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Citations de André Markowicz (78)


André Markowicz
Les contents

Dans l’extrait d’Apostrophes qui tourne en boucle ces derniers temps sur internet, ce qui me frappe, c’est la toute fin de l’émission. Quand Matzneff est réellement surpris de la violence de l’attaque de Denise Bombardier, mais, en fait, quand il est surpris par deux autres choses. La première, c’est que visiblement à l’inverse de tous les autres invités, à commencer par Pivot lui-même, elle, elle ne tombe pas sous son charme et elle ne sourit pas quand il parle. Elle ne l’admire pas. Parce que, tous les autres, finalement, ils sourient, d’un sourire gentil : « le gentil farfadet que voilà... » ou « celui-là alors... ». Et puis, il est surpris par l’attaque elle-même : comment se fait-il que la vie, la société, vienne le juger, lui — pas lui Gabriel Matzneff, non. Lui, l’écrivain. Lui, le grand écrivain. L’esthète. La littérature. « Comment peut-on ne pas m’aimer ? » Evidemment que la littérature justifie tout, dit-il. Et le plus important est la surprise de Matzneff à ce moment-là : que peut-on me vouloir à moi, qui écris aussi bien ? Je dis tout sur moi, je suis sincère, et j’écris bien. C’est ça, n’est-ce pas, qui justifie l’ensemble, et appelle le sourire de mes convives — il s’agit, réellement, d’une atmosphère de salon, juste avant un dîner. Comment pourrait-il en être autrement ?

Or qui a dit que Matzneff était un écrivain ? Je veux dire, vous avez lu un jour un seul de ses romans, vous avez essayé ? — Ses romans sont publiés, depuis des décennies, aux éditions de la Table ronde — un éditeur de droite dure. Personne, je crois bien, ne les lit. Mais, ses journaux, ils paraissent tous chez Gallimard, et ce n’est pas aujourd’hui que ça a commencé. C’est-à-dire que, tant qu’à dire les choses, celui qui devrait être poursuivi pour complicité de viol et éloge de la pédophilie, n’est-ce pas, en toute logique, c'est son éditeur. Mais, bon, pour moi, ici, il ne s’agira pas de morale ou de justice. — Ses journaux, que j’ai feuilletés il y a des années de ça, qu’en dire ? Mais c’est absolument, désespérément nul. Nul, creux, vaniteux, idiot — ça n’existe tout simplement pas. Ça existe, je dirais, parce que c’est tellement ridicule qu’on se sent souillé quand on le lit, — quand on en est témoin. — Ce sentiment du ridicule senti et qui vous transperce, Dostoïevski en parle. Mais voilà, on dit que, la langue de Matnzeff, « c’est une belle langue ». —Pardon pour l’image. Disons, « C’est bien écrit... »

Un bavardage content, qui existe et qui, aussi bien, pourrait ne pas exister. Où chaque page, chaque journée, effacent la précédente, sans jamais rien changer. — Avec une constante : le « je » qui parle est content. Content d’être adoré par des jeunes adolescentes, mais pas seulement — par ses collègues écrivains, auxquels, comme le genre l’y invite, il décoche des petites piques, nous dirons de « petites vacheries entre copains », parce que, et oui, l’essentiel est bien là, tout se passe entre copains. Et nous faisons du style. Et c’est si beau, le style.

C’est ce sourire content qui m’a toujours frappé. Et c’est un sourire que je perçois, sous différentes formes, parfois moins fort, parfois plus fort, chez toute une série d’autres écrivains français. Parce que le sourire peut changer, mais pas le contentement.

Je m’étais déjà interrogé, à propos de d’Ormesson et des écrivains cités comme modèles de l’esprit français par notre président. Et, bizarrement, je me dis que c’est réellement une caractéristique de ce qu’on appelle l’esprit français, ce contentement à se regarder si beau dans le miroir et faire des phrases dessus. J’ai beau chercher, je ne trouve pas ça dans la littérature russe — non, vraiment. Et Dieu sait Tolstoï a écrit des journaux... Le seul, peut-être, c’est Edouard Limonov, qui est un vrai fasciste. Mais Limonov, comme écrivain, ce n’est juste rien du tout.

