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4.17/5 (sur 6 notes)

Nationalité : Suisse
Né(e) à : Zurich , 1969
Biographie :

Docteur en études germaniques, Andréa Lauterwein a soutenu sa thèse de doctorat sur Paul Celan et Anselm Kiefer.

Elle est l'auteure de Essai sur la Mémoire de la Shoah en Allemagne fédérale et de Paul Celan aux éditions Belin (2005).

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Vendredi 8 mai 2009 Andréa Lauterwein, spécialiste de la culture allemande (dernier ouvrage paru : Anselm Kiefer et la poésie de Paul Celan, éd. du Regard 2006, Prix Artcurial du livre d'Art contemporain) : « l'exil des intellectuels allemands dans les années trente et l'après-guerre » dans le cadre du banquet de printemps 2009 intitulé " Exils et frontières" Andréa Lauterwein est née à Zurich et vit en France. Elle entretient un rapport privilégié aux deux langue : allemande et française. Elle travaille sur la culture de langue allemande du 20e siècle et notamment les liens entre la société, les arts, la littérature et la Shoah. Elle est traductrice. En tant qu'auteur elle a publié un remarquable essai sur Paul Celan (Belin 2006) De même, Anselm Kiefer et la poésie de Paul Celan (éd. du Regard, 2006, prix Artcurial du livre d'Art contemporain).

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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
     
Kiefer semble une fois de plus transposer dans sa technique picturale le réseau de significations du sable chez Celan. Comme le précise Jean Bollack, l'orientation initiale du sable, c'est la langue des poèmes, « les mots et leur écoulement », le triomphe sur le temps par la mémoire, et non d'abord le temps ou la temporalité fuyante ou éphémère. Le grain de sable est par conséquent une réduction de la langue à son plus petit élément, à ce qui n'est tout juste pas devenu silence. Tout au long du recueil 'Grille de parole', le sable est associé à la vitalité de l'eau, qui est aussi celle des larmes. Un grain de sable dans l'oeil provoque leur formation ; le mot sable devient par conséquent l'agent des larmes. Dans le poème 'En haut, sans bruit', la disparition du « peuple sable » et des habitants de la « ville sable » contraste avec l'eau des fontaines de l'enfance et des larmes, « l'eau : quel / mot ». Dans 'Aujourd'hui et demain', les orbites caverneuses de l'oeil, l'organe de la perception du poète ont été lavées par les « sables volants », tandis que dans 'Blanc et léger', qui évoque un paysage marin de lumière et de sable privé d'eau, les larmes manquent cruellement aux cristaux de sel dans l'oeil. Quelques années plus tard, un poème du recueil 'Renverse du souffle' énonce le programme suivant « Plus d'art de sable, plus de livre de sable, plus de maître. ». « L'art des sables » étant le savoir-faire de Celan depuis « le sable versé des urnes », cette phrase rejette la forme d'art exercée jusque-là. Celan appelle à défaire la maestria, la sienne et celle des autres, de son despotisme « artistique ». C'est pourtant loin d'être un refus littéral de la topique du sable. Le sable subit une transformation. Dans les poèmes tardifs, il se sédimente : les briques dans 'Paysage' ou le sable « cuit » dans 'Colis' deviennent la matière même qui permet de combattre la mort.
     
Dans la toile intitulée, 'Le sable des urnes', l'inscription du paradigme celanien apparaît comme une sorte d'émanation des trois tracés linéaires en briques placés devant le mausolée. Le peu d'air qui reste pour respirer est comme transi dans une tempête de matière originelle. Le sable, la parole de mémoire qui dit l'absence des morts, et qui dans certains cas, provoque la larme, recouvre le mausolée de Kreis d'un épais voile. Le sable des mots celaniens a envahi l'ensemble de la surface du tableau, que ce soit sous la forme des grains épars brouillant la vue du spectateur ou sous celle de tablettes et de briques en terre cuite, c'est à dire de mots sédimentés, consolidés dans la poésie et contre tout déni. Dans 'J'ai coupé du bambou', un « poème transgénérationnel », adressé à son fils Eric, Celan a exposé sa conception de la transmission par le biais de sa relation spécifique au sable.
     
