Tableau noir brisé, pupitres vandalisés, lambris arraché, murs peinturlurés... Je n'avais qu'une envie : tourner les talons et m'enfuir en courant. Ne pas se laisser intimider ! Je pris une grande inspiration et m'élançai en direction de ce qui devait être mon bureau. Je contournai le jeune troll affairé à frapper deux tables l'une contre l'autre, enjambai l'écailleux allongé à même le sol, demeurai à distance prudente de l'enfant qui chantait à tue-tête et manquai de peu d'être embroché par un crayon affûté comme une lame.
Je commençais à comprendre pourquoi le directeur, après m'avoir fait signer mon contrat d'embauche la veille au soir, m'avait glissé en guise de bienvenue qu'il s'agissait probablement de « la pièce la plus dangereuse de l'univers »
Les clameurs redoublèrent lorsque le singe carnivore tenta d'énucléer l'ornithorynque avec les dents. Mais ce dernier profita que son adversaire s'était découvert pour lui décocher un coup de bec terrible qui lui broya la moitié du crâne. Le singe terrifié tenta de se dégager, mais l'ornithorynque fut plus rapide et lui pinça la patte jusqu'à l'arracher tout entière. Entre les bras de Sariah, le renardeau tremblait de plus en plus, percevant mieux que quiconque les effluves de peur et de colère qui se propageaient en cercles concentriques autour de l'arène. La petite fille serra les dents, prit une grande inspiration : sa décision était prise. Elle se tourna vers monsieur Trenzarot et lui annonça qu'elle souhaitait faire concourir son animal.
Tom balaya la place du regard, et comprit que quelque chose clochait. Elle n'était pas majoritairement peuplée de jeunes en goguette. Il y avait des groupes de toutes tailles et de tous âges, dont des seniors, des individus isolés, et pas mal de familles avec leurs enfants. Certains avaient amené des sièges. D'autres traînaient de gros sacs de randonnée, comme s'ils s'apprêtaient à rallier Saint-Jacques-de-Compostelle. Beaucoup avaient apporté des tapis de sol et des couvertures et tentaient de trouver une position confortable.
Ce n'était pas une soirée. C'était une colonisation. Mais qu'est-ce que c’est que ce cirque ?
— Prends-moi ! Maintenant !
Camille conserva obstinément les yeux clos. Parce qu'il ne voulait pas croiser son regard, mais aussi parce que ses paupières, cinglées par la bise hivernale, étaient prisonnières d'un follicule neigeux. Nul besoin de voir pour comprendre que la nuit était tombée et que les flocons continuaient à tomber à travers les branches.
Il n'avait plus la force de se redresser. La proximité de son démon siphonnait ses velléités. Alors il demeura allongé au pied de la butte, le visage à demi paralysé tourné vers le ciel, à se maudire de ne pas s'être montré plus prudent.
Avec le recul, il doutait de ce qu'il avait vu. Sans doute s'agissait-il d'un prank ou d'une fausse manipulation, rien de plus. L'adolescent relança sa partie et chassa ces pensées dérangeantes, loin de se douter que son téléphone vibrerait encore à de nombreuses reprises le lendemain, dès l'aube.
Son premier cours n'étant qu'à neuf heures, Mehdi sortait à peine de son lit lorsque ses camarades qui commençaient plus tôt l'inondèrent de textos fébriles, l'informant de la présence d'un corps pendu à la grille du collège.
De cette malédiction, on savait pourtant fort peu de choses, sinon qu’elle frappait uniquement le principal protagoniste de l’œuvre. Mais par leur biais, c’est l’univers fictionnel tout entier qu’on menaçait : sans héros, il n’y avait plus d’histoire. Combien d’œuvres inachevées, combien d’univers en jachère, combien d’intrigues suspendues pour l’éternité ?
Les uns après les autres, les récits périclitaient. Femmes et hommes, jeunes et vieux, aventuriers impétueux ou sages avisés : personne n’était épargné.
Patins triple lames affûtés, bois d'embout taillés en biseaux aérodynamiques, lignes fuselées par un carénage méticuleux, caisse comble, attelage à bloc après ses 364 jours de repos annuels et neige de rigueur sur une grande partie de l'hémisphère Nord : toutes les conditions sont réunies pour une tournée triomphale.
Toutes ? Non. Une minuscule contrainte résiste encore et toujours au bon sens.
Il me manque ma putain d'attestation de déplacement...
Une légende raconte que les temps mort, ces instants suspendus qui nous laissent, flottant, aux marges du présent, sont en réalité des interstices dans le tissu lâche de notre réalité. C'est par leur biais que nos ancêtres nous observent, en nous arrachant temporairement à nos courses de fond quotidiennes.