Mais regardez, je ne sais pas, Léautaud — il est, vraiment, considéré comme un écrivain. Il écrit, il écrit, il écrit. Moi je et mes chats. Mais il écrit, et il fait des volumes, et il est un « grand écrivain ». Et lui aussi, il fait du style. Ou, d’une autre façon, Jouhandeau. Cette espèce de saloperie absolue — là encore, d’ailleurs, publiée chez Gallimard. Matzneff, aujourd’hui, il est très malheureux, nous savons bien, il va même perdre les subsides que le CNL lui donnait tous les ans, parce qu’il est un vieillard nécessiteux (!...) — du fait que personne, dit-il lui-même, n’achète ses livres. Mais Jouhandeau, lui, il prospère : et Guéret est très très fière de son auteur, et organise, si je ne me trompe pas, un festival de littérature où sont présents beaucoup de mes amis, ou de gens qui sont publiés par les mêmes éditeurs que moi, et, visiblement, ça ne dérange personne que, non seulement ce type soit un antisémite acharné (dans ses livres comme dans ses lettres), mais qu’il passe son temps à faire des phrases sur sa vie, sur des centaines et des centaines de pages, toujours pareil, à ragoter, à se complaire, à s’admirer, finalement, même en se détestant — mais il ne se déteste guère. Et là encore, comme la crapule qu’il a toujours été, à être content. Absolument certain, comme aujourd’hui Matzneff, que Dieu reconnaîtra les siens, puisque la littérature est le sommet de la création, et qu’il est lui, un créateur de ce sommet.

Et combien d’autres écrivains, hommes et femmes, chez nous, font ça, une carrière à écrire sur ça — le potin et la joie d’être soi, ou la joie d’être si laid et d’être soi (c’est absolument la même chose), la joie d’avoir pour amis des amis qui vous ont pour ami et qui sont contents d’être contents et de vous voir content. Oui, l’éternel ragot.

Et, il faut bien le dire, souvent, c’est ça, ce qu’on appelle « notre littérature » et que j’aurais tendance à appeler « notre honte » ...

Source : https://www.facebook.com/andre.markowicz/posts/2599408370271459
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André Markowicz
(le traducteur) C’est quelqu’un qui aime quelque chose qu’il veut partager. Je ne peux pas imaginer ma vie sans Pouchkine et le cercle de ses amis. J’ai la chance de pouvoir en donner des versions françaises, et de pouvoir dire : voilà, ça je connais – maintenant, vous qui ne lisez pas le russe, vous pouvez connaître aussi.
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Tchekhov, on le sait, n’aimait guère Dostoïevski – ni ses tempêtes métaphysiques ni ses idées messianiques sur le destin de la Russie. Il disait que les écrivains ne doivent pas dire aux gens comment ils doivent vivre, mais leur montrer comment ils vivent.
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André Markowicz
Mais c’est le signe de la dictature, qu’elle tue pour ce qu’on écrit. — C’était vrai sous les bolchéviques. C’est vrai pour cette ruine atterrante, et proliférante, qu’est, aujourd’hui, l’islam dans le monde, — quand on pense à l’immensité de la culture islamique dans les pays arabes, en Perse, dans toute l’Asie Centrale au Moyen-Age, et quand on voit ce qu’on voit aujourd’hui... Parce que le propre (hum...) de la dictature est de voir le monde comme un tout rigide, immuable, et de ne pas connaître la notion de détail, la graduation des valeurs. De ne pas comprendre qu’un livre, même un livre qui remettrait en cause les fondements de la foi ne peut remettre en cause ni Dieu ni la foi, parce que, si Dieu existe, et si la foi existe, eh bien, parce que rien d’humain ne peut remettre Dieu en question (c’est, je le rappelle, en fait, la raison pour laquelle Ivan Karamazov refuse Dieu), et que, donc, plus les gens écrivent ce qu’ils veulent, plus, tranquillement, ils louent la Création.
La dictature, qu’elle soit religieuse ou politique, n’est pas que la fabrique d’un Tout. Elle est la fabrique des imbéciles. — Qu’est-ce que vous voulez dire à un fanatique islamique ? Il ne sait pas penser, parce que, ce n’est pas qu’il croit, il sait. Et ce qu’il sait, ce n’est pas seulement qu’il le sait pour lui-même, c’est qu’il le sait pour tous, puisque sa vérité doit être celle de tous. Du coup, si un seul élément de ce « tous » n’est pas conscient de cette vérité, lui, ça lui remet tout en cause. Ça lui casse sa joie, exactement pour les nationalistes quand on remet en cause les fondations de la nation. Parce que les fanatiques ont besoin d’être en souffrance, bien sûr, mais cette souffrance est une source de joie publique et intime, c’est la souffrance, fantôme, et bien réelle, qui fait passer à l’acte. Parce que la dictature, quelle qu’elle soit, a un ennemi suprême. Non, pas la démocratie, pas la liberté de conscience, — la solitude.
Ces grandes cérémonies de masse dans l’Allemagne hitlérienne, en URSS, en Chine. Ces gosses dans les écoles religieuses dont le seul savoir, après des années et des années de rabâchage ensemble, est de savoir par cœur un texte qu’ils n’auront jamais lu.
La dictature vous refuse la solitude. Vous n’êtes jamais seul. Ce qui signifie que vous ne pouvez pas être vous. Vous n’êtes pas, vous n’êtes qu’en étant avec, qu’en étant « par ».