[...] tu
ne sais pas dans quelle sorte de
récipient j'ai
mis le sable autour de moi, il y a des années, sur
ordre et commandement. Le tien
vient du dehors – il reste
libre.
     
Le sable du témoin – celui que Paul Celan devait mettre dans des jarres pour construire des routes en tant que détenu d'un camp de travail, tout comme le sable des mots dont il a plus tard rempli les urnes vides de la poésie, à chaque fois « sur / ordre et commandement » – engageait à un travail de concentration. « Le sable » de la génération suivante – y compris celui avec lequel son petit garçon s'amusait sur la plage de Kermorvan où Celan écrivit ces lignes – n'appelle plus à une mission de collecte, « il reste / libre ». Ces vers peuvent être interprétés comme une interdiction à l'intention de ceux qui ne furent pas personnellement persécutés à s'identifier à son expérience. Quelques années plus tard, dans le dernier vers de 'Gloire de cendres', Celan regrettait pourtant que « Personne / ne témoigne / pour le témoin ». S'il refusait l'identification avec les victimes, il attendait que l'on prenne fait et cause pour l'authenticité de leur expérience.
     
L'Ubiquité des Cendres : En Égypte, le sable des urnes – pp. 202-203
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Andréa Lauterwein
« Paul Celan : le rossignol bègue. Un changement de perspectives dans la poésie. » Revue d’Histoire de la Shoah, no. 2, 2014.
     
Paul Celan a inscrit la mémoire de la Shoah dans les canons allemands comme une marque indélébile tout en accomplissant une révolution formelle dont la littérature n’a toujours pas vraiment accusé réception. Génération après génération, dans l’original comme en traduction, sa poésie continue à exercer une puissante séduction sur ses lecteurs. Pour l’interprète, l’obscurité des poèmes semble inépuisable, bien que la vie privée de leur auteur ait été presque entièrement passée au crible dans des dizaines de correspondances et d’appareils critiques. Cette résistance hiératique à l’usure du temps, et la difficulté pour les poètes actuels de la « dépasser » autrement qu’en recourant à la citation, semblent si durable que certains commentateurs considèrent aujourd’hui son œuvre comme un « texte sacré », sans descendance autre que l’essaim d’interprètes prolifiques, soulignant par là-même son caractère inépuisable et indépassable.
     
La poésie de Celan se vit, s’écrit et se lit, comme le dit le titre du poème Avec les persécutés [Mit den Verfolgten] du recueil Renverse du souffle (1967), dans la solidarité avec les opprimés de toutes les époques et de tous les pays : « Avec les persécutés en alliance/ tardive, et non / tue, / radieuse. // La sonde du matin, recouverte d’or, / se colle à ton / talon qui avec eux / prête serment, avec eux / racle, avec eux / écrit. » Solidaire des autres, mais à travers le prisme de la Shoah, cette langue poétique hautement consciente de la précarité de sa condition redéploie un monde dans lequel toute la gloire et toute la misère de l’humanité entrent en fusion : « Elle, la langue, demeura non perdue, oui, malgré tout », a pu dire Celan dans son Allocution de Brême (1958). « Mais elle devait à présent traverser ses propres absences de réponse, traverser un terrible mutisme, traverser les mille ténèbres de paroles porteuses de mort. Elle les traversa et ne céda aucun mot à ce qui arriva ; mais cela même qui arrivait, elle le traversa. Le traversa et put revenir au jour “enrichie” de tout cela » (Le Méridien).
     
