On oublie que c'était une femme. Ségur l'appelait "cette femme grand homme" et Ligne - "Catherine le Grand". Comme si tout ce qu'il y avait de grand en elle provenait de sa virilité cachée...
- C'étaient de beaux compliments ! On soulignait sa forte personnalité, sa singularité...
- Sa solitude surtout. Oui, une femme très seule avec, à ses côtés, deux espèces d'hommes : des brutes qui la traitaient en femelle et des jouvenceaux pour qui elle devenait la bonne maman. Et quand elle voulait être juste une femme aimante, on parlait de ses "fureurs utérines", de son "vagin insatiable"... On guettait, en elle, le moindre signe de vieillissement. À la première ride, haro ! "Sa poitrine s'affaisse", "les amples habits russes ne dissimulent plus l'épaisseur de ses hanches", et autres gracieusetés...
- Les biographes ne sont pas plus tendres avec les hommes, Eva...
- Peut-être... Mais dites-moi, que signifie le mot courtisan ? .'
- Euh... c'est un homme de cour...
- Et une courtisane ?
- Disons, une femme aux mœurs... légères.
- Une pute, quoi. Et un "homme à femmes », comme Potemkine ?
- Un séducteur?
- Et une "femme à hommes"?
- Eh oui... Une traînée.
- Un "homme public" est une célébrité et une "femme publique" est fatalement une salope... La langue trahit toujours les lois de ce monde. Et notre "Catherine le Grand" n’y pouvait rien, car ces lois ne prévoyaient pas son cas à elle : une femme qui cherchait à être aimée. Il faudrait imaginer une rencontre... Oui, un homme suffisamment étranger à ce monde-là...»