Vous lisez, — vous êtes seul. Vous pouvez lire à quelqu’un, bien sûr, mais, même là, vous avez été seul avant, à découvrir ce que vous lisez à celui ou celle à qui vous lisez, comme un présent, comme l’expression la plus profonde de vous-même, parce que lire à quelqu’un, c’est offrir le don de sa solitude, et, pour la personne qui écoute, c’est recevoir ce don, et offrir en échange le don de son écoute, et celui de sa propre solitude en devenir. La littérature, c’est le lieu de la solitude, et donc le lieu du doute, le lieu où la vérité est celle-là même : pas seulement le dépassement de l’instant, de la contrainte. Non, c’est le lieu où notre propre solitude se découvre capable de recevoir le don d’une autre solitude, par delà tous les temps, tous les espaces, pour construire cet espace, à la fois intime et ouvert, que sera notre vie, une vie qui n’est pas seulement celle qu’on nous construit, mais celle que nous construisons nous-mêmes, en nous, avec nos êtres aimés, — nos bien-aimés à nous, et ceux que nous lisons, que nous voyons, que nous écoutons.

De l'influence de la littérature (billet du 14/08/2022 sur facebook).
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André Markowicz
La nuit


Extrait 2

Il est minuit passé, et j’entends sur la ville dormante,
    Sourde et muette, frémir une rumeur ou un glas. –
O vieillard aveugle et voyant qui te dresses dans l’ombre,
    Lare divin, je le sens, tu me présages le deuil. –
Non ! mon cœur ne bat plus comme il eut coutume de battre ;
    Morts, les larmes, l’ivresse et le bonheur de languir ;
Quand je regarde le ciel, je m’y sens étranger – que de choses
    Cette vie glaciale, oh, m’a déjà enlevées ! –
Tant de choses aimées qui, jadis, dans mon sein frissonnèrent...
    Et mon matin est passé, puis le milieu de mes jours ;
Le soleil est moins chaud, et le soir déjà qui s’annonce
    Ouvre précocement l’éternité de la nuit.
                                            1818


//Wilhelm Karlovitch Küchelbecker (1797 – 1846)
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André Markowicz
Ce n’est pas l’ancienne URSS que Poutine veut reconstituer, mais bien l’Empire russe : son modèle n’est pas Staline, mais Nicolas Ier. Or, ne l’oublions pas, quand Mikhaïl Lermontov [1814-1841] s’est laissé mourir, en duel, avant d’avoir 27 ans, l’empereur de Russie Nicolas Ier, a dit : « A chien, mort de chien. » Telle fut son épitaphe pour le plus grand poète russe après Alexandre Pouchkine [1799-1837] – et Pouchkine lui-même s’est laissé mourir en duel après avoir compris que Nicolas Ier lisait ses lettres, que la police était partout et qu’il n’y avait plus moyen, en Russie, de séparer l’Histoire et la Maison.

