La mort du poète (*)
Extrait 1
Vengeance, souverain,
vengeance !
Que ma supplique monte jusqu’à
toi :
Soutiens le droit et punis
l’assassin,
Fais que son châtiment de siècle
en siècle
Proclame ta justice à l’avenir
Et fasse la frayeur des criminels.
Le poète est tombé ! – prisonnier de l’honneur,
Tué par des ragots infâmes ;
Le plomb au cœur, la soif de vengeance dans l’âme,
Il a baissé son front vainqueur.
L’indignation fut trop profonde.
Devant les lâches, les retors, ‒
Il s’est dressé contre les lois du monde.
Seul comme à chaque fois... et il est mort !
Mort !... à quoi bon les larmes vaines,
Des louangeurs tardifs le cœur inopportun
Le babil des excuses, de la gêne ?
L’heure a sonné de son destin !
N’avez-vous pas dès l’origine
Persécuté son libre don,
Soufflant sur des flammes mutines,
Pour vous distraire, sans raison ?
Réjouissez-vous... l’offense ultime
L’aura jeté dans le tombeau :
C’en est fini du cœur sublime,
De l’âme fière, du flambeau.
Le meurtrier reste impavide,
Il vise et tire... affreux combat :
Son souffle est froid, son cœur est vide,
Son pistolet ne tremble pas.
Pareil à des centaines d’autres,
Chassé chez nous de son pays,
Quêtant la chance et les profits,
Il méprisait ce qui est nôtre,
Et notre langue, et nos chemins ;
Que savait-il de notre gloire ?
Inscrit au sang dans nos mémoires,
A-t-il compris pour notre histoire
Sur quoi il a levé la main ?
La mort l’a pris, la terre va le prendre,
Comme l’autre poète obscur et tendre,
Proie d’une aveugle jalousie –
Lui que si puissamment il avait fait entendre –
Abattu comme lui par un coup sans merci (**).
Janvier-février 1837
(*) Il s’agit de Pouchkine.
(**) Allusion au sort de Vladimir Lenski, dans Eugène Onéguine
//Mikhaïl Iourievitch Lermontov (1814 – 1841)
/ Traduit du russe par André Markowicz,