Je pensai aux philosophes que j'avais étudié. Les grecs, les Romains, les mystiques du Moyen Âge, Kant, Hegel, les inévitables Marx et Lénine ... Tous apparemment avaient ignoré l'essentiel : ce noyau de l'homme, cet alliage bestial et tribal qu'aucune Idée absolue ne pouvait transcender, aucune Révolution ne parvenait à mater.
Tout autour, dans les camps que cachait la taïga, des milliers d'ombres meurtries peuplaient les baraquements à peine plus confortables que mon abri. Que pouvait proposer un philosophe à ces prisonniers ? La résignation ? La révolte ? Le suicide ? Ou encore le retour vers une vie ... libre ? Mais quelle était cette "liberté "? Travailler, se nourrir, se divertir, ,se marier, se reproduire ? Et aussi , de temps en temps, faire la guerre, jeter des bombes, haïr, tuer, mourir ... Nulle sagesse ne donnait une réponse à cette question si simple : comment aller au-delà de notre corps fait pour désirer et de notre cerveau conçu pour vaincre dans les jeux de rivalités ? Que faire de cet animal humain rusé, unique, toujours insatisfait et dont l'existence n'était pas si différente du grouillement combatif des insectes qui s'entre-dévoraient dans les fentes de mon abri ? La "légitimité de la violence ", comme je l'écrivais dans ma thèse ...