La guerre en Ukraine, non, ce n’est pas la Russie qui la fait, ce sont les chars de Poutine. Et je pense aujourd’hui, avec une douleur et une honte infinies, aux Ukrainiens qui haïront les Russes comme les Tchèques de mon adolescence nous haïssaient, nous, dans les rues de Prague, quand je parlais à ma mère en russe – parce que, ma mère, je ne peux toujours pas lui parler une autre langue que celle qu’elle m’a fait si profondément aimer.

(Le Monde du 1/03/22)
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André Markowicz
Canicule pour un dix octobre.
Un café à la terrasse. Je
j'entends rien, mais que pourrais-je entendre ?
Être là,– là ou ailleurs –, et pas
de ma faute. C'est comme une vague
lente de tristesse, pas une marée,
puisque la marée peut redescendre –
un état d'étrange compassion
pour n'importe qui, – pas tous ensemble
quand je m'en rends compte, et, pourtant, si,
tous ensemble, – si. L'inévitable
nous rapproche, fût-ce à contrecœur.
J'ai toujours vécu dans son fantôme
par les yeux – les yeux plus que les mots –
de ceux qui l'ont vu en vrai. Ses ruines
ont construit ce que j'essaie de dire
si j'essaie de dire quelque chose, –
que, bien sûr, je ne veux pas savoir,
né de gens qui l'ont gardé en eux
parce qu'une fois qu'on le ressent,
il vous reste, même s'il s'efface
comme quelque chose dans les os
qui aurait sa vie indépendante.
Ce n'est pas qu'il se reforme, c'est
que le corps est devenu plus apte
à le figurer, et pas le corps
seul, mais l'air que nous respirons tous.
Autre chose que de l'inquiétude,
une espèce, je ne dirais pas
de sérénité mais de bizarre
assurance, – l'ange de la ruine,
le melekh ha movet de celui
qui s'était assis devant sa porte
parce qu'il était trop fatigué
pour ne pas l'attendre. Va savoir
d'où il vient mais sa noirceur est celle
de la flamme froide du granit.
Il ne pèse pas sur la poitrine,
il étend sa main, il est sans dieu.
[10-14 octobre 23].
*
« melekh ha movet » – en fait « melekh ha mavet », mais j’ai le souvenir d’avoir entendu le « o » chez de vieux ashkénazes, c’est l’ange de la mort de la Bible.

Source : https://www.facebook.com/andre.markowicz
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lourds nuages, noirs nuages,
Une lune errante luit
Eclairant la neige en rage,
Trouble ciel et trouble nuit.
Le traineau cahote et glisse,
Les grelots - "drelin-drelin",
L'épouvante, quel supplice
dans ces plaines sans chemin.

- Fouette, enfin, cocher ! " Les bêtes
Souffrent trop, mon bon monsieur ;
Plus de route, la tempête
qui nous souffle dans les yeux.
On aura perdu la trace,
Je parie - c'est un démon
Qui s'amuse et nous pourchasse,
Et nous fait tourner en rond.

Là, il se démène, il flaire,
Joue à nous cracher dessus ;
Là, il pousse dans l'ornière
Le cheval qui n'en peut plus.
Tiens c'est lui qui nous emmêle,
cette borne, on croit la voir ;
C'était lui, cette étincelle
dans le vide sourd et noir.

Lourds nuages, noirs nuages,
une lune errante luit,
Eclairant la neige en rage,
Trouble ciel et trouble nuit.
Et on tourne et on s'épuise ;
Les grelots, muets d'un coup.
On se fige. " L'ombre grise,
Là, c'est quoi ? ... un tronc ? un loup ?

La bourrasque hurle, pleure,
Soufflent les chevaux tremblants ;
Le démon reprend ses leurres,
Ses yeux rouges sont brûlants.
On repart, le traîneau glisse,
Les grelots - "drelin-drelin" ;
Les démons se réunissent
Sur l'espace blanc sans fin.