La poésie de Celan témoigne du trauma universel et particulier de la Shoah. Quand la parole des derniers survivants se sera éteinte, chacun de ses poèmes parlera encore. Parce qu’ils sont d’approche si difficile, on peut espérer qu’ils ne soient pas facilement « normalisés » – aussi difficile, pourrait-on dire, que peut l’être un témoin vivant avec les scrupules qui le hantent quand il essaie de transmettre son expérience si éloignée de ce qui est du domaine de l’imaginable pour autrui. C’est ainsi que le lecteur, aussi clairement qu’il est invité à entrer dans le dialogue avec les morts, en est parfois écarté. Tout particulièrement l’œuvre de maturité semble de plus en plus carapaçonnée. Il y a là une volonté évidente de protéger le poème conçu comme une épitaphe contre une réception contemporaine qui refoule la nature traumatique de la mémoire de la Shoah. L’obscurité « congénitale » de la poésie se double de différentes mesures (vocabulaire, énonciation, déplacement de l’horizon d’attente culturel…) visant à mettre à l’abri le texte de toute lecture niant ou déformant la mémoire des morts. Le poème-épitaphe est alors partiellement enterré et protégé d’une éventuelle profanation. Le lecteur qui consent à « creuser » peut avoir l’espoir d’y accéder. (…)
     
- Les références de la passion meurtrière
Écrit en mai 1945, placé au centre du recueil Mohn und Gedächtnis (Pavot et mémoire) (1952), ce poème soutient le paradoxe formé par l’ivresse poétique (le pavot) et le désir de mémoire :
     
« Fugue de mort
Lait noir de l’aube nous le buvons le soir
le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré [...] »
     
(…) C’est un poème matriciel, dans tous les sens du terme, une épitaphe à sa mère qui fait remonter une foule d’éléments familiers du canon littéraire et musical germanique pour les confronter à la Shoah. (…) . L’enregistrement de la lecture de Todesfuge par Paul Celan, inoubliable, a lui aussi laissé une empreinte acoustique dans la mémoire collective. Dans les bandes sonores des films documentaires sur la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, il a souvent été traité comme l’autre versant de la chevauchée des Walkyries. Ainsi, l’inscription magnétique de la voix du poète, une voix légèrement métallique, à la fois tremblante et ferme, lisant ce poème avec des accélérations et des ruptures lourdes de sens, est devenu en quelque sorte, et presque au même titre que le vacarme répétitif du train de marchandises sur les rails, lui aussi exploité par les compositeurs, l’obsessive « bande sonore » de la Shoah ou, plus simplement, le « chant » commémoratif de la Shoah.
     
Il est donc dit dans ce poème que le grand art allemand est celui de la mort. Mais il s’agit d’une maestria tout en musique. En effet, dans le réseau d’associations interne au poème qui est annoncé dès le titre, désir de musique et désir de mort (de soi, de l’autre) se confondent. Le jugement fait référence à l’alliance récurrente de la mort et de la musique dans la littérature allemande – de l’épopée des Nibelungen, où le violoniste Volker von Alzey tue avec son archet, en passant par les Maîtres chanteurs de Wagner où le révolutionnaire Stolzing porte la transgression en triomphe, aux contes de Grimm où la musique devient l’outil de la déshumanisation, sans oublier enfin la décadente Mort à Venise, la nouvelle de Thomas Mann, où l’alliance de la musique et de la passion conduit à la dissolution de soi. La musique dans les camps, on le sait, donnait l’illusion d’un processus civilisé aux yeux des déportés, des surveillants et de la population environnante, qui a vite euphémisé le terme Konzentrationslager (camp de concentration) en Konzertlager (camp de concerts). Après 1945, la musique continua de servir d’écran déréalisant aux massacres et à leur retour dans la mémoire, soit en leur conférant une tragique « grandeur », soit en permettant de s’accrocher désespérément à l’illusion d’une culture intacte, sans rupture. (...)
     
- L’air que l’on chante est l’air que l’on respire
En réponse aux lectures asémantiques, qui dénient le sens de la poésie celanienne et donc la mémoire particulière qu’elle comporte, le recueil Grille de parole (1959) esquisse le cheminement d’une poésie à la recherche de la voix humaine, voix qui témoigne de l’expérience singulière, loin de toute référence à la musique. Les titres originels des cycles du volume (que Celan a par la suite abandonnés, « Voix » [Stimmen], « sans voix » [Stimmlos], « grille de parole » [Sprachgitter], « sonore » [Stimmhaft], « audible » [Hörbar], « entendu, vu » [Gehört, Gesehen], « strette » [Engführung] témoignent de cette recherche. La voix humaine réfère à une trace du corps, à la présence physique d’un être dans un espace donné. Toute évocation de la voix crée une tension entre le corps de celui qui parle et sa relation à l’autre. Celan explore cette relation de la voix à la présence, à l’éthique, à l’altérité. À travers le paradigme de la voix humaine, les mots de la poésie non seulement s’animent, mais rencontrent le corps et la présence du lecteur, obtiennent une qualité dialogique, condition d’une lecture éthique, condition de la transmission de la mémoire de la Shoah. (...)
     
- Les ambivalences du chant
Malgré l’évidente méfiance de Celan pour la capacité de la musique à faire illusion, les documents biographiques et les correspondances témoignent de son intérêt constant pour la musique. De nombreux poèmes s’y réfèrent explicitement, en particulier à la notion du chant dans toutes ses variations. Un poème sur huit mentionne les termes singen, Lied ou Gesang. Le premier poème de La Rose de personne de 1963, Il y avait de la terre en eux (Es war Erde in ihnen), donne le ton à l’ensemble du recueil. Rappelant inévitablement Todesfuge en raison de son rythme incantatoire – la répétition anaphorique du verbe « boire » a été remplacée par celle du verbe « creuser » –, ce poème développe un univers désenchanté, blasphématoire, fait de terre et de glaise, ne présentant d’autre salut que le travail de mémoire. Ce dernier est associé au fait de « creuser » et donne lieu à une « alliance » nouvelle. La connaissance, la composition musicale et l’invention de la langue – paradigmes traditionnels de la création poétique – sont abandonnées au profit du seul travail de la pelle qui, dans sa monotonie et sa constance, recrée le lien et la solidarité avec les morts de la Shoah. Les sons du poème se résument au bruit de la pelle qui creuse, pelle de mort, mais aussi pelle de survie. Nul chant, nulle voix :
     
« IL Y AVAIT DE LA TERRE EN EUX, et
ils creusaient.
Ils creusaient, creusaient, ainsi
passa leur jour, leur nuit. Ils ne louaient pas Dieu
qui, entendaient-ils, voulait tout ça,
qui, entendaient-ils, savait tout ça.
Ils creusaient, et n’entendaient plus rien ;
ils ne devinrent pas sages, n’inventèrent pas de chanson,
N’imaginèrent aucune sorte de langue.
Ils creusaient.
Il vint un calme, il vint aussi une tempête,
vinrent toutes les mers.
Je creuse, tu creuses, il creuse aussi le ver,
et ce qui chante là-bas dit : ils creusent.
Ô un, ô nul, ô personne, ô toi :
où ça menait, si vers nulle part ?
Ô tu creuses et je creuse, je me creuse jusqu’à toi –
À notre doigt l’anneau s’éveille. »
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Au sortir de la guerre, les acteurs du nazisme avaient le choix entre deux manières d'être au monde : soit ils reconnaissaient leur faute, ce qui aurait exigé l'introspection et le deuil des pertes avec une transformation de leur vision du monde, soit ils la désavouaient publiquement, ce qui eut pour conséquence la négation de leur adhésion au nazisme et le dénégation de la défaite. Cette dernière manière d’être au monde, choisie par la majorité, allait souvent de pair avec l'entretien d'une nostalgie secrète du nazisme. Cette nostalgie se manifestait concrètement dans une dévalorisation du présent, permettant d'atténuer la visibilité des fautes du passé. L'utopie déréalisante du nazisme fut généralement remplacée par une autre, le « miracle économique » ou l’Église.
Ce qui restait, ce fut, comme l'écrit la psychanalyste Gertrud Hardtmann, « un plaisir pervers pour ce qui est déplaisant, le plaisir d'asservir et d'être asservi, d'abuser ou d'être l'objet d'un abus. » En dessous du blanchissement public, les traces mentales demeuraient donc tenaces, et ce plaisir d'abuser devait se refléter dans l'éducation des enfants. Christa Wolf écrivit à propos de son enfance sous le IIIe Reich : « A un certain moment, l'enfant comprit qu’obéir et être aimé était une et même chose. »
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