Extrait 13
La maison se trouve à la confluence de trois rivières
souterraines. Dans la nuit on entend l’eau travailler et
dissoudre les roches calcaires. Elle creuse des conduits
et des vides, elle génère pertes et résurgences. La mai-
son s’adapte à la morphologie souterraine
Extrait 12
Le blessé c’est un oiseau. Atteint de troubles respiratoires.
Il porte dans sa cage thoracique l’ampleur nécessaire
pour accomplir sa tâche : une traversée transcontinen-
tale. Il connaît la trajectoire et les étapes. Il travaille
sa résistance aux intempéries et la patience au long
cours. Dans l’attente de se rétablir pour entreprendre
le voyage, il chante un chant saccadé
La lune était le témoin de nos mutations. Elle assistait par la fenêtre à l’avent de la phrase qui prédisposait les manœuvres. Dehors était le chemin et la destination. Les contrebandiers nous précédaient dans le silence : ils en connaissaient toutes les formes et ils les éprouvaient. Dans nos yeux accoutumés au noir surgissait alors un territoire inviolé, que le silence multipliait sans mesure à l’intérieur de nos corps. Ivres de paysages au matin, on se découvrait orphelins de la langue. Et l’apprentissage recommençait.
Des tâches ménagères on a fait un feu. Brûlant les ustensiles et les normes qui répliquaient les rôles. Les casseroles maintenant nous servent pour battre le temps et des carafes nous versons de l’air dans l’air pour enivrer l’espace. Les tâches qui nous incombent à présent ont à faire avec les mots.
La maison se trouve à la confluence de trois rivières souterraines. Dans la nuit on entend l’eau travailler et dissoudre les roches calcaires. Elle creuse des conduits et des vides, elle génère pertes et résurgences. La maison s’adapte à la morphologie souterraine.
La nuit les murs se déplacent et redessinent les espaces intérieurs. Ils empêchent l’habitude de s’installer chez l’habitant. Le matin il faut reconstituer le plan de l’édifice et renommer les pièces. La maison a ses propres stratégies de survie.
L’appartenance au lac ne suffisait plus pour se dire autochtone. Les eaux ne gardaient pas de souvenir et le visage réfléchi donnait parfois nuage, parfois rocher. Aucune habitude n’opposait de résistance au courant et les liens avaient acquis la morphologie des algues. j’ai su qu’il fallait creuser mes racines dans une langue de transit – que j’habiterais seule en la cheminant jusqu’à ce qu’elle me délivre du trouble de l’appartenance.
Malgré la maison. Malgré sa structure persistante et compacte, ses serrures et ses embargos : le dehors est conçu de l’intérieur. Dans la surface établie des chambres, dans le labeur des solitudes, s’ouvre un espace tellement vaste où s’égarent les liens de cause à effet.
Au loin, on aperçoit la figure d’un soldat chanceler sur l’étendue brûlante et le cadre d’une porte au milieu de nulle part, entrebâillée sur l’infini.
Aux marges du jour et des métropoles j’improvise mon abri : je dessine un seuil avec la craie, j’accroche les fenêtres aux murs, je balaie le plancher en terre battue pour accueillir la nuit. Elle se précipite à l’intérieur à travers la lucarne. Elle égraine mon prénom jusqu’à la poussière, puis elle le dilue dans la bassine. Portée disparue, je me promène dans le jardin sans clôtures.
Les visiteurs sont rares. Ils repèrent de l’extérieur les signes d’une affinité dans la disgrâce. Ils arrivent avec des petits présents, pour embellir l’heure : un bouquet sauvage, quelques noix. Les phrases qu’ils prononcent pour s’annoncer s’épuisent le long des couloirs, à la recherche de l’autre. L’habitant de la maison.
Je dessine un carré avec des phrases compactes : c’est la maison. À l’intérieur un passé révolu séjourne, des présences vagues laissant des objets sur les meubles : un fragment de cristal brisé, une poignée de terre. Les murs connaissent l’histoire, ils l’inspirent, ils l’expirent. Elle fait partie de la charpente.