Sans visage, sans image,
Sous la lune trouble et floue,
Feuilles quand novembre rage,
Les démons voltigent, fous.
Qui les pousse ? pour quoi faire ?
Comme ils chantent, quels sanglots ;
Ils marient une sorcière,
Pleurent un génie des eaux ?

Lourds nuages, noirs nuages,
une lune errante luit,
Eclairant la neige en rage,
Trouble ciel et trouble nuit.
Foule folle, à perdre haleine,
Aspirés par la hauteur,
Les démons à voix humaine
Crient, me déchirant le coeur.

1830 Alexandre Pouchkine
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La lune


Lune, toi qui blanchis le fer
Des froids barreaux de ma cellule,
Astre de neige, calme et clair
Qui, loin, là-haut, sans flamme brûles,

Je te salue de ma douleur,
Reine nocturne, œuvre divine –
La paix me vient de ta blancheur,
C’est l’âme que tu m’illumines.

Comment ! serais-je seul ici,
Comptant sans fin les pas des gardes ?
J’ai des amis qui, eux aussi,
Veillent et songent, te regardent.

Peut-être, ils penseront à moi
En s’endormant, prieront peut-être ;
Volant vers leur séjour de joie,
Mon ombre, se sentant renaître,

Les bénira... Et quand, soudain,
L’aube luira sur les nuages,
L’étoile du premier matin
Aura dissipé mon image.

1828-1829


//Wilhelm Karlovitch Küchelbecker (1797 – 1846)
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Facebook permet des rencontres qui font que je ne me sens plus seul devant la page blanche. Dans Partages, je réfléchis à des questions telles que “qu’est-ce que parler une langue ?” ou “qu’est-ce que j’essaie de transmettre quand j’écris mes poèmes ou mes traductions ?”
(...)
Il y a beaucoup de façon de “partager” un texte. L’oralité, la rencontre directe avec le lecteur, c’est-à-dire la transformation du lecteur en auditeur, c’est aussi de la traduction. Les versions “non traduites” que je donne sur Facebook sous la forme de mot à mot commentés permettent au lecteur d’entrer dans le texte, même (et surtout) s’il ne connaît pas la langue originale, puis d’élaborer lui-même sa propre traduction. Elles sont pour moi une manière de faire du partageable avec de l’intraduisible.
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Et si l'Ukraine libérait la Russie ?

Cette phrase semble indécente alors que la guerre fait rage, que l'Ukraine est ravagée, que la Russie s'efforce de détruire toutes ses infrastructures civiles ; alors que l'on assiste, avec plus d'un quart de la population ukrainienne déplacée ou réfugiée dans d'autres pays, à un nettoyage ethnique sans précédent et que l'on découvre de jour en jour des dizaines et des dizaines de crimes de guerre perpétrés par l'armée russe : alors que c'est l'existence même de l'Ukraine qui est mise en cause par Vladimir Poutine. Et pourtant, je la répète, cette phrase : et si l'Ukraine libérait la Russie ? Si l'électrochoc provoqué par le désastre ukrainien arrivait, en Russie, à réveiller les consciences et à changer l'histoire russe ?
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Matin d’hiver
  
  
  
  
Soleil et neige : pure grâce !
Mon adorée, tu te prélasses, -
Ma belle, allons – tu dors encor :
Ouvre tes yeux lourds de caresses ;
Astre du Nord, enchanteresse,
Viens saluer l’aube du Nord !

Hier, la bourrasque faisait rage,
Au ciel erraient de noirs nuages ;
La lune, un disque blême et froid,
Teintait les nues d’un jaune sombre ;
Toi, tu tremblais dans la pénombre –
Et désormais... regarde, vois !

Sous un ciel bleu qui vibre et brille,
La neige, à l’infini, scintille ;
Le noir massif de la forêt
S’ouvre ; sous l’or du givre luisent
Les sapins verts ; la glace irise
L’eau du ruisseau qui transparaît.

Regarde comme notre chambre,
Toute moirée de reflets d’ambre,
Est accueillante ; on est au chaud ;
On resterait en tête à tête.
Mais sortons la jument brunette,
Faisons préparer le traîneau.

Sur cette neige étincelante
Qu’elle s’élance, impatiente,
Pour éveiller, nous emportant,

Ces plaines nues et sans frontières,
Ces forêts si touffues naguère,
Ces bords déserts que j’aime tant.
                           1829


// Alexandre Sergueïevitch Pouchkine (06/06/1799 – 10/02/1837)

/ Traduit du russe par André Markowicz
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Je me rappelle — instant de grâce …


Je me rappelle — instant de grâce :
Quand tu parus à mes côtés,
Je fus saisis, — vision fugace
Du pur génie de la beauté.

Dans la langueur désespérante,
Dans le fracas des vanités,
Longtemps vibra ta voix pressante,
Longtemps, tes traits m’ont habité.

Les ans passèrent. Dans l’orage
Mes rêves furent emportés,
Et j’ai perdu ta douce image,
Ta voix pressante m’a quitté.

Claustrés au fond d’un lourd silence,
Paisiblement passaient mes jours,
Sans poésie, sans transcendance,
Sans vie, sans larmes, sans amour.

Mais l’âme a retrouvé la grâce,
Tu reparais à mes côtés,
Divinité, vision fugace
Du pur génie de la beauté.

Et, de nouveau, la renaissance,
Et la lumière est de retour —
La poésie, la transcendance,
La vie, les larmes et l’amour.

//Alexandre Pouchkine
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Les amis de Pouchkine, lisant ce poème en 1829, s'indignèrent de ce qu'ils virent comme un hymne à l'autocratie. Et c'est, de fait, un hymne - on pourrait croire manichéen - à Pierre le Grand et à la puissance de la Russie. Mais pourquoi "fracassant le verre" ? Le marteau a-t-il besoin de casser le verre pour forger l'acier ? C'est que le verre, dans la poésie russe, c'est une référence, là encore évidente, pour quiconque a un peu lu, à L'Epître sur le verre du premier grand poète russe, Mikhaïl Lomonossov (1711-1765) - qui expliquait que le verre est ce qu'il y a de plus précieux, parce qu'il est fragile, il montre la vérité, il permet de voir plus loin, et il n'existe pas dans la nature : il est une pure création humaine. Le verre, explique Lomonossov, résume toute la grandeur de l'homme. Et c'est donc cette humanité que détruit le "marteau pesant" qui forge l'Empire russe.
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Il se trouve que ce poème n’est pas seulement l’un des poèmes les plus célèbres de Li Shang-yin, c’est l’un des plus célèbres de toute la littérature chinoise : j’ai pu en lire une bonne vingtaine de traductions (j’appelle « traduction » l’étape suivant le mot-à-mot, une élaboration littéraire imposant une interprétation d’ensemble de nature à rendre le texte immédiatement compréhensible). Dès lors que trois écrivains pénétrés de deux cultures à la fois — le chinois et le français pour François Cheng, le chinois et l’anglais pour les deux autres — ne peuvent pas s’entendre sur le sens littéral des mots d’un poème, c’est, une fois encore, que nous ne nous trouvons pas face à un sens déterminé, fixé sub specie aeternitatis, mais à un halo de sens, une « ombre » dont il appartient à chacun, pour peu qu’il veuille s’y consacrer, de proposer, en rêvant le poème, d’après sa propre expérience, sa propre poétique, un équivalent éphémère.
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Mon ami, qui donc peut monter jusqu’au ciel .
Ce sont les dieux qui y logent pour toujours avec le Soleil.
Quant à l’humanité, ses jours sont comptés:
tout ce qu’elle fait et refait, ce n’est que du vent.
Toi à cette heure, tu as peur de la mort;
Où donc est la force de ta vaillance?
C’est moi qui marcherai devant toi,
Que ta bouche me crie: “Avance, ne crains pas !”
Si par hasard je succombe, j’aurai donc assuré mon renom:
“C’est contre le féroce Huwawa
que Gilgamesh est tombé”, dira-t-on.
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              La mort du poète (*)
Extrait 1

                    Vengeance, souverain,
                             vengeance !
         Que ma supplique monte jusqu’à
                                     toi :
                 Soutiens le droit et punis
                              l’assassin,
         Fais que son châtiment de siècle
                               en siècle
             Proclame ta justice à l’avenir

          Et fasse la frayeur des criminels.

Le poète est tombé ! – prisonnier de l’honneur,
     Tué par des ragots infâmes ;
Le plomb au cœur, la soif de vengeance dans l’âme,
     Il a baissé son front vainqueur.
    L’indignation fut trop profonde.
     Devant les lâches, les retors, ‒
  Il s’est dressé contre les lois du monde.
  Seul comme à chaque fois... et il est mort !
    Mort !... à quoi bon les larmes vaines,
Des louangeurs tardifs le cœur inopportun
    Le babil des excuses, de la gêne ?
    L’heure a sonné de son destin !
    N’avez-vous pas dès l’origine
    Persécuté son libre don,
    Soufflant sur des flammes mutines,
    Pour vous distraire, sans raison ?
    Réjouissez-vous... l’offense ultime
    L’aura jeté dans le tombeau :
    C’en est fini du cœur sublime,
    De l’âme fière, du flambeau.
    Le meurtrier reste impavide,
    Il vise et tire... affreux combat :
    Son souffle est froid, son cœur est vide,
    Son pistolet ne tremble pas.
    Pareil à des centaines d’autres,
    Chassé chez nous de son pays,
    Quêtant la chance et les profits,
    Il méprisait ce qui est nôtre,
    Et notre langue, et nos chemins ;
    Que savait-il de notre gloire ?
    Inscrit au sang dans nos mémoires,
    A-t-il compris pour notre histoire
    Sur quoi il a levé la main ?

  La mort l’a pris, la terre va le prendre,
  Comme l’autre poète obscur et tendre,
    Proie d’une aveugle jalousie –
Lui que si puissamment il avait fait entendre –
Abattu comme lui par un coup sans merci (**).
                        Janvier-février 1837


(*) Il s’agit de Pouchkine.
(**) Allusion au sort de Vladimir Lenski, dans Eugène Onéguine


//Mikhaïl Iourievitch Lermontov (1814 – 1841)
/ Traduit du russe par André Markowicz,
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Ce que m’offrait la poésie chinoise, c’était précisément cette prodigieuse chance d’aller à la découverte, comme un archéologue reconstitue un monde à partir des indices qui lui sont donnés.
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Mes poèmes « non traduits » (pour reprendre l’expression d’Armand Robin) sont construits sur le besoin de faire advenir, en français, des ombres rayonnantes, des présences — ce que j’appelle des « figures ». Le personnage (réel ou inventé) brasille à la limite de l’apparition, comme s’il était juste sous la surface de l’eau, se forme et se dissout, se recompose dans le passage d’une langue à l’autre, du monde sans parole que chacun porte en soi au monde matériel des mots offerts à lire. À chaque fois, d’une manière ou d’une autre, il s’agit de tracer les contours de cette ombre, de se les approprier pour les éloigner de soi et les rendre sensibles, — partageables.
C’est de la même façon que j’ai voulu tracer les contours de ces Ombres de Chine, au début pour moi-même, puis, au fur et à mesure qu’une sorte de continent se découvrait à moi, pour partager cette découverte et la prolonger.
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Monologue


Non, crois-moi, n’être rien est un bien en ce monde :
À quoi bon le savoir, le désir de la gloire,
Le talent ou l’ardent amour de vivre libre
Si nous ne pouvons pas en faire usage ?
Enfants du Nord, Comme le font nos plantes,
À peine en fleur, nous nous sentons faner...
Soleil d’hiver dans un ciel de grisaille,
C’est notre morne vie.
Un cours si monotone si fugace...
Et l’on se sent comme étouffer chez nous,
Le cœur est triste, l’âme se morfond...
Sans vivre ni amour ni amitié
En vain orages meurt notre jeunesse,
La haine l’obscurité dès le début,
Et la coupe est amère qu’on nous laisse
Et l’âme est sombres dès qu’elle y a bu.
                               1829.


//Mikhaïl Iourievitch Lermontov (15/10/1814 – 27/07/1841). Traduit du russe par André Markowicz
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