images fortes, de contrastes. Un passage m'avait marquée dans la critique d'Idil, je crois même que c'est ce passage qui m'a donné envie de lire ce roman immédiatement, ces lignes troublantes qui évoquent « les champs creusés de trous d'obus mais semés de fleurs sauvages ou de sarrasin ». Ces descriptions mettent en valeur la nature avec laquelle l'osmose apporte le salut et la paix. Certains passages en pleine Crimée sont magnifiquement bucoliques.

« Au matin quand il ouvrir les yeux, il ne doutait plus être tombé au paradis. Il avait atterri dans un conte de fées, où la nature non seulement servait à l'être humain, mais était à son service, où le soleil attendait que l'homme en eût fini de ses tâches quotidiennes pour enfin prendre congé. Où l'air tintait d'invisibles clochettes. Où l'on pouvait être indépendant et invisible, où n'importe quelle créature vivante, fût-elle un arbre ou un pied de vigne, possédait une voix ».

La beauté provient de cette façon tendre d'entrer dans l'intimité des personnages, dans leur vie aux conditions précaires, dans leurs petits arrangements avec les saucissons, le lard, la vodka, le thé et les pots de miel. Nous découvrons des plats ukrainiens comme un délicieux bortch mijoté à feu doux avec des haricots blancs dont la peau d'abord éclate sous la dent puis fondent sur la langue, accompagné de pain noir au seigle, de vodka et d'ail… et l'importance de l'alcool bien sûr dans cette région où « Fumer c'est sa santé détruire, boire c'est son âme réjouir »…

Elle se situe aussi dans l'opposition teintée d'espoir entre l'Ukraine et la Russie symbolisée par ce duo qui d'ennemis deviennent amis, opposition que Andréï Korkov rend absurde entre ces deux frères au moyen d'un humour corrosif, comme dans cette inversion des plaques des deux rues principales, les rues Lénine et la rue Chevtchenko (Idil nous apprend dans son billet que Chevtchenko est un peintre et poète qui a prophétisé la liberté de l'Ukraine contre l'empire russe au XIXe siècle. Il continue d'être une icône populaire de la résistance à l'oppression). Cette opposition qui précisément dans la zone grise n'est pas claire, pas tranchée. Notons que l'humour est par ailleurs bien présent et distille ça et là des éclaircies et des touches de couleur dans tout ce gris. Je pense avec tendresse par exemple à ce passage sur l'art et la manière de bien vendre un produit, en l'occurrence le miel : il suffit d'y broyer dedans des feuilles d'ortie et de le qualifier de miel antialcoolique pour que les ventes augmentent…

La beauté est nichée bien entendu dans la poésie, omniprésente, déjà pressentie dans la musicalité du texte et dans son rythme, et qui prend toute son intensité dans les descriptions où les couleurs, même le gris, sont honorées.
Poésie aussi dans la façon de personnifier le silence et le temps qui passe, deux protagonistes omniprésents. Sergueï a besoin du tic-tac de son réveil, bruit apaisant, révélateur de ce temps qui « ne joue un rôle que là où quelqu'un le surveille et dépend de lui. S'il ne reste personne dans ce cas, le temps se fige et disparait ». Quant au silence, sous la plume de Korkov, il prend une épaisseur, une texture, une granularité, des nuances subtiles, une âme :
« Tout en écoutant, Sergueïtch remarqua que le soleil, enfin, s'était couché. Et dès qu'il eut disparu totalement, le silence devint plus assourdissant, plus présent. On aurait pu le caresser, comme un chat ou un chien, il était chaud et se montrait câlin avec Sergueïtch, comme s'il cherchait obtenir de lui son concours, à obtenir qu'il participe à sa vie, à ses bruits».

Poésie dans la façon de parler des femmes, des femmes fortes, aimantes, bienveillantes, libres, qui soutiennent et apportent l'espoir, les femmes qui « offrent toujours plus de réflexion que les hommes ».
Poésie dans cet attrait et ce respect pour les abeilles, leur don perpétuel désintéressé, leur ordre, leur industrie et leur organisation pacifique, auprès desquelles l'homme aurait tant à apprendre.
Poésie dans les gestes du quotidien, dans cette simplicité et cette humilité.

C'est finalement une ode à la solitude, certes parfois difficile à vivre, mais qui permet observation et prise de recul, qui permet de prendre le temps nécessaire à l'épanouissement de la poésie.

Enfin cette beauté ressentie provient du personnage principal même, Sergeï, auquel je m'attachais toujours un peu plus au fur et à mesure de ma progression dans le livre, au fur et à mesure de son cheminement en Ukraine puis en Crimée, au fil de ses pensées, de ses souvenirs, un homme à la belle âme, franc, simple, mû par le désir de bien faire. Une candeur rafraichissante et salvatrice qui lui permet d'affronter certaines péripéties avec philosophie.

Voilà toutes les raisons qui font de ce livre pas seulement un livre lié à l'actualité. C'est de la grande littérature, c'est beau, c'est empli d'humanité et, en cela, ce livre est nécessaire. Et porteur d'espoir…

« Bientôt, l'air s'emplirait d'un doux bourdonnement, familier et pacifique, que la paix de l'homme qui aime les abeilles rend plus discret encore, rend intime et domestique. Et alors peu importerait qu'on entende ici et là des coups de feu. L'important, ce serait le printemps, la nature qui s'emplit de vie, de ses bruits, de ses odeurs, de ses ailes, grandes et petites ».
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Quand la fiction butine la réalité, j'en fais mon miel.
Pour me changer les idées et fuir l'actualité, quoi de mieux que de me plonger dans un un roman qui parle du conflit Ukrainien ? Oui, je sais, c'est un peu comme lire du Musso pour soigner une gastro !
Sergueïtch est un apiculteur plus très happy qui vit seul avec ses ruches dans un village abandonné du Donbass. Isolé dans cette zone grise depuis l'annexion de la Crimée, il compte les points entre les séparatistes russes et les militaires ukrainiens qui s'"artillent" à proximité. Dans ce no man's land, dépourvu tout autant de womans, il survit sans électricité, éclairé de cierges et réchauffé de souvenirs, avec pour unique voisin, un ennemi d'enfance, Pachka. Deux lassés pour compte mais dont les âmes ne sont pas tout à fait mortes.
Pour passer le temps pourri et l'hiver sans fin, ce "mieleur" parmi les meilleurs, se remémore des périodes plus fastes où des dignitaires locaux venaient s'allonger sur ses ruches pour être apaisés par le bourdonnement de ses Maya-vitch. Une sorte de Yoga ukrainien pour certains soviets un peu piqués. A bien y réfléchir, entre moi et moi, ce n'est pas plus crétin qu'un massage aux pierres chaudes.
Au printemps, Sergueïtch, qui aurait pu faire l'effort de s'appeler Serge pour me faciliter la frappe, décide de quitter son village avec ses abeilles pour une cure de pollen dans des lieux moins hostiles. Direction la Crimée pour des amitiés tatares.
Avec Andrei Kourkov, l'humour répond toujours à l'horreur et à défaut de faire ciller l'oeil de Moscou, le célèbre romancier ukrainien, issu d'une famille de dissident russe, offre un récit d'aventures picaresques qui m'a rappelé les meilleurs romans d'Arto Paasilinna, cet auteur scandinave qui peuplait souvent ces histoires de bestioles du grand nord. Alors que le finlandais taxidermiste humanisait les lapins et les ours, le bestiaire littéraire de Kourkov comptait déjà un pingouin et des truites. Ici, il recueille dans son arche ces insectes stakhanovistes de la nourriture des dieux… et de la cire épilatoire. Aïe. Il faut toujours que je gâche tout.
Dans ce récit, les rencontres sont improbables et les situations, au coeur de la guerre, muent l'absurde en humanisme. Les dialogues de taiseux qui rompent les ruminations du héros ont ravi ma solitude de lecteur.
Le propos n'oublie pas non plus dans ce contexte d'être politique. Les abeilles ne quittent pas la ruche mais elles symbolisent pour Sergueïtch, une société idéale, unie et solidaire. Côté communisme, elles en connaissent un rayon.
Ce roman, qui fera date, a été publié juste avant la transhumance russe du mois de février. Depuis, Kourkov n'a plus écrit une ligne de fiction et il met sa plume et sa notoriété au service de son pays dans des articles et tribunes publiés dans toute l'Europe.
J'espère qu'il pourra nous offrir d'autres romans de sa plume qui n'est pas grise. Plutôt jaune et bleu.
J'ai adoré cette histoire qui pourrait faire un jour un très beau film..
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En 2014, la Russie annexait la Crimée et ouvrait un conflit armé séparatiste au Donbass. Des flots d'Ukrainiens déplacés devenaient des réfugiés dans leur propre pays, laissant derrière eux un territoire déserté où se poursuivaient les combats. Peu à peu apparaissait une zone grise, coincée à l'Est entre les positions séparatistes pro-russes et celles de l'armée ukrainienne : un quasi no man's land, pourtant encore peuplé de ceux qui n'ont pas pu ou voulu partir. Sergueïtch et Pachka sont ainsi les derniers habitants de leur petit village. Contraints de s'entraider malgré leur ancienne inimitié, ils y survivent d'expédients dans les conditions les plus précaires, au son de la perpétuelle canonnade qui tonne à proximité et leur envoie de temps à autre quelques obus perdus. Un printemps, Sergueïtch, apiculteur de profession, entreprend de déplacer temporairement ses ruches vers un endroit plus calme. Tractant sa remorque au volant de sa vieille voiture, le voilà lancé dans un périple qui le mènera, à travers les riantes prairies d'Ukraine, jusqu'aux montagnes de Crimée. Son voyage lui fait prendre conscience de la complexité du conflit russo-ukrainien, quand, où qu'il aille, la présence et la surveillance russes ne lui laissent aucun répit.


Cette histoire est d'abord celle de la vie quotidienne dans une zone que les différents accords de cessez-le-feu ne sont pas parvenus à pacifier. A l'époque de la narration, cela fait quatre ans qu'une guerre larvée y maintient les populations restées sur place dans l'insécurité et la précarité, si bien que, uniquement préoccupées de leur survie au jour le jour, elles en viennent à subir comme une fatalité l'absurdité de leur situation. Sergueïtch et Pachka tentent ainsi, envers et contre tout, de maintenir un semblant de normalité malgré le dérèglement ambiant, s'attachant avec simplicité et bonne humeur à la routine qui leur permet de tenir. Entre leurs souvenirs et leurs rêves, la débrouillardise, le troc et l'amitié, ils font preuve d'une capacité d'adaptation aussi joyeuse que pragmatique, au fil d'une narration qui parvient même à être drôle.


Pourtant, aussi ingénu soit-il quant aux motivations politiques qui le dépassent, Sergueïtch ne peut que constater la terrible réalité de son pays, au fur et à mesure de l'avancement de son voyage. Malmené aux postes-frontières qui séparent désormais l'Ukraine du Donbass et de la Crimée, considéré avec méfiance par ses compatriotes parce qu'il vient de cette région du Donbass en partie acquise à la Russie, il découvre les persécutions perpétrées par les Russes en Crimée à l'encontre des minorités tatares, et surtout l'inquiétante omniprésence de l'oeil de Moscou, qui jusqu'au plus profond des montagnes, à lui qui ne se préoccupe que du bien-être de ses abeilles, ne cessera de lui adresser de menaçants signaux de surveillance.


De la désolation de la périlleuse zone grise du Donbass au contact direct avec les autorités russes en Crimée, monte peu à peu le dérangeant sentiment d'une menace généralisée, alors que face aux pressions et aux intimidations à peine voilées subies par Sergueïtch, l'on réalise à ses côtés à quel point l'ombre du grand frère russe pèse sur l'Ukraine, et même sur le plus insignifiant de ses habitants. Et, tandis que l'humanité de ce si modeste personnage apparaît de plus en plus fragile et impuissante face à l'impitoyable arrogance des fonctionnaires russes qui se jouent de lui, qui plus est à la lumière des évènements survenus depuis l'écriture de ce livre, l'on en vient à considérer l'Ukraine de ce récit comme la souris convoitée de longue date par le chat. Un chat embusqué dans l'attente de son heure… Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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critiques presse (7)
LaLibreBelgique
18 avril 2022
Andreï Kourkov nous plonge au cœur du conflit qui fut pour Poutine un premier jalon avant l’Ukraine.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeDevoir
28 mars 2022
Fidèle à son habitude, le romancier porte sur toutes choses son regard ironique. Tout est gris, ici, un peu flouté, dépourvu aussi bien de noir et de blanc que de couleurs. Même l’humour noir de Kourkov se charge d’une langueur un peu triste. Son théâtre de l’absurde prend ainsi des airs sombrement réalistes.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LeFigaro
24 mars 2022
Pour sauver ses abeilles, un apiculteur traverse l'Ukraine. Un conte vibrant.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Elle
11 mars 2022
La lecture est un heureux rempart aux déchirements. Laissez-vous charmer par la puissance et la beauté des « Abeilles grises » de l'ukrainien Andreï Kourkov. [...] Il nous pousse à ne pas oublier la poésie, le courage et la fantaisie d'un pays qui n'est pas uniquement le champ de bataille d'aujourd'hui.
Lire la critique sur le site : Elle
LesInrocks
08 mars 2022
Un texte à la fois grave et plein d’humour, d’autant plus poignant aujourd’hui compte tenu de la tragédie en cours.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LePoint
16 février 2022
Comme tous les ouvrages d'Andreï Kourkov, Les Abeilles grises est un drôle de livre où les personnages déjantés se fraient un chemin dans le chaos de l'ex-URSS.
Lire la critique sur le site : LePoint
Culturebox
07 février 2022
Dans cet ouvrage, l’auteur conte l’histoire d’un apiculteur de 49 ans qui va prendre la route avec ses abeilles. Il a la volonté de trouver un endroit plus confortable pour les protéger à tout prix. Des abeilles comme un symbole du prix de la vie, de la poésie, du printemps et de l'espoir.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (199) Voir plus Ajouter une citation
Le troisième jour de mars, le soleil se mit à jouer des rayons comme on joue des muscles. Dans les champs, au-delà du potager, des tâches de terre noir commencèrent de s'étendre, de s'extraire de la neige fondante, de redresser les épaules.
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Et il était mort comme ceux qui toute leur vie redoutent quelque chose : d'un infarctus.
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Le silence, c’est vrai est une chose capricieuse, phénomène sonore personnel, chaque individu l’ajuste, l’adapte à sa mesure. Autrefois, le silence pour Sergueïtch était le même que pour les autres. Le bourdonnement d’un avion dans le ciel ou le chant d’un grillon s’introduisant la nuit par le vasistas en faisait facilement partie. Tous les bruits discrets, qui ne suscitent pas d’agacement ni ne font se retourner, deviennent au bout du compte des éléments du silence. Il en était ainsi autrefois du silence de la paix. Il en était devenu ainsi du silence de la guerre, où le fracas des armes avait évincé les bruits de la nature, mais à force de lassitude, était devenu coutumier, s’était comme glissé lui aussi sous les ailes du silence, avait cessé d’attirer l’attention sur lui.
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Vos Tatars, là, on va les expulser, déclara la vendeuse,…..On va sûrement les forcer à retourner dans leurs ouzbekistans. Ils auraient mieux fait d’y rester bien tranquilles plutôt que de revenir ici…
– Mais c’est leur terre, objecta timidement Sergueïtch.
– Leur terre ? C’est la meilleure ! s’indigna la femme benoîtement. Elle est russe et chrétienne, et ça depuis la nuit des temps ! Bien avant les Tatars, les Russes ont apporté de Turquie le christianisme ici. À Chersonèse. Il n’y avait alors aucun musulman. Ce sont les Turcs qui plus tard les ont envoyés en même temps que l’islam. Poutine, quand il est venu, a raconté lui-même tout ça : ici, on est en sainte terre russe.
- Bon, moi, je ne connais pas l’histoire. Les choses peuvent s’être passées de mille façons.
– Les choses se sont passées comme Poutine l’a dit, insista la vendeuse. Poutine ne me ment pas.

( parlant de la Crimée )
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Deux nuits et deux jours avaient passé depuis la chute de neige. Sergueïtch ne sortait que pour aller quérir du charbon. La neige sous ses pieds crissait à présent d’autre manière. Il s’enfonçait mollement dans un tapis blanc tout neuf, qui n’était d’ailleurs guère profond. Mais une chose lui parut surprenante : il remarqua qu’en plusieurs endroits l’ancienne croûte durcie apparaissait à découvert. Bizarre qu’elle ne fût pas masquée par au moins cinquante centimètres de poudreuse. Mais il est vrai qu’il n’y avait pas eu de tempête. La neige était tombée simplement, libre et légère. Un vent rasant l’avait sans doute poussée plus loin, du côté de barrières naturelles où elle avait pu s’accumuler sous forme de congères. Mais le désir ne vint pas à Sergueïtch d’aller repérer celles-ci.
La bouilloire chantait sur le poêle. On n’éteint pas un poêle comme une gazinière, aussi la bouilloire dut-elle continuer à chauffer pour rien jusqu’à ce que son propriétaire l’en otât, saisissant la poignée brûlante en usant d’un vieux torchon de cuisine pour se protéger la main. Il versa l’eau dans une tasse en faïence marquée du logo de l’opérateur de téléphonie mobile MTS, et l’agrémenta d’une pincée de thé. Puis il souleva du plancher un bocal d’un litre de miel qu’il posa sur la table.
« Je pourrais inviter Pachka », songea-t-il en bâillant. Avant de se dire : « Bah, je suis bien comme ça ! Je ne vais pas aller le chercher à l’autre bout du village ! »
Le fait que « l’autre bout du village » se trouvât tout au plus à quatre cents mètres de sa maison ne changeait rien à l’affaire.
Il n’avait pas achevé sa première tasse qu’une explosion retentit non loin. Les vitres tremblèrent avec un tintement à fendre les tympans.
« Ah ! les cons ! » lâcha-t-il avec amertume. Il reposa vivement la tasse sur la table, éclaboussant celle-ci de thé, et courut à la fenêtre la plus proche. Il vérifia qu’elle n’était pas fissurée. Non, intacte.
Il inspecta les autres fenêtres, toutes étaient sauves. Il réfléchit : ne devrait-il pas aller voir où ça avait pété, et si une maison voisine n’avait pas été touchée ?
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Avant d'être retraité, Sergueïtch